Voilà ! "Ils" "nous" refont le coup de la gauche plurielle. Avec un autre adjectif mais toujours au goût de naphtaline. Pendant ce temps, Marine Le Pen sourit. Tout le monde insiste sur l’effondrement de l’UMP. Il y a pourtant d’autres enseignements à tirer de ces élections régionales.
Le second tour des élections régionales a été la confirmation du premier. La majorité présidentielle a incontestablement été battue, et le désastre électoral est national. Un écho forcément national Un moyen simple de déterminer si ces élections ont été nationales ou locales, c’est de voir la grande homogénéité des résultats dans chaque région. En très gros, dans le cas d’une triangulaire avec le Front national, c’est 50% pour la gauche, 35% pour l’UMP et 15% pour le FN avec de grosses pointes pour le FN qui établit une moyenne d’environ 18% dans les douze régions où il était encore présent le 21 mars 2010. Ces élections ont donc bien une signification nationale que confirmaient déjà les sondages sur la popularité du pouvoir exécutif actuel. Rama Yade, par exemple, en a conscience et a lancé sur France 2, en pleine soirée électorale, une phrase toute en sous-entendu : « Le message, croyez-le, il sera entendu ! » Pourtant, certains candidats de l’UMP n’avaient pas démérité, comme la Ministre de la Recherche Valérie Pécresse qui, avec 43,3% seulement face à Jean-Paul Huchon, réussit toutefois à augmenter de moitié le nombre de conseillers régionaux UMP en Île-de-France (surtout car le FN n’a pas pu être présent au second tour en 2010). La victoire de la gauche est donc bien nationale et contrairement à ce que cherche à marteler Georges Frêche, "fraîchement" réélu au Languedoc-Roussillon malgré une santé très fragile, ce n’est pas la victoire des président de Conseils régionaux sortants, sinon, Jean-Paul de Rocca-Serra (UMP) aurait été réélu en Corse alors qu’il dépasse à peine 27%. L’Alsace, la Guyane et La Réunion comme pondération au désastre C’est bien un signal sévère contre la majorité présidentielle. Un signal d’ailleurs prévisible depuis plusieurs mois et qui a été cependant pondéré par trois éléments : la victoire de Philippe Richert en Alsace (avec 7% d’avance, donc largement) et par deux victoires imprévues : en Guyane et à La Réunion (le MoDem avait fait alliance dès le premier tour avec l’octogénaire sortant Paul Vergès qui a perdu au second tour à cause d’une triangulaire initiée par une liste socialiste). Martine Aubry n’aura pas réussi le grand chelem. Par ailleurs, l’abstention encore très élevée (49%) montre aussi qu’il n’y a pas un désaveu total de l’électorat contre l’UMP. Si on ne se déplace pas, c’est qu’on est plus indifférent qu’en colère contre le pouvoir en place ou qu’on ne se sent pas concerné par des régions dont on ne connaît ni les enjeux ni même les frontières. Principaux enseignements En dehors de l’évident signal d’alarme adressé directement à Nicolas Sarkozy, quelques leçons peuvent être tirées de ces élections régionales des 14 et 21 mars 2010. 1. La grande victoire de Ségolène Royal au Poitou-Charentes (avec plus de 60%) la renforce bien entendu dans la compétition pour la désignation du futur candidat socialiste à l’élection présidentielle et nul doute qu’une nouvelle guerre des roses aura lieu d’ici 2012. 2. Les deux réels vainqueurs de ces élections régionales (deux tours confondus) sont deux femmes, Martine Aubry et Cécile Duflot. Si Martine Aubry, à la tête du PS, a un langage politique classique, elle a fait un sans faute pour cette campagne électorale, refusant le triomphalisme et assénant des arguments de politique nationale. Si elle paraît très aidée aujourd’hui par un Laurent Fabius tout excité de cette démonstration de force, elle va maintenant devoir "gérer" les divisions internes et la primaire pour l’élection présidentielle qui ne sera pas une mince affaire (François Hollande, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn etc.). Cécile Duflot, à presque 35 ans dans quelques jours, en revanche, vient de faire éruption dans le paysage politique national avec une certaine force et authenticité. Responsable des Verts, elle a un discours raisonnable et modeste, peu globalisant au contraire de bien des écologistes, et sa jeunesse et sa "fraîcheur" donnent une nouvelle image de l’engagement politique, loin des "magouilles" et apte à apporter plus d’espoir pour les nouvelles générations. 3. Sans doute pourrais-je rajouter une troisième femmes parmi les deux précédentes gagnantes : Marine Le Pen qui a fait un beau score dans le Nord-Pas-de-Calais comme son père en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Non seulement le Front national n’a pas été éteint par 2007, mais il s’est même embrasé entre les deux tours, avec une amélioration des scores entre le 14 et le 21 mars 2010, au contraire du second tour des régionales de mars 2004. Ce qui aboutit au fait qu’il y aura 118 conseillers régionaux du FN (mais moins qu’en 2004, 156, contrairement à ce qu’affirmait hier Marine Le Pen). 4. Autre signe qui montre l’effondrement de l’UMP, c’est que dans les cas où il y a une triangulaire, la "troisième liste" fait un meilleur score qu’au premier tour. C’est le cas du FN. C’est aussi le cas du Front de gauche dans le Limousin avec presque 20% (gain de 6%) mais également en Bretagne où la liste écologiste de Guy Hascoët passe de 12,2% à 17,4% et en Aquitaine où, paradoxalement, le MoDem réussit à gagner 5% en obtenant presque 16% dans l’unique région où il y aura des conseillers régionaux du MoDem (soit dix). 