J'aime bien Hell for
Leather. Ce site, probablement ricain, regroupe tout un tas de bonnes infos, souvent passionnantes, concernant le monde de la moto et sa culture, au sens le plus large du terme. C'est
d'ailleurs là que j'ai trouvé la première mention de ce livre, que je me suis empressé de commander.
Ca fait déjà quelques années que je fréquente les forums moto, ayant auparavant écumé quelques listes de diffusions et autres newsgroups centrés bécanes. Le moins que l'on puisse dire est que les
gays et lesbiennes n'y ont pas bonne presse. En règle générale, le modérateur, s'il est un tant soit peu attentif, veillera à ce qu'aucun propos explicitement homophobe n'apparaisse sur ses pages
mais les allusions à l'homosexualité sont toutefois nombreuses et rarement flatteuses. Qu'un motard s'avise de mentionner son postère endolori par un trop long voyage, qu'un autre mentionne avoir
fait tente commune avec un inconnu lors d'une concentre et les vannes pleuvront comme giboulées au printemps. Il semble que l'homo-motardus ne se puisse envisager qu'hétérosexuel, forcément très
viril et pas du tout tenté par quelque forme d'inversion que ce soit.
D'où ma question : où sont les pédés ?
Je me suis par le passé intéressé à certaines sous-cultures. Plus précisément à des sous-cultures particulières se développant au sein d'autres sous-cultures, tels ces clubs de one percenters
noirs (East-bay Dragons, par exemple) qui se plaçaient non seulement en marge de la société mainstream par leur passion commune pour la moto et sa pratique non encadrée mais également en dehors
du mouvement des MC traditionnels, puisqu'ils étaient noirs dans un monde dominé par un culture blanche plutôt bas-du-front (faut pas se raconter d'histoires, j'ai jamais vu d'ancien
Hell's Angel détenteur d'un prix Nobel de la Paix) et assez franchement raciste.
Connement, je ne m'étais jamais posé la question des homos. Y sont où (DTC ! réponds le forumeur motard moyen) ? Y z'aiment pas la moto, les pédés ? Et le moustachu des Village People, alors, où
c'est qu'il a trouvé son costume ? Parce qu'eux aussi, question double identité discriminante, ils se posaient un peu là. Pédés ET bikers ! Pourquoi pas juifs, borgnes et communistes aussi ?
Ben si, messieurs-dames, les homos font de la moto comme les autres, et depuis longtemps en plus. Je passe pudiquement sur le légendaire T.E. Lawrence et son goût pour la compagnie de
garçons fleurant bon l'essence ou la crotte de dromadaire selon la région, ainsi que sur quelques délires bolidistes italiens en revenir à mes moutons, un livre en l'occurence, Band Of Bikers,
édité et préfacé par Scott Zieher, poète, galeriste, videur de caves et greniers et exhumeur de raretés méprisées.
L'histoire qu'il relate et à la fois simple et lacunaire. Il est une tradition américain que l'on rencontre parfois sous nos cieux qui consiste, lors d'un déménagement, par exemple, à déposer en
évidence les objets que l'on ne désire pas conserver afin que chacun se serve s'il le désire. Cela suit généralement la traditionnelle yard-sale, connue chez nous sous le nom de vide-grenier. Les
invendus de la première sont donc laissés à la merci de tous et se sert qui veut.
Scott Zieher est depuis toujours un habitué de ces dépôts sauvages et a amassé avec les années quelques objets qui comptent parmi ses fétiches. Connaissant son goût pour le rogaton, le concierge
de son immeuble lui a un jour indiqué que l'un des copropriétaires venait de mourir. Dans l'appartement de celui-ci, il avait trouvé quantité d'objets laissés là par les héritiers ; objets dont
il ne savait que faire et avait remisés dans une des caves de l'immeuble dans l'attente du passage des éboueurs. Zieher, curieux, se rendit au sous-sol et considéra un temps l'amas de vieux
papiers, livres, albums, dossiers, factures, dernières traces que laisse - ou plutôt que laissait - un homme du XXe siècle. De cela, il extirpa d'abord une collection de timbres qui après examen
se révéla sans valeur, une collection de débutant, ou celle d'un vieil homme qui s'ennuie.
A sa visite suivante, il trouva trois albums, intitulés Marathon, Leif Erikson et Bass River. Ces albums contenaient des photographies prises dans les années 70 lors de rassemblements de clubs de
motards homosexuels : Vikings, Praetorians, Scorpions, Unicorns, Druids, convergeant vers un lieu de réunion discret pour un week-end de fête.
Durant les dix années qui ont séparé sa trouvaille de l'édition du livre, Zieher s'est livré à un examen minutieux des images pour tenter de reconstituer la vie festive de ces jeunes mâles aux
atours virils : cuir, chaps, suspensoir en latex, moquette pectorale, moustache, casquette à chaîne et, par déduction, réinventer l'auteur de ces photos, prises sans réel souci esthétique dans le
seul but de conserver un souvenir de ces instants d'abandon entre amis, perdu en pleine nature, que l'on peut imaginer bien rares dans la vie d'un gay new yorkais des années 70. Les motos sont
parquées un peu partout, les goûts sont hétéroclites mais révèlent un certain tropisme 'bicylindre face à la route". On aime en effet les Guzzi et les flats BMW. On aperçoit également des Honda,
une Triumph... Les tentes sont plantées dans le sous-bois, une cabane aménagée en lieu de festivités, on fait un rond de pierres pour recevoir le feu de camp (chamallow partie ?). Les visages
sont pour la plupart souriants et aimables. Une fraternité, en somme.
Il ne semble pas que le photographe apparaisse jamais dans ces albums. En revanche, revient souvent le visage d'un trentenaire, pas forcément beau mais dont le sourire affectueux laisse
transparaître une vraie bienveillance. Amant, ami, qui le sait ? Tout ce qui demeure de lui, désormais, c'est une pauvre collection de timbres sans intérêt, trois albums de photos et peut-être,
s'il est encore en vie aujourd'hui, le souvenir d'un garçon photographe, dans la vieille mémoire d'un vieil homme au sourire aimable.
Le voilà donc ce chaînon manquant entre les Hell's Angels et le moustacuir des Village People : un monde secret de mecs à mecs qui se retrouvaient en forêt pour des soirs de fêtes, un monde qui
nous demeure toujours secret parce que nous ne voulons toujours pas le voir. Heureusement que Scott Zieher était là, parce que sans lui je le manquais aussi. Et c'eût été dommage.
Toutes les images illustrant cet article sont extraites de Band Of Bikers de Scott Zieher, disponible sur PowerHouse Books
Un grand merci à Hell For Leather et Max Schaaf