Le contexte bordel !

Chambolle écrivait :« Il a une tête (gueule, tronche, figure…) pas catholique ! » est employée de façon usuelle depuis un peu plus de deux siècles, comme en fait foi l’excellent « Bouquet des expressions imagées » de Monsieur Claude Duneton”

Pas du tout d’accord, quand on replace l’expression dans son contexte.

D’abord Frêche, contrairement à ce qu’il veut faire croire, est tout sauf un homme du peuple. C’est un universitaire infiniment cultivé, un historien prestigieux de surcroît. Donc par sa formation il connait le poids des mots.

“On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu”: dans un pays aussi “sensible” sur cette question que le pays de l’affaire Dreyfus et des rafles de 1942 (et années suivante), on n’évoque pas la “tronche pas catholique” d’un “mec” quand celui-ci est d’origine juive… surtout quand on enfonce le clou dans une lettre “d’explications” en précisant qu’il n’y avait aucune connotation “religieuse”. Donc on vise une supposée “race juive” (quant au “d’ailleurs tu sais bien que j’ai plein d’amis juifs”,… on sait ce que ça vaut. Le Pen a des copains arabes, et d’ailleurs il n’était servi que par des Noirs avec qui “il s’entendait fort bien”)

Je suis également de ceux qui combattent l’expression de “populisme” employée à toutes les sauces (on ne veut pas de cette Europe là, à 55%? Ce sont des “pulsions populistes” qu’il faut combattre y compris par des procédés antidémocratiques; on veut de la sécurité pour soi et ses gosses? “Populisme!”, répondent ceux qui habitent dans des bantoustans hyper-sécurisés; on veut que notre économie se protège comme se protègent les économies de nos concurrents? “Populisme!” etc. etc.

Frêche feint de parler “comme la base”. Seulement il n’est pas “la base” ; et le basisme, c’est ce qu’il y a de plus méprisable quand il vient du sommet. De cela je ne démordrai jamais. Je peux parler comme “la base” parce que j’en fais partie. Pas un président de région, ou un ministre, voire un président.

D’ailleurs, il y avait un angle d’attaque sur ce plan contre Fabius, infiniment plus crédible et plus respectable que de s’en prendre “à sa tronche”: car l’ex premier ministre très grand bourgeois de par sa naissance et ses automatismes (il n’en est pas davantage responsable que s’il était né avec un père marin pêcheur ou mineur de fond: c’est un fait, pas plus) et ses carottes râpées, ses discours ouvriéristes qui lui allaient comme m’irait une soutane de bonne sœur a fait des années durant preuve de “basisme” indécent… en plus d’être ridicule (il a changé depuis, convaincu de l’inanité de cette posture et ayant aussi sans doute acquis de la sagesse)

Autre trait méprisable de Frêche: l’exacerbation de conflits quasiment “ethnico-territoriaux” entre sa “Septimanie” et “Paris” ville évidemment chargée de tous les maux. “Paris t’emmerde, pauvre connard de sale vieux népote, et les Parisiens te pissent à la raie!” Voilà ce qu’on pourrait lui répondre, si on jouait avec les mêmes allumettes, et si on était aussi méprisable. Ce qu’il reproche à “Paris”, uniquement, c’est de n’y avoir pas siégé comme ministre malgré ses appels du pied (Mitterrand, qui connaissait le “mec” - je parle comme ce “mec” - s’y est toujours opposé)

Il y a en politique des lignes de fracture naturelles et respectables, sur la conception de la société qu’on souhaite, sur des questions de choix de gestion, sur des interrogations liées à la personnalité et au comportement des dirigeants.
En ajouter de purement artificielles, renforcer les clivages, voire les haines qui n’ont pas lieu d’être, c’est proprement dégueulasse.

Je ne démordrai jamais non plus d’une autre conviction: les gens qui croient ou feignent de croire que “se mettre à la place des citoyens” c’est forcément s’abaisser, leur parler comme à des demeurés (cela vaut pour un Président qui balance à tout va des “les français y veulent pas que…”), flatter des bas instincts, ces gens là sont méprisables et/ou ridicules (Giscard et ses dîners chez “les gens”…) C’est la principale ligne de fracture entre le politicien et l’homme politique (on peut évoluer: commencer politicien et mûrir, grandir; exemple: Chirac quoique j’aie contre lui; ou commencer politique et finir politicien; j’ai plein d’exemples que je garderai pour moi).

Que ce soit Clemenceau, Jaurès, de Gaulle, Pompidou, Mitterrand, et bien d’autres encore, ils ne s’abaissaient pas, jamais, quand ils parlaient au peuple (même si face à leurs pairs ils étaient redoutablement corrosifs, la palme en ce domaine revenant au premier; le respect suprême face au peuple revenant à Jaurès qui, agrégé, parlait comme un agrégé à des ouvriers qui lui en savaient gré - et le comprenaient fort bien.

Pour en revenir à Frêche et à l’histoire des harkis, le terme le plus terrible qu’il a employé dans cette sortie, c’est quand même “sous-hommes”! C’est quand même fort de café qu’on le défende sur cette sortie alors que c’est sans doute la seule fois de sa vie où ce “mec” s’est excusé, reconnaissant qu’en aucune circonstance on ne devait traiter quiconque de “sous-homme”! (dois-je ajouter que sa colère contre ses interlocuteurs avait un fondement parfaitement légitime… mais que ça n’excuse en rien sa sortie?)

J’ajouterai pour ma part que de même qu’on n’évoque pas “une tronche pas catholique” en parlant de Juifs, on ne balance pas le mot “harki” employé comme une insulte quand on parle à des… Harkis!

Si je dis que “Guéant est le principal collaborateur de Sarkozy”, je ne commets aucun impair (j’éviterai quand même l’abréviation “collabo” par trop connotée”). Imaginons que je parle d’un homme politique philo-européen à un point presque caricatural, et que je dise “qu’en cette affaire il se comporte comme le principal collaborateur de Merkel”… je commets une infamie sans nom, quand on sait ce que signifie le rapprochement “collaboration & Allemagne” pour un Français

Le contexte! Toujours analyser un propos ou une action dans son contexte!

benjamin