J'ai entamé, depuis peu, une collection de coquillages.
Je vais souvent au bord de la mer et, comme une petite fille, je ne peux m'empêcher de les ramasser. Je n'ai jamais de sac pour les transporter. Je n'aime pas les mettre dans mes poches, par peur d'en salir l'intérieur ou de les écraser. Alors, je les garde dans la main.
Arrive fatalement le moment où, ayant assez de les porter, ou ayant besoin de mes deux mains pour faire des ricochets, grimper ou descendre un rocher, je dois m'en séparer. Bien souvent, c'est parce que j'en ai assez de garder les poings serrés autour de ces objets coupants. Je reviens à la raison et me demande ce que je vais bien pouvoir en faire, une fois rentrée chez moi. Ils resteront oubliés au fond d'un sac, d'une poche de blouson, comme ces noix ramassées un jour et retrouvée un an plus tard, comme ces 15 euros retrouvés aujourd'hui dans la poche d'un pantalon que je ne mets qu'aux beaux jours. Sortis de leur contexte, les coquillages n'auront plus le même éclat. Ils auront perdu leur fine pellicule d'eau, qui les rend si brillants, comme un bijou, une pierre précieuse, une perle rejetée par la mer (arrête Colline, cette poésie de bas-étage!).
Alors, je les repose sur le sable. Parfois, dans un accès de cruauté gratuite, je les écrase avec mes talons. J'aime le bruit des coquilles qui se brisent, retour à la poussière, au sable plutôt. J'accélère le processus. Trêve de barbarie.
Je vous rassure, généralement, je les dépose délicatement sur le sable, en veillant à ce que rien ne leur arrive. Je les salue, le cœur en peine, les larmes aux bords de yeux. Comme un enfant qui doit se résoudre à laisser son bâton, dont il a pourtant enlevé toute l'écorce pendant la promenade, comme celui qui fait tomber sa glace, qu'il a à peine goûtée, comme celui qui se voit refuser d'emmener ce chien qui les suit depuis si longtemps, ce petit chien si gentil, si drôle.
J'en étais là de mes coquillages abandonnés. Subissant les sarcasmes de mon fiancé, qui ayant passé sa vie sur les côtes, ne voyait plus les trésors qu'elles renferment. Les garçons ne ramassent jamais de coquillages, ils font des ricochets. Deux mondes s'affrontent. Je n'en faisais jamais, c'est lui qui m'a initiée. La plupart du temps, le galet, que je choisis pourtant attentivement, plat et pas trop grand, tombe dans l'eau dans un grand plouf disgracieux. Parfois, il lui arrive de rebondir sur la surface, une fois, deux fois, jamais plus, jamais bien loin. Mais cela suffit à mon bonheur. La mer nous infantilise.
Un jour, alors que nous nous promenions sur le chemin douanier, nous échouâmes sur une crique, la plage de Port-Briac. Je me souviens du soleil en ce mois de janvier hivernal. Sur cette plage abritée des vents, il faisait une chaleur étonnante. J'ôtais mon manteau, le posais sur un rocher. Je m'avançais vers la mer, regardant le sable, d'un œil distrait . Mon fiancé était loin déjà, les pieds presque dans l'eau, cherchant le courroux de l'océan, en l'assaillant de cailloux.
J'approchais mes yeux du sable et découvris alors, qu'il était jonché d'une multitude de coquillages. Si beaux, si petits, si fragiles, soudain, si précieux à mes yeux. Bien plus gracieux que leurs horribles cousins, que j'avais l'habitude d'adopter un temps, avant de les lâchement abandonner. Je ne pouvais m'en séparer. Je sortis un mouchoir en papier usagé qui traînait au fond de ma poche et leur confectionnais un petit baluchon de misère, en attendant de leur offrir l'écrin qu'ils méritaient.
Ils sont restés un temps dans ce mouchoir, on ensuite été transvasés dans un pot à confiture vide, sont restés plusieurs jours à la merci du vent et de la pluie sur le balcon, furent ensuite entassés dans un récipient en verre, bien trop étroit pour eux, dans une première tentative décevante de décoration et enfin trouvèrent la forteresse qui les abriterait et les mettrait en valeur.
A chacun de mes passages sur les côtes, je scrute le sable à la recherche de petits coquillages, pour poursuivre ma collection et enrichir mon cabinet de curiosités!
Photographie:
- Roberto Kusterle