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Lagon

Publié le 23 novembre 2007 par Jlhuss

par Lod

« Je vais voir les poissons ! »

Allongé sous les filaos comme un léger vélum qui nous protège des coups de soleil, Laurent grogne à peine en signe d’acquiescement : la sieste le tient, il ne contrôle plus rien. Les enfants barbotent avec Gaby, Jean surveille la plage, le moment est propice, nul n’a besoin de moi. Je saisis palmes, masque et tuba d’un geste très pro (vague souvenir de séries télé de mon adolescence) et d’un air nonchalant j’ondule vers le lagon dans mon nouveau maillot de bain… (aïïï-euuuuuh ! C’est pas vrai, ces morceaux de corail par terre !!)… d’un air agacé, je boitille donc vers la mer, et mon maillot n’est même pas nouveau parce que je n’ai jamais le temps de faire du shopping.

L’été est là, l’eau est chaude, par réflexe je me mouille quand même la nuque et le ventre (stupide : est-ce qu’on se mouille le ventre et la nuque avant d’entrer dans son bain ?!) J’enfile une première palme, tournée vers la plage car tout le monde sait qu’on s’éloigne à reculons une fois les palmes chaussées… Enfin… il suffit de faire l’erreur une fois pour le savoir à vie : si tu essayes d’aller de l’avant avec des palmes, c’est la gamelle assurée, l’entorse probable au passage, et l’air con à coup sûr. La deuxième palme se laisse moins faire, et puis il y a un petit bout de corail qui s’est coincé sous mon pied, je secoue, mais la palme va remuer le fond : maintenant ce sont environ cinquante mille grains de sable et morceaux de corail qui se sont coincés sous le caoutchouc ! Maaaiiiis-euuuh ! Un coup d’œil à Lolo : ouf, il dort toujours, il ne me voit pas faire n’importe quoi…

Palmes, OK. Je recule, je recule, je recule (Oups, pardon madame ! Désolée !), je recule… Stop ! Il est temps de passer le masque, seyant à souhait. On est censé cracher dedans pour assurer une visibilité optimale une fois sous l’eau, mais je ne peux m’y résoudre. Trop bien élevée. Je maintiens le bas avec les dents tandis que je tire sur l’élastique pour éviter de m’arracher la moitié des cheveux. Un masque est bien mis si :

- tu ne peux plus respirer par le nez,

- ta lèvre supérieure aplatie te donne un indéniable air de famille avec Donald,

- tes connaissances restées sur la plage ne peuvent s’empêcher de ricaner en voyant ta tronche.

Le tuba, quant à lui, est le vecteur idéal des maladies à se refiler en famille, ou entre amis : chacun n’ayant pas systématiquement son propre tuba (qu’il s’agisse de la plus vile des avarices, ou d’un simple oubli de tête en l’air), il faut donc mordre un bout de caoutchouc maintes fois mordillé par d’autres dents, pour respirer par un tuyau qui fit le lien entre notre bon vieil oxygène et d’innombrables poumons peut-être porteurs de miasmes bucco-laryngo-pneumo-tuberculiniques. Dégueu… (Bon, j’en fais trop comme d’habitude, ce tuba-là, nous sommes principalement deux à l’utiliser, Lo et moi…)

Et c’est partiiiii ! Telle une sirène (le premier qui dit « mi-femme mi-thon », je lui fiche trois heures de colle !) je m’élance à l’assaut des patates de corail, pour « voir les poissons » ! Un monsieur jovial là-bas appelle un copain « oh Jacques ! Viens voir, là, il y en a des centaines, gros comme ça ! » Encore un Marseillais… Je bifurque à gauche et m’engage dans une sorte de labyrinthe de corail, envoûtée par le ballet incessant de poissons aux couleurs de l’arc-en-ciel…

… Ok.

La vérité, c’est que c’est VRAIMENT un labyrinthe, qu’il est quasi impossible de faire demi-tour sans se râper sur le corail (tu mets trois mois à cicatriser !), que d’un instant à l’autre tu passes de 130 à 35 centimètres de fond (et là, c’est la panique : le fond peut te toucher le ventre ! aaaaaahhhhh ! phobie ! phobie !)

Et puis, le « ballet incessant de poissons aux couleurs de l’arc-en-ciel » c’est bien joli, mais la VRAIE VERITE, c’est que les poissons n’aiment pas trop qu’on viennent les voir, qu’ils te regardent d’un air menaçant, certains même se jettent hors de leur patate pour t’attaquer en te picorant la jambe, et même que parfois les plus hardis osent te donner un coup de boule dans le masque!

Sans compter les concombres de mer qui dorment au fond (concombre étant un mot bien joli pour désigner ces espèces de boudins marron et mous, véritables intestins du lagon, qu’on dit inoffensifs, mais demandez donc à Mims, qui a eu la bonne idée de poser le pied dessus !) En plus, un masque ne te permet de voir que droit devant, tu as comme des œillères sur les côtés : tu crois contempler tranquillement un baliste Picasso, et son copain le porte-enseigne, et là, tu tournes le cou vers la droite et aaaaahhhhhh ! Un poulpe ! Une murène ! Un barracuda ! Un requin ! Une baleine ! (jusqu’au barracuda, on est dans le domaine du possible, quand même !)

Bref. Au bout de cinq minutes, je fais de la tachycardie, et je brasse comme une désespérée en direction de la plage. Le corail se fait plus rare, les jambes des baigneurs remplacent les dorades, perroquets, demoiselles et autres merveilles du lagon : ouf, sauvée !De retour sous les filaos, Laurent émerge :

« Alors ? Tu as vu des trucs ? 

- Ouais, carrément ! Trop bien !

- Tu n’es pas restée longtemps…

- Ben si ! Qu’est-ce que tu en sais ? tu dormais ! D’abord ! »

Laurent s’étire, prend à son tour les palmes, le masque, le tuba, pour une balade entre les coraux qui, cette fois, durera bien une demi-heure, parce que, lui, il n’a pas peur du tout de l’eau : évidemment, il est du signe du poisson ! Facile ! En tant que taureau, je préfère Champignolles…

[dessins de l’auteur]
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