Culture téléchargée, abonnements confisqués
Par Augustin Scalbert - http://rue89.com/L'accord signé à l'Elysée sur la base du rapport Olivennes prévoit de nouvelles sanctions pour le téléchargement illégal.
Foison de people, ce vendredi matin à l'Elysée, pour la signature de l'accord issu du rapport Olivennes sur le téléchargement de contenus culturels. On y croisait Jean Reno, Christian Clavier, Patrick Bruel, Robert Hossein, Melvil Poupaud, Didier Barbelivien... en plus des patrons des grandes chaînes de télévision et des principaux fournisseurs d'accès à Internet (FAI).
La salle des fêtes du Palais de l'Elysée a résonné des applaudissements de tout ce beau monde quand Nicolas Sarkozy, après avoir exprimé sa satisfaction sur la fin du mouvement social, a abordé le sujet du jour. "C'est à une véritable destruction de la culture que nous risquons d'assister", a prévenu le Président, qui a pris la parole après l'auteur du rapport, le PDG de la Fnac Denis Olivennes, et "[ses] deux Christine", Albanel (Culture) et Lagarde (Economie)".
Présente pour rappeler que la loi qui sera votée sur la base du rapport comprendra un volet répressif -"Je ne légaliserai pas le vol", a prévenu le chef de l'Etat-, la garde des Sceaux Rachida Dati ne s'est pas exprimée.
La carotte: la fin des verrous DRM...
La mission Olivennes sur "le développement et la protection des oeuvres culturelles sur les réseaux" formule treize recommandations. La liste commence par celles qui sont censées être les plus positives pour "les consommateurs": les plus emblématiques sont les suivantes:
- "Ramener la 'fenêtre VOD' de sept mois et demi après la sortie en salle à 4 mois": les films seront accessibles sur les services de vidéo à la demande plus rapidement
- Supprimer les verrous DRM qui empêchent de lire une musique achetée sur tous les lecteurs que l'acheteur possède, "alors qu'on pouvait le faire sans problème pour un fichier piraté, ce qui est quand même un comble", selon Nicolas Sarkozy;
- Généraliser le taux de TVA réduit à tous les produits et services culturels, cette baisse étant intégralement répercutée dans le prix public.
Suivent celles qui servent les intérêts des ayants droit (auteurs, interprètes, producteurs, maisons de disques, distributeurs...), dont Denis Olivennes fait partie en tant que PDG de la Fnac.
Avec un volet surveillance: "Publier un indicateur de piratage tenu par les pouvoirs publics, au maximum trimestriellement, de préférence mensuellement". Et un volet répressif, la mission propose de "mettre en place soit une politique ciblée de poursuites, soit un mécanisme d'avertissement et de sanction allant jusqu'à la suspension et la résiliation du contrat d'abonnement, ce mécanisme s'appliquant à tous les fournisseurs d’accès à internet." (L'intégralité des treize recommandations est en page 25 du rapport).
... et le bâton: la suspension temporaire de l'abonnement
Dans son discours dans la salle des fêtes, Nicolas Sarkozy a mis l'accent sur le seul mécanisme d'avertissement:
"[L'accord] prévoit l'envoi de mails d'avertissement aux internautes qui font un mauvais usage de leur abonnement, des avertissements gradués en cas de récidive, voire la possibilité de suspendre temporairement l'accès à Internet."Cette démarche pédagogique sera bien sûr réservée aux pirates de 'bonne foi', pour reprendre une expression propre à la politique fiscale. Les 'pirates professionnels', ceux qui font sciemment du trafic et du commerce illicite de DVD et de fichiers contrefaits, resteront soumis au droit commun de la contrefaçon."
Le mécanisme de sanction est évoqué dans l'accord signé ce matin par une cinquantaine d'organismes: il prévoit la création d'une "autorité publique spécialisée" qui "disposera de pouvoir de sanction" à l'égard des FAI "qui ne répondraient pas, ou pas de manière diligente, à ses injonctions". Les pouvoirs publics s'engagent aussi à constituer, après avis de la Cnil, "un répertoire national des abonnés dont le contrat a été résilié pour les motifs evoqués ci-dessus".
Les associations de consommateurs dénoncent un rapport liberticide
Cette mesure est l'une de celles qui ont fait réagir l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, auditionnée par la mission, mais non-signataire de l'accord. Elle dénonce rien moins qu'"un rapport très dur, potentiellement liberticide, antiéconomique et à contresens de l'histoire numérique"... Selon l'UFC, "ces dispositions répressives mises en oeuvre par le nouveau gendarme ne se substituent pas à d'éventuelles poursuites pénales pour contrefaçon (trois ans de prison et 300 000 euro d'amendes)":
"L'UFC-Que Choisir dénonce cette surenchère répressive et rappelle que sur la seule question de la résiliation punitive, cette disposition est, selon l'UFC-Que Choisir, contraire à plusieurs principes constitutionnellement garantis, notamment le respect de la présomption d'innocence et l'imputabilité des actes de téléchargement à l'abonné.
"Cette disposition est aussi contraire à toutes les garanties procédurales prévues au niveau européen par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et notamment le droit à toute personne qui fait l'objet d'une accusation en matière pénale de bénéficier d'un procès équitable."
L'association dénonce enfin "le manque de lucidité du ministère de la Culture qui, au prétexte de défendre la culture et sa diversité, se fait systématiquement l'avocat infatigable d'une industrie trop concentrée et peu innovante". Et remarque au passage que l'accord ne contient "rien sur l'augmentation légitime de la part du prix effectivement reversé aux créateurs". Lesquels étaient pourtant bien représentés à l'Elysée...
Quant à l'Adami, qui représente les artistes-interprètes, elle "regrette que les organisations représentant les consommateurs et le public n’aient pas fait partie des négociateurs de cet accord".
La loi mettant en place les dispositions de l'accord sera adoptée avant l'été 2008, a annoncé la ministre de la Culture.
► Lire le texte de l'accord signé vendredi matin.
► Lire le communiqué de
l'UFC-Que Choisir.
► Lire l'intégralité du rapport Olivennes.