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Jean-Luc Hees réplique à Stéphane Guillon

Publié le 01 avril 2010 par Sylvainrakotoarison

(dépêche)

Jean-Luc Hees réplique à Stéphane Guillon

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/04/01/je-persiste-et-signe-l-humour-a-ses-frontieres-par-jean-luc-hees_1327424_3232.html
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3232,50-1327424,0.html
Point de vue
Je persiste et signe : l'humour a ses frontières, par Jean-Luc Hees
LE MONDE | 01.04.10 | 13h49  •  Mis à jour le 01.04.10 | 16h55
'ai patiemment attendu que la poussière retombe dans le bac à sable, histoire de voir jusqu'où l'élégance et l'humour pouvaient cohabiter dans les années 2010. Je n'ai pas été déçu. Il me faut donc revenir sur un épisode de notre vie publique. C'est vrai : c'est un épisode qui ne relève pas de l'anecdote, et peut-être même pas de l'humour. A moins que l'humour soit devenu le cache-sexe du vide cérébral, ce que je me refuse à croire.
 
Le 22 mars, un humoriste dressait à l'antenne de France Inter le portrait d'Eric Besson. Il décrivait notamment "les yeux de fouine d'Eric Besson, et son menton fuyant". Faut-il s'excuser d'être profondément choqué de ce qu'on entend sur une station dont on est responsable ? Oui. J'ai présenté des excuses publiques. Me voilà donc, en bonne logique, traité de "liberticide". Rien que cela ! Ainsi va l'analyse, dans sa profondeur et son honnêteté.
Pour tout dire, l'affaire me paraît sérieuse. Il ne s'agit pas de moi. Je pratique le journalisme depuis quarante ans, avec diverses fortunes, et je crois avoir montré mon penchant profond pour la liberté, notamment sur les antennes du service public. Des gens comme Guy Bedos (au hasard) peuvent en témoigner. S'il me faut revenir sur le sujet qui nous occupe réellement, c'est que la polémique, qu'on peut après tout regarder avec légèreté, met en cause, si on me permet un peu d'emphase, des principes fondamentaux pour la République et la démocratie.
Rien n'est plus important, pour un républicain, pour un démocrate, que l'attachement à la liberté d'opinion et d'expression. C'est la vertu cardinale, sur laquelle repose tout notre système politique. J'aimerais citer ici l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi." Nous sommes donc tous d'accord : les libertés d'opinion, d'expression, d'association, de manifestation sont les piliers de notre socle démocratique.
Comme citoyen, je suis l'héritier, fier de l'être, de cette tradition démocratique française. Comme responsable d'un grand média, je suis dépositaire du devoir impérieux de la mettre en oeuvre en permanence. C'est mon honneur, et c'est ma conviction. Et puis, il y a l'humour. L'humour a tous les droits, et d'abord ceux de l'outrance, de la caricature et même de la méchanceté. Il se trouve que l'humoriste n'a que deux limites : celle de l'acceptabilité des citoyens (dont il est le premier juge). Et puis celle des grandes valeurs morales qui scellent le pacte républicain. C'est là que le bât blesse.
Face à un principe fondamental, il faut aussi savoir défendre les limites de ce principe. Les seules limites sont précisément celles de l'autre, de l'autre individu, qui, lui aussi, a droit à la protection de sa liberté. Enfin, il y a la limite du pacte républicain, qui unit tous les citoyens.
Or, à cet égard, nous avons une histoire. Qui nous enseigne que l'attaque personnelle, fondée sur le physique de la personne, fait partie de ces valeurs infranchissables. Les années sombres, les références tellement amusantes aux yeux de fouine, au nez et aux doigts crochus, sont là pour nous le rappeler. Là, la plaisanterie doit s'arrêter. L'humour a ses frontières qui sont celles de la morale républicaine. Il n'est pas interdit, même à un humoriste, de s'interroger sur sa responsabilité morale, citoyenne. Osons le mot : sur sa responsabilité politique, au sens noble du mot. L'attaque sur les aspects physiques d'une personne est intolérable. Le simple bon sens encourage à penser que s'élever contre les attaques "au faciès" ne constitue ni une posture de droite ni une posture de gauche.
Je suis président d'un média de service public. Et si ce qui précède ne suffisait pas, cela me confère tout particulièrement un rôle de vigilance sur les principes que je rappelle. Qu'on relise les phrases de notre "humoriste" à propos du ministre Besson. Qu'on relise ces impayables vannes sur l'apparence physique de Martine Aubry... J'ai présenté des excuses. Figurez-vous qu'il m'arrive dans la vie de présenter des excuses lorsque j'estime nécessaire de le faire. J'en conseille vivement la pratique dans une société qui se réclame de la tolérance, du progrès, voire de la justice. Et j'invite à y réfléchir ceux qui osent parler d'atteinte à la liberté. De qui se moque-t-on ?
Qui ne dit mot consent. C'est vrai, il est plus confortable de se boucher les oreilles, les yeux, voire les narines, que d'exprimer, tranquillement, ses convictions lorsqu'on se trouve dans le champ de la vie publique. On devient alors "malin". J'ai entendu un certain nombre de "malins" ces derniers jours. Je ne compte pas, pour ma part, entamer une carrière de "malin". Je ne suis pas censeur. Quelle sottise ! Mais, j'ai toujours préféré la violence d'un Lenny Bruce ou d'un Desproges (que l'on met aujourd'hui, hélas ! à toutes les sauces) à la tranquille certitude d'autres amuseurs. C'est mon droit. Continuons donc à rigoler, même si, par nature, je ne ris pas au coup de sifflet, et encore moins au coup de fouet.
Un mot encore : ce n'est pas la peine de crier avant d'avoir mal. L'escalade délibérée est puérile, et je n'emploie pas le mot tout à fait au hasard. France Inter, et cette séquence le prouve à l'envi, est chimiquement pure sur le chapitre des libertés. Sauf à considérer qu'en s'autoproclamant génial et intouchable, on s'assure un droit inaliénable de propriété d'un bien public, alors que tant d'autres doivent, chaque jour que Dieu fait, montrer la preuve de leur talent.
Veillons donc jalousement à la liberté. Cela dit, j'essaye toujours de comprendre pourquoi, président de Radio France, je n'ai pas le droit de ne pas rire aux injonctions d'un membre du personnel. Pour le coup, je me marre.
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Jean Luc Hees est président de Radio France.
 
Article paru dans l'édition du 02.04.10


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