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Le 6 avril, à 9h45 sur PLANETE : LE SECRET DE PEDRA FURADA.

Par Ananda

Situé dans le Nord-Est du Brésil, dans l'état de Piaui, le Parc National de La Pedra Furada est une gigantesque mine de peintures rupestres qui a révolutionné les idées des préhistoriens sur l'art rupestre et sur la nature (origine, ancienneté) du tout premier peuplement des Amériques.

Il fut découvert dans les années 1970 par une femme, l'archéologue franco-brésilienne Nied Guidon, qui nous servira de guide tout au long de ce documentaire. Septuagénaire à la personnalité visiblement très forte, Nied Guidon arpente encore allégrement la brousse brésilienne du Nordeste en quête d'abris sous roche nouveaux.

Rien ne semble en mesure d'arrêter la passion et l'énergie exceptionnelles de cette petite femme ronde à la chevelure touffue et argentée, au parler extrêmement direct, aux manière ouvertes, sympathiques, qui, presque d'emblée, réussit à rendre son centre d'intérêt "contagieux".

Entrant aussitôt dans le vif du sujet, elle nous sert une comparaison qui assimile  La Pedra Furada à une immense "bande dessinée", car il est un fait que ses peintures rupestres "racontent" bel et bien "des histoires". Les scènes qu'elles représentent sont (quoique assez schématiques) suffisamment parlantes pour qu'on en soit sûr : elles figurent des coutumes, des rites, des jeux et des scènes quotidiennes détaillées, voire crues, telles des accouchements ou des relations sexuelles où l'on remarque un homme doté d'un phallus démesuré. C'est avec force que Mme Guidon, qui s'exprime en français, souligne la "richesse des formes d'humains, d'animaux et des thèmes", lesquels "durent pendant des millénaires", ce qui est, en soi, fort remarquable.

Remarquable aussi, nous l'avons déjà souligné, l'abondance des sites. La chercheuse s'attarde sur l'un d'eux, en martelant qu' "il y a 1000 figures" sur ces seules parois.

Lorsque le CNRS effectua la datation de ces gravures, il tomba sur un verdict qui ne put que frapper de stupeur l'archéologue elle-même : 25 000 ans ! "C'était impossible", s'exclame-t-elle encore, émerveillée - et il y a de quoi.

750 m2 ont été fouillés à ce jour.

Les strates d'occupation humaine les plus anciennes remontent à 58 000 ans.

Je vous laisse le soin d'imaginer le bouleversement que ce scoop occasionna dans la grande tribu des archéologues. N'ayons pas peur des mots, la très latine Nied Guidon prononce celui de "cataclysme" !

Les plus atteints par l'onde de choc furent les spécialistes américains : ces yankees virent d'un mauvais oeil qu'on ébranle leur conviction bien ancrée que le tout premier peuplement du "Nouveau Monde" datait seulement de 13 000 ans, et qu'il avait consisté en une migration via le détroit de Behring emprisonné  en ce temps-là dans les glaces, de populations asiatiques sibériennes.

Qui se serait attendu à une présence humaine si ancienne sur le sol du continent ?

Et, mystère bien plus grand encore, d'où ces Hommes, ces chasseurs-cueilleurs tailleurs et polisseurs de pierres , pouvaient-ils bien provenir ?

On a, à ce sujet, à l'heure qu'il est, tout lieu de conjecturer qu'ils sont d'origine africaine (leurs crânes et leurs faces présentent des traits "négroïdes" * )  et auraient pu migrer en franchissant (mais on se demande comment, à une époque si reculée) l'Océan Atlantique.

Nied Guidon s'attarde sur un autre site, celui dit "Pedra Furada I". Associé à une fourchette de datation située entre 5 000 et 42 000 ans, il est riche en éclats de quartz et quartzite (galets) élaborés sur place, puis ensuite abandonnés là, sur "ce qui était des lieux de pêche, de chasse et de peinture".

L'université française de Nanterre l'a bien confirmé : "ces pierres ont bien été taillées par l'Homme il y a de ça 100 000 ans", pavoise l'archéologue .

En 1991, l'ensemble de l'immense site brésilien s'est vu classé par l'UNESCO, avant de devenir, trois ans plus tard, un parc national du Brésil.

"Ici, insiste Nied Guidon, on découvre chaque année de nouveaux sites".

Ce qui n'empêche que les sites sont connus depuis longtemps par la population locale, qui est souvent mise à contribution par les équipes de fouilleurs pour le "minutieux travail à la truelle".

Un exemple nous en est vite fourni, celui d'un abri sous roche découvert en 1975, où figurent des peintures remontant à 8 000 ans, parmi lesquelles "un très beau et très grand cervidé" dont le support rocheux s'est, hélas, détaché de la paroi d'origine pour tomber à terre, en morceaux  formant un véritable "puzzle". Il faut de nombreux ouvriers - et de très nombreuses précautions -  pour dégager ces blocs de roche et, surtout, pour les brosser et, de la sorte, faire apparaître la coloration des peintures. La reconstitution des dessins se fait en emboîtant les pans de paroi tombés au sol. Travail ardu.

On constate, sur le site de cet abri, la présence de "nombreux cervidés"; ceci, nous explique-t-on, s'explique par le fait que, voici 9 000 ans, en lieu et place de l'actuelle "catinga" d'épineux, s'étendait une "immense forêt luxuriante", idéale pour une telle faune. Ce qui frappe dès lors qu'on regarde de plus près les cervidés représentés, ce sont les formes qu'ils affichent, "très différentes les unes des autres" (par exemple, les corps "géométriques" côtoient les bêtes aux "ventres arrondis"), de même que le fait que "plus le temps passe, plus les graphismes se complexifient".

Mais, malheureusement, ces trésors courent, à l'heure qu'il est, un très grand risque; Nied Guidon, non sans légitime désolation, met le doigt dessus : "vent, sable et érosion menacent la longévité des sites". Autre menace, non moins négligeable et non moins désolante, celle que font courir les paysans locaux qui, considérant les représentations comme des "peintures d'Indiens", par profond mépris raciste envers les populations autochtones, les détruisent sans état d'âme et menacent les archéologues, qui les gênent. D'où l'inévitable conflit.

Mme Guidon faisant résolument front, en 2004, on frôle l'émeute. L'archéologue nous confie : "ce fut très