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Jouer à deux

Publié le 09 avril 2010 par Eric Viennot

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J’ai longtemps été surpris par ces gens autour de moi qui ne concevaient pas d’aller voir un film seul. A part le prétexte (lui-même raconté tant de fois dans les films) de se retrouver près d’une jeune fille convoitée dont on pouvait effleurer la main sans honte, protégé par la pénombre, mon esprit de loup solitaire ne comprenait pas trop l’intérêt de se retrouver à plusieurs dans le noir, face à l’écran, sans pouvoir parler. J’ai mis ainsi de nombreuses années à comprendre la dimension relationnelle et sociale du cinéma qui se joue avant et souvent après le visionnage du film autour d’un verre ou d’un repas.

De la même façon, mon attirance pour les jeux narratifs m’a toujours fait préférer les parties solos, plutôt que de me retrouver en compétition avec d’autres joueurs. J’ai longtemps pensé que la seule façon de jouer à deux était de jouer l’un contre l’autre. Jusqu’au jour où j’ai dû aider mon fils, alors âgé de 5 ou 6 ans, bloqué au début d’une partie de Rayman 2. Ce fut une véritable révélation : en se passant la manette à tour de rôle, nous avons vécu ensemble des émotions inoubliables. La solitude d’Ico perdant Yorda, le combat légendaire face à Ganondorf, les facéties de Jak et Dexter, ces moments forts n’auraient sans doute pas la même saveur dans ma mémoire si nous ne les avions pas partagés ensemble dans un esprit de collaboration et de complicité uniques.

Aujourd’hui mon fils a 13 ans. Il y a longtemps qu’il n’a plus besoin de moi pour passer les boss de fin de niveau. Ce serait plutôt l’inverse. Quand les jeux auxquels ils s’adonnent ne sont pas trop violents, c’est désormais sa petite sœur de 7 ans qui l’accompagne dans ses différentes épopées. Elle regarde cela comme on regarde un film dont son frère serait le héros.

Je connais autour de moi peu de gens de ma génération qui jouent ainsi avec leurs enfants. En revanche, il m’arrive de rencontrer des joueurs trentenaires qui me confient jouer de plus en plus régulièrement à deux, souvent en couple, à certains jeux narratifs. L’un joue, l’autre regarde. Au fur et à mesure qu’on avance, on donne à l’autre son avis sur tel ou tel embranchement de l’histoire. On partage parfois ses questionnements sur les implications de tel ou tel choix offert par le scénario. Chacun à leur façon, parmi les jeux les plus récents, Runaway, Uncharted ou Heavy Rain se prêtent à merveille à ce genre de plaisir.


Hélas, les jeux de cette trempe sont trop rares. Et ces nombreux gamers, de plus en plus nombreux, qui ont passé la trentaine, se désolent de ne pas trouver suffisamment de jeux qu’ils peuvent partager ainsi à deux. Trop simpliste, trop violent, trop enfantin, trop flippant, trop compliqué… Le choix offert par l’industrie du jeu vidéo regorge de ces « trop ».
Pour que ça marche, il faut être dans cette voie du milieu que j’ai souvent évoquée : scénario riche, personnages attachants, mise en scène soignée, alliés à la simplicité de certains jeux « casual » : interface dépouillée,  gameplay accessible. Idéalement, il faudrait ajouter un mode collaboratif en option (quand c’est possible, comme cela pourrait l’être par exemple dans la série Uncharted). Cela permettrait d’éviter qu’un des deux reste passif. La dernière fois que nous avons joué en collaboration avec mes enfants, c’était à Little Big Planet. Je n’ai jamais compris pourquoi le mode collaboratif avait si peu la cote auprès des développeurs. 
Malheureusement, aux yeux de nombreux éditeurs, associer ces différents paramètres semble être une aberration.

En devenant adulte, le jeu vidéo, ses codes et ses habitudes changent, comme son public. Que ce soit en mode collaboratif ou pas, les éditeurs et les développeurs devront répondre à cette demande de plus en plus forte de jouer à deux. Non pas l’un contre l’autre mais l’un tout contre l’autre.

Illustration : Little Big Planet



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