
Shareholders et stakeholders.
C'est le nom que donnent les anglo-saxons à ces deux catégories de personnes que tout peut rapprocher, mais que tout peut opposer.
Les shareholders, ce sont les porteurs de parts. Dans les sociétés, ce sont les propriétaires de l'entreprise, ils choisissent les administrateurs qui eux-mêmes choisissent les directeurs, les « patrons » qui veilleront aux destinées de la firme.
Les stakeholders, ce sont ceux qui apportent leur soutien. En français on peut difficilement parler de « porteurs de pieux – ou de piquets (stake) », on peut dire partenaires. Ce sont tous ceux avec lesquels l'entreprise doit compter pour fonctionner dans des conditions normales : les administrations, les élus locaux, les syndicats, les riverains. Evidemment leur liste est plus ouverte et moins précise que celle des actionnaires, qui acquièrent leur qualité de la possession d'actions de la société.
Une ambiguïté concerne ceux qui ne sont pas actionnaires, mais sont un peu plus que partenaires : toutes les personnes liées à l'entreprise par contrat : les salariés, les prêteurs (obligataires, banquiers, investisseurs), les fournisseurs et les sous-traitants. Eux aussi concourent au fonctionnement de l'entreprise, mais leurs relations sont marchandes, alors que les relations liées avec les partenaires relèvent du dialogue, de la négociation, de la coopération, et assez souvent du rapport de forces.
Les actionnaires n'ont pas la cote
Ils constituent la base juridique de la société, mais on a tendance à les oublier, quand on ne les considère pas comme des parasites. Ce sont pourtant eux et eux seuls qui, en vertu du droit, sont maîtres du destin de l'entreprise, puisqu'elle leur appartient. Ils exercent ce que l'on appelle la gouvernance : ils contrôlent les dirigeants en fonction des résultats obtenus, et ils ont pour point de repère le profit réalisé, la rentabilité obtenue.
Mais ce système de gouvernance n'est-il pas théorique ? Dans des sociétés où il y a un grand nombre d'actionnaires, les dirigeants et administrateurs n'ont rien à craindre des assemblées générales, car la masse des petits porteurs est impuissante face à des gens qui ont pour eux l'information et la compétence.
Toutefois ces mêmes actionnaires, apparemment privés de leur pouvoir juridique, n'en conservent pas moins un pouvoir financier : ils peuvent toujours vendre les actions d'une société dont les dirigeants les ont déçus. La baisse des cours expose la société à des raids inamicaux : d'autres sociétés peuvent en prendre le contrôle et liquider les dirigeants en place. Les managers n'ont donc aucun intérêt à engager l'entreprise dans des opérations perdantes, la rentabilité s'impose à eux.
C'est ce concept de rentabilité qui devient la bête noire de tous ceux qui pensent que l'entreprise est faite pour la production, pas pour la finance. Les actionnaires deviennent vite les boucs émissaires de toutes les difficultés qui assaillent l'entreprise.
Puissance et irresponsabilité des partenaires
Mais si le contrôle par les actionnaires devient insupportable à certains, qui va donc fixer le destin de l'entreprise ? On est tenté de regarder du côté des partenaires, qui ont incontestablement un grand pouvoir sur les dirigeants.
L'administration, par ses règlements, ses discriminations fiscales et ses subventions, peut faire pendant un certain temps la prospérité ou la ruine d'une entreprise. Les élus locaux, par le jeu des permis de construire, des taxes et aides, entrent aussi en jeu. Tous les gens du voisinage ont aussi leur mot à dire, notamment en matière d'environnement. Enfin, et non le moindre, les syndicats peuvent bloquer toute décision des directions concernant les rémunérations et les conditions de travail, mais aussi – comme on le voit avec Total – l'implantation et la vocation de l'entreprise. Mais cette puissance des partenaires, si elle s'applique à oublier ou détruire la rentabilité, devient irresponsable : elle privilégie le court terme, et des intérêts extérieurs à ceux de l'entreprise. Il serait évidemment stupide d'ignorer les partenaires, mais leur rôle ne peut être que d'accompagner l'entreprise dans ses projets, à charge pour les dirigeants de conjuguer les intérêts des partenaires et des actionnaires.
Le destin de l'entreprise est ailleurs
Quels que soient le contrôle et la motivation des actionnaires et des partenaires, il ne faut pas oublier que l'avenir de l'entreprise se joue finalement sur le marché. Ce sont les clients qui expriment leur satisfaction ou leur mécontentement. Ce sont les prix et les profits qui situent la performance de l'entreprise, et l'encouragent à investir et produire à bon escient. L'entreprise est sous la pression permanente de la concurrence, qui est plus forte que la puissance de tous les partenaires possibles, et qui ramène aussi les actionnaires à la réalité.
Action de la Baltimore and Ohio Railroad Company (1827), image libre de droits.