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Max | La vieille étable

Publié le 30 mars 2010 par Aragon

mont30.JPGJ'ai poussé la porte de cette vieille étable. Les vaches s'étaient enfuies depuis des lustres, évanouies dans la mémoire de la vallée. Nulle odeur, nul meuglement, nulle bouse chaude. Des monceaux de toiles d'araignées recouvraient les râteliers et les mangeoires. Tout était sombre, abandonné et silencieux.

Sous la grange, le char est définitivement bloqué. Un oiseau pourrait venir faire sans crainte son nid dans les rayons de ses roues. Où est son joug, son attelage de chairs  doubles, cornues et musculeuses, se fourrant par instant la langue dans les trous des naseaux fumants, où est son attelage accablé par les mouches l'été ?

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Il y eut ici de la vie.

Des femmes, des hommes et puis des enfants, des vieux qui venaient chauffer leurs dos au soleil dans la cour ensoulanée. Du vin dans les barriques. Des jambons qui pendaient aux poutres des cuisines. Du feu dans les cheminées. Des fourches et des faux inscrites dans les murs.

Des chiens et des chats. Des poules et des cochons. Ces vaches qui venaient boire dans cet abreuvoir de pierre, semblant à un sarcophage, dont l'intérieur est envahi d'humus et recouvert d'orties. Le grenier, dont je vois une partie de son volume, depuis l'étable en dessous, à travers son plancher éclaté, est orphelin de son foin, de l'avoine et du blé, depuis si longtemps.

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Tout ici respire la nostalgie et l'oubli. L'absence. L'appel du cimetière est poignant. Combien de villages de montagne comme celui-ci avec leurs étables porteuses d'oubli et de si longues absences ?

Personne ne se souvient. C'est fou la distance qu'il peut y avoir entre deux simples générations !

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Nos grands-parents et leurs parents semblent même pour nous relever du paléolithique. Les gestes simples et utiles, les fureurs et les mille misères, les si petits bonheurs de cette totale ruralité...

Tout, tout semble aujourd'hui imprimé sur un mur comme un dessin sur les flancs froids de Lascaux ou d'Altamira.

Cette faucille rouillée, fichée sur la poutre maîtresse de ce grenier dépossédé, battu de courants d'air, cette faucille est bien la pointe d'une défense de mamouth.

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Puis un jour il n'y eut plus rien.

Très vite, c'est arrivé très vite dans les villages parfois. La fille se marie et part au loin, à la ville ou dans l'autre vallée.

Le garçon reprend la ferme un temps et puis la sirène de l'usine d'aluminium ou du bassin de Lacq, va l'attirer plus sûrement que celles des mers chaudes des compagnons d'Ithaque.

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J'ai souvent remarqué qu'il restait des fleurs et des arbres dans les cours ou jardins des maisons et des fermes ruinées.

Les bêtes et les gens morts ou partis, la végétation pérenne lutte pendant des décennies.

Les fleurs, les arbres, exultent longtemps après la disparition de leurs maîtres.

Longtemps après la mort des gens, tout repose sur les fleurs de leurs arbres qui reviennent en vagues colorées, printemps après printemps.

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Que sait-on de l'histoire d'un village, d'un hameau, de celle d'une ferme abandonnée ? On ne sait rien.

On pousse la porte d'une vieille étable. Si le voisin, surpris par l'arrêt de cette voiture inconnue au bord du chemin, montre son nez, on lui dit : "Ne vous inquiétez-pas, je suis d'ici, je prends juste une photo de cette vieille étable..."


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