Kit Miyamoto: «Tout doit etre changé»
«Tout doit être changé.» C'est la conclusion à laquelle a abouti l'expert international Kit Miyamoto après une première série d'évaluations des bâtiments touchés par le séisme du 12 janvier. Plus de 200 000 morts. Une fois encore, le manque de controle des dirigeants et élites haïtiens a été mise à nu. « Entre 10% à 20% des bâtiments visités sont totalement détruits, 50% en moyenne sont très endommagés (certains plus que d'autres) et doivent être démolis. La plupart de ces bâtiments détruits ou gravement endommagés n'ont pas été construits suivant les normes parasismiques. » Tels sont, en substance, les propos tenus par l'expert international Kit Miyamoto, P.D.G de Miyamoto International, compagnie d'expertise en ingénierie et construction et basée aux Etats-Unis d'Amérique, en Europe et en Asie.
La grande majorité des bâtiments sont construits à partir de blocs et de dalles de béton supportés par des poutres et des colonnes qui, dans bien des cas, n'ont aucun lien avec les murs et les dalles. Dans ce genre de bâtiments, les normes standard de construction ne sont pas respectées, souligne Miyamoto, qui ajoute qu'il y a d'autres facteurs expliquant la fébrilité des constructions haïtiennes.
Par exemple, il a mentionné qu'il n'existe aucune école d'ingénierie en Haïti qui enseigne les normes de construction parasismique. Parce que, même dans le cas où le récipiendaire a reçu son diplôme d'ingénieur, il n'a pas subi un test qui certifie qu'il a les capacités pour construire un immeuble selon les normes reconnues comme telles.
Le code de construction haïtien n'existe pas et les pratiques ne tiennent pas compte des tremblements de terre. Il n'y a quasiment aucun contrôle sur les plans, les matériaux et les constructions. Se basant sur cette troublante réalité, Kit Miyamoto soutient que « tout doit être changé, à commencer par les modes de construction qui doivent désormais tenir compte des connaissances antisismiques. Beaucoup de grandes constructions en Haïti n'ont pas été contrôlées ni étudiées convenablement.»
Toute construction doit être étudiée dans ses moindres détails, explique le professeur Miyamoto, qui pense que les petites maisons des familles humbles, quant à elles, n'ont pas besoin d'ingénieurs qualifiés dans les constructions parasismiques. « Cependant, les contremaîtres qui en ont la charge doivent être imbus des principes de base pour une construction fiable. Ils doivent savoir, par exemple, comment lier les colonnes avec les poutres, déterminer la hauteur des étriers, etc. De simples détails de ce genre auraient pu réduire de moitié le nombre des morts du 12 janvier », a fait valoir l'expert.
Miyamoto est arrivé en Haïti quatre jours après le séisme du 12 janvier, à la demande de la Fondation Panaméricaine de Développement (PADF) en vue d'assister le gouvernement et d'autres institutions dans le cadre d'une évaluation des dégâts causés par le séisme du 12 janvier dans le domaine des infrastructures. A la tête d'une équipe de 12 ingénieurs, il assiste le gouvernement et le secteur privé, des organismes internationaux, telles la PADF et les Nations Unies, dans l'évaluation des dommages subis dans le domaine de la construction et dans la planification du processus de reconstruction.
Le principal responsable de Miyamoto International a exprimé son intention d'avoir une présence permanente en Haïti. Car, souligne-t-il, la compagnie va rester dans le pays, «parce nous voulons aller au-delà de l'évaluation en vue d'aider les Haïtiens dans la reconstruction du pays surtout dans le domaine lié à l'ingénierie», nous a expliqué cet Américano-Japonais qui vit à Los Angeles.
«Les tremblements de terre, je vis avec», lance-t-il, calmement, quand on lui demande d'où lui est venue cette passion d'ausculter les immeubles.
Le parasismique ne coûte pas cherToujours en ce qui concerne les petites constructions, il n'y a pas grand-chose à faire pour les rendre plus solides. Tandis que les gros immeubles comme les hôtels, les hôpitaux, les écoles, les bâtiments abritant les bureaux publics, réclament beaucoup plus de connaissance, de contrôle et de respect des normes.Doter une construction des normes antisismiques n'exige pas beaucoup. En effet, cela coûte environ 5% plus cher pour les grandes constructions et 10% pour les petites. Toute proportion gardée, la construction d'un immeuble antisismique ne coûtera pas plus que 1% du coût de reconstruction après le séisme.
Renforcer une maison déjà construite
Quand on construit une maison, il faut penser à en renforcer toutes les parties, indique l'ancien directeur de l'Association des ingénieurs civils de Californie. Si on renforce une partie et on néglige le reste, au moment de la catastrophe, la partie renforcée va transférer la pression sur la partie non renforcée qui devient alors le point faible de cette construction qui peut alors s'effondrer.
C'est pourquoi même dans le cas du renforcement d'une construction, l'ingénieur doit s'y connaître pour pouvoir appliquer les normes exigées en la matière. Interrogé sur la quantité d'immeubles évalués, Miyamoto a laissé entendre que quasiment tous les bâtiments publics et des centaines d'autres relevant du privé ont déjà subi une évaluation. Selon lui, tous les immeubles ayant résisté au séisme ont passé un test important, car ce fut une énorme catastrophe. Le fait que le bâtiment ait résisté constitue une preuve qu'il a été bien construit.
Plus de 200 ingénieurs haïtiens sont formation dans le cadre du projet mene par le Ministere des Travaux Public de Transport et de Telecommunications (MTPTC), finance par la Banque Mondiale et execute par l'UNOPS.
Les ingénieurs haïtiens vont faire les évalutions d'au moins 100,000.00 objets touchés par le séisme pour savoir lesquels peuvent etre occupes a nouveau. Le travail d'évaluation et des etiquetages des objects sont realises par ces ingénieurs haïtiens et se fait sous l'egide du Ministere des Travaux Public de Transport et de Telecommunications (MTPTC), le controle de qualite de ces evaluations est realisé sur le terrain par les ingénieurs de Miyamoto International, toutes les informations sont enregistrees dans une base de donnees electronique.
La catastrophe du 12 janvier a en quelque sorte mis à nu le déficit de connaissance affiché dans le domaine de l'ingénierie en Haïti. En témoigne l'effondrement des établissements d'enseignement supérieur en génie civil. Fort de ce constat, les experts de Miyamoto International envisagent, en plus de fournir des connaissances en évaluation de bâtiments aux ingénieurs haïtiens, de former également des experts en structure parasismique et en géotechnique.
Le paramètre du sol
Au cours de son entretien avec Le Nouvelliste, Kit Miyamoto a aussi mis en relief la qualité du sol dans les constructions. Une question rarement abordée en Haïti. Les sols montagneux sont plus dangereux que les plaines pour la construction au moment des tremblements où la terre a tendance à glisser, révèle l'ingénieur en structure. Toutefois, précise t-il, il y a une façon de procéder qui pourrait empêcher qu'il y ait des pertes massives en travaillant le sol en escalier.
Il a pris en exemple le cas de l'hôtel Montana. Dans ce cas bien précis, dit-il, le problème, ce n'est pas la construction en elle-même, mais plutôt le sol. « Car, dans ses surfaces pentues, il y a ce qu'on appelle le phénomène d'accélération qui, en cas de séisme, peut décupler les vibrations du sol. »
Cependant, l'ingénieur a admis que même sur un sol comme celui sur lequel l'hôtel Montana a été construit, on peut construire fiablement moyennant qu'on respecte les normes. « Avec une bonne étude du sol et de bonnes mesures, on peut construire sur n'importe quel terrain. »
Dans le cas particulier des sols fragiles, l'Etat se doit d'intervenir pour informer les gens sur le type de construction à adopter dans tel type de terrain et ainsi éviter les constructions non conformes sur des surfaces inappropriées. Nous devons apprendre de cette catastrophe qui nous est présenté comme une fatalité pour apprendre à construire plus solidement. C'est une opportunité qui nous est présentée pour pouvoir construire autrement et mieux.
En effet, des événements de ce genre se sont déjà produits en Californie ou au Japon. Ces catastrophes ont tué des gens par milliers, mais elles ont servi de leçon à ces communautés qui ont changé leur mode de vie et surtout leur façon de construire.
Le P.D.G de Miyamoto International a également mis en évidence la nécessité pour les constructeurs de s'assurer de la bonne qualité des matériaux entrant dans la construction. La solidité d'un immeuble en dépend. A ce sujet, la formation des ingénieurs s'avère essentielle estime Miyamoto. « C'est de cette formation que va dépendre la vie de centaines de milliers de gens qui vont fréquenter les immeubles construits par ces derniers. C'est à eux qu'il revient de refuser les matériaux de mauvaise qualité fournis par des négociants de la place.»
Il est important d'utiliser les matériaux du milieu pour la construction au lieu d'utiliser les matériaux étrangers. Les matériaux locaux (béton, bois) peuvent être utilisés à volonté et s'adaptent facilement. Tandis que ceux importés, non seulement ne rentrent pas automatiquement dans les habitudes culturelles locales, mais aussi peuvent ne pas être toujours disponibles sur le long terme.
Tout en reconnaissant les capacités du fer qui est plus flexible, plus léger et donc plus résistant par rapport au séisme, Miyamoto persiste à croire que le béton, comme matériau produit localement, est mieux indiqué pour les types de construction haïtienne. Car, bien utilisé, le béton peut avoir les même performances que le fer tout en offrant la possibilité de produire des styles différents de construction.
Concernant la phobie des maisons à plusieurs étages constatée chez la plupart des Haïtiens après le 12 janvier, est-ce une attitude justifiée? «Les maisons à un ou deux étages sont aussi dangereuses que celles à plusieurs étages si elles sont mal construites», estime l'expert qui énumère six éléments à la base de la faiblesse des constructions haïtiennes:
- les matériaux de construction inconsistants;- absence de code de construction;- les autorisations pour les constructions ne sont pas délivrées;- absence de contrôle de qualité;- aucune gestion des risques;-aucune connaissance des normes antisismiques de construction.
Face à tant de déficits dans un pays à haut risque sismique, l'expert américano-japonais invite les Haïtiens à la vigilance.«Le temps de l'insomnie est révolu. Il faut vous réveiller. Vous vivez dans un pays à risque sismique comme un peu partout dans le monde. Il ne faut pas s'alarmer. Il n'y a pas plus de risque à vivre en Haïti qu'à San Francisco, à Istanbul ou à Tokyo. Seulement, il faut faire en sorte que les risques soient minimises quand ces événement se produisent à l'avenir», conclut le P.D.G de Miyamoto International.
Cyprien L. Gary