Cet après-midi, le RER B qui me transportait de la Croix de Berny, où j'étais partie en reportage, vers Paris, a écrasé un voyageur qui se trouvait sur la voie.
Il y a environ 150 "accidents graves de voyageurs", selon le terme pudiquement utilisé par la RATP. Je ne m'attendais pas à un nombre aussi élevé. Mais entre les heures de pointe sur des quais bondés (ligne 1 et 13 par exemple), les soirées où le métro/RER restent ouverts toute la nuit (Nuit Blanche par exemple), et les suicidaires qui se jettent sans prévenir sur la voie quand le train est à l'approche, cela fait beaucoup d'occasions. D'autant plus qu'il n'y a pas (encore) de système de portes automatiques comme c'est le cas dans la plupart des métros modernes ailleurs dans le monde.
Il est 16h30. Le RER devait filer sans arrêt jusqu'à Cité Universitaire. Il va vite, trop vite, ai-je pensé. Et puis d'un coup, le train freine, fort. Et on s'arrête à Bagneux. "Tiens, le chauffeur a dû oublier qu'il devait faire un stop à Bagneux, bouhou".
Je garderai longtemps en mémoire, je pense, la voix du chauffeur quand il a annoncé dans le haut-parleur, que nous venions de heurter un voyageur. Une voix blanche, affolée et haletante, d'une personne qui vient de réaliser qu'elle vient, sans le vouloir, d'en tuer une autre.
La femme en face de moi se met à pleurer. Nous sortons. Une foule se forme déjà à l'entrée de la cabine du conducteur. Certains longent le train dans l'espoir d'apercevoir les restes.
Drôle de vision que cette foule humaine, livrée à elle-même: certains prennent naturellement la tête des opérations, parlent fort, clament qu'une femme a vomi sur le quai. D'autres vont et viennent, attendent des instructions qui ne viennent pas. Les pompiers arrivent, tout le monde évacue la gare. Et se regroupe naturellement au premier arrêt de bus. La bataille pour rejoindre Paris s'annonce rude.
Les plus réactifs arrêteront des gentils automobilistes. Pour une course surréaliste entre une relou qui me raconte sa vie et un adorable petit de 3 ans qui me montre avec fierté ses baskets Adidas et danse avec moi sur "the rhythm of the night" de Corona. On se change les idées comme on peut.
Le conducteur aura lui droit à un suivi psychologique.
Le métro de Washington, qui est notoirement assez dangereux, a régulièrement des accidents de ce genre. Entre les suicidaires et les accidents de train dus à un manque flagrant de sécurité (deux trains se percutent, un train roule alors que des mécanos font des réparations sur la voie), certains conducteurs n'en sont plus à un tué près: "You just turn your head and wait", est un article paru dans le Washington Post le 2 octobre dernier, dans une passionnante série sur les "accidents graves de voyageurs", vus de l'autre côté.
De celui qui conduit le train, lancé à toute vitesse.
Image: RER, Flickr/Hdaniel.