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Sophie a le temps

Par Jean-Louis Richard

IMG_3969moyen  "Waouh..." Sauf à l'Elysée (voir ici), Sophie n'avait jamais vu un aussi chouette bureau. Georges lui tendit une main comme une feuille de bananier.

- Bienvenue ma grande, Sylvain m'a promis que tu faisais des miracles.

- Ah, Sylvain, c'est lui qui a tout fait (voir ). Quel est votre sujet ?

- Tu sais que je préside Pathor, le leader mondial des photons inversés.

- A quoi ça sert, un "faux thon à verser" ?

- Ca fait vivre mes 32 000 collaborateurs. Mon sujet, c'est que je galope sans arrêt, tel le rat dans sa cage. A 49 ans, j'ai décidé de m'occuper de ça avant que ça s'occupe de moi.

(Résumé des 16 épisodes précédents : la petite Sophie poursuit sa découverte du monde de l'entreprise... Toute ressemblance avec des personnages réels est fortuite. Ses aventures complètes vous attendent ici)


- Vous n'avez Pathor.

Georges suivait le fil de ses pensées.

- Combien de temps te faut-il pour me sortir de là ?

- Ca commence bien. Vous avez un bon fournisseur de chocolats ?

Il lui tendit une boîte à la mesure de la feuille de bananier.

- Tu m'excuseras de ne pas t'accompagner, mon cardiologue m'a interdit le sucre.

Sophie ne se fit pas prier. Georges avait un goût très sûr pour quelqu'un au régime.

- Mmmh, sublime, vous perdez quelque chose. Moi, si on m'interdisait le chocolat, le temps me paraîtrait interminable. A part vous mettre aux sucrettes, que dit votre médecin ?

- Qu'avec quelques clients comme moi il va se payer le 4x4 de ses rêves. En sortant de son cabinet, j'ai songé à militer écolo.

- Depuis quand êtes-vous fâché avec le temps ?

- Depuis tout le temps. Gamin, je courais pour attraper le car scolaire. A l'armée, on me surnommait Speedy Gonzales. Mon voyage de noces a duré 3 jours. Je suis un courant d'air en cravate. Où est passée la touche Pause ?

- Vous savez, le temps, c'est comme l'argent. Bon serviteur, mauvais maître. Quel serait votre pire cauchemar ?

- Voyons... ça pourrait ressembler à ça : j'installe une douche et un lit de camp dans mon bureau, je travaille nuit et jour face à ma montagne de choses à faire. Trois semaines plus tard je rentre chez moi, ma valise est sur le palier.

- Que venez-vous de faire pour vous rapprocher de ce cauchemar ?

- Moi ? Rien, voyons ! Enfin, si, en y repensant, je viens d'ajouter mon quinzième collaborateur en direct. Mais je n'avais pas le choix.

- Ni le temps. Et vous croyez que je vais gober l'excuse de "pas le choix" venant d'un professionnel de votre envergure ?

- Je la gobe bien, moi.

- Vous, ça fait longtemps que vous avez décidé de ne pas voir, moi ça fait cinq minutes que ça me crève les yeux.

Sophie reprit un chocolat et décida de s'en occuper à fond. Georges cherchait.

- Oui, bon, peut-être que c'est en partie moi qui creuse mon trou. Comment puis-je le reboucher, maintenant que je suis décidé à changer ?

- Oubliez votre histoire de rat piégé par le temps. C'est quoi votre travail pour Pathor ?

- Je dois m'occuper de nos actionnaires, de nos grandes et petites décisions, de mes collaborateurs, faire bouger ce qui résiste, freiner ce qui va trop vite, enfin tout ce que fait un patron.

- N'importe qui à votre place en dirait autant. Cela ne me définit en rien votre identité professionnelle, ce que VOUS, vous apportez d'UNIQUE à Pathor.

- Tu veux dire, si je n'existais pas, en quoi Pathor, dirigé par un autre, serait différent ?

Sophie venait de découvrir les subtilités d'un chocolat noir à la pâte d'amande et avançait sur ce second projet. Georges était perplexe.

- C'est difficile de te répondre. J'allais te dire, avec un autre, Pathor aurait un tout autre visage. Sans moi peut-être, Pathor ne mettrait pas la main sur son rival canadien Touffeau & Co. Mais c'est plus compliqué que ça. Mes collaborateurs sont de très haut vol. Ce que vise Pathor, nous l'avons décidé ensemble et ils sont capables de le réaliser sans moi. Pour un autre patron, ils exploreraient de nouvelles voies et peut-être même que cela les mènerait plus vite au but. Plus j'y pense, moins je sais ce que je désire apporter d'unique à Pathor.

- Tant que vous ne saurez pas ce que vous désirez, vous ne l'obtiendrez que par hasard. Au surplus, vous pensez trop. Quel était votre premier poste de PDG ?

- Il y a quinze ans, chez Swen Corp (voir cet article), je dirigeais une filiale à Prague. 3000 personnes et des pertes, j'en ai bavé trois ans pour reconstruire tout ça.

- Avec tout ce que vous avez travaillé sur vous depuis quinze ans, comment ça se passerait si vous deviez reprendre un tel poste ?

- A l'époque je m'agitais comme un fou, je me demandais si j'étais bien à ma place. Si c'était à refaire, je serais serein. J'aurais confiance en ma puissance de leader. Je ne perdrais plus de temps à me rassurer et je me concentrerais sur l'essentiel. Mais dis-moi, Sophie, tu veux dire que je devrais revenir à un job de patron débutant pour sortir de ma cage ?

- Vous en savez assez Georges. Vous me semblez mûr pour arrêter de vous mentir à vous-même. Restez vigilant sur votre identité professionnelle et sur l'image que vous vous faites de votre place et de votre puissance de dirigeant. Cela peut prendre un peu de temps pour vous mettre au clair entre vous et vous, mais ce temps-là construira votre liberté au lieu de vous enfermer.

Sophie disparut avec un sourire qui remplit Georges de bonheur. Quoi de plus beau que le sourire d'une enfant ? Quand avait-il passé du temps à jouir ainsi de ce qu'il aimait ? De quelle liberté parlait Sophie ?

Il lui revint une citation de son cours de philo : "Les libertés nous possèdent, la liberté d'aimer nous fait grandir".

Qu'avait-il fait de sa liberté d'homme ? Comment avait-il pu oublier de travailler ce qu'il voulait imprimer de lui sur Pathor ? Pourquoi se voyait-il encore comme le dirigeant débordé qu'il avait été à 35 ans ? Quel face à face évitait-il avec ses désirs ?

Ce soir-là, Georges ne parla à personne de son entrevue avec Sophie. Il prit rendez-vous avec lui-même. Il était temps.



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