5. Cependant, la conclusion du premier tour reste sans appel pour le MoDem. Sa valeur "marchande" est malgré tout descendue à 4% et il va avoir du mal à faire du succès de Jean Lassalle un argument de redressement. Ce succès risque au contraire d’être le fossoyeur du mouvement centriste dans la mesure où ses dirigeants vont être tentés de se dire que ce n’est qu’une turbulence passagère alors que c’est fort probable, vu le très mauvais score de Xavier Darcos, que ce sont des électeurs de droite qui, pour sanctionner le gouvernement sans approuver la gauche, se sont reportés sur le candidat centriste (d’autant plus que le FN n’était plus représenté). 6. L’autre enseignement du premier tour reste aussi l’un des éléments clefs de ces régionales : la très bonne tenue du Front de gauche et la disparition d’une extrême gauche hors du système. On se souvient que le 21 avril 2002, le total Arlette Laguiller et Olivier Besancenot recueillait plus de 10% des voix. Le NPA d’Olivier Besancenot est en échec complet (LO aussi) alors que le Parti communiste français est dopé par l’apport essentiel de Jean-Luc Mélenchon qui a assuré la survie des communistes . Ceux-ci n’osent d’ailleurs plus se présenter devant les électeurs avec leur appellation communiste depuis plusieurs années. L’appellation de Front de gauche fait à l’évidence référence au Front national et pourrait être le catalyseur d’électeurs comme les ouvriers qui étaient tombés dans l’influence du FN après avoir été longtemps fidèle au PCF. Des associations d’extrême gauche comme "Ras le Front" qui combattent les idées du FN ont d’ailleurs donné au mot "front" une connotation déjà familière. Ce regain pour un mouvement à gauche du PS mais prêt à gouverner est un grand succès personnel pour Jean-Luc Mélenchon qui a montré depuis plusieurs années sa sincérité et son courage à exprimer librement ses positions politiques. Il a osé quitter le carcan du PS après le misérable congrès de Reims (alors que Benoît Hamon, au contraire, en a profité pour "faire carrière") mais il risque fort de suivre la trajectoire sans lendemain d’un Jean-Pierre Chevènement. Jean-Luc Mélenchon sera-t-il en 2012 un candidat à l’élection présidentielle soutenu par les communistes ? C’est sans doute dans la logique actuelle. 7. Bien entendu, la réelle origine du niveau électoral élevé de la gauche reste l’existence nouvelle d’Europe Écologie depuis juin 2009 qui a fait quasiment partout dans les régions un score à deux chiffres. J’avais pensé que le grand succès des européennes serait éphémère. Cela n’a pas été le cas. Je resterais donc prudent sur sa signification électorale. Cela dit, Cécile Duflot, comme je l’ai écrit plus haut, vient d’être découverte par les Français et va sans aucun doute devenir une personnalité politique de premier plan pour de nombreuses années. Il ne lui reste plus qu’à se dégager de l’influence d’une imposante personnalité. Daniel Cohn-Bendit joue, en effet, un jeu bien étrange de négociations avec le PS qui pourrait se révéler dangereux : pas de candidat d’Europe Écologie à la présidentielle en échange d’une cinquantaine de circonscriptions aux législatives. C’est non seulement prématuré mais également un peu trop politicien, puisque c’est se moquer un peu des électeurs dans leur dos, mais aussi risqué, comme l’a rappelé hier Laurent Fabius, car en cas d’absence de candidat d’Europe Écologie, un autre candidat écologiste (par exemple, Corinne Lepage) pourrait "récupérer" au premier tour de 2012 cet électorat écologiste qui peut être très différent de l’électorat socialiste. Gauche plurielle bis ? Finalement, le Parti socialiste a joui, pour ces élections, d’une conjonction très favorable : désaveu de la politique gouvernementale, présence d’un nouveau partenaire électoralement costaud avec Europe Écologie, et préservation électorale d’un parti pseudo-communiste avec Jean-Luc Mélenchon. Ce qui leur a permis d’inventer une nouvelle expression entre les deux tours des régionales, la "gauche solidaire". Certes, le mot "solidaire" est plutôt sympathique. Il fait penser à "solide" (appellation qu’avait aussi envisagé le Nouveau centre) et aussi à solidarité nationale dont les Français ont bien besoin en temps de crise même si finalement, solidaire ne se rapporte qu’aux trois partenaires solidaires électoralement, le PS, Europe Écologie et le Front de gauche. En fait, c’est exactement le même concept que la "gauche plurielle" inventé par Lionel Jospin et qui a eu la destinée que l’on sait avec un Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. En ressortant un vieux concept, légèrement dépoussiéré mais qui sent encore la naphtaline, la PS ne semble pas avoir compris l’enjeu crucial de 2010 : il lui faut trouver immédiatement un candidat commun pour l’élection présidentielle. Qu’il soit prêt pour avoir plus d’un an devant lui. Car une gauche solidaire ne sert à rien si la gauche est sans leader. À côté de cela, le Front national, contre toute attente, semble avoir réussi son changement de génération. Marine Le Pen sera la candidate du FN en 2012, et pourra inquiéter tout autant que son père en 2002. Alors, gauche solidaire, attention ! Bis repetita placent sed assueta vibescunt. Aussi sur le blog. Sylvain Rakotoarison (22 mars 2010) Pour aller plus loin : Résultats du Ministère de l’Intérieur. Le premier tour des régionales. Bientôt un changement de scrutin.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-gauche-sans-leader-72021
http://www.lepost.fr/article/2010/03/22/1999208_la-gauche-sans-leader.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-154
http://www.centpapiers.com/la-gauche-sans-leader/12078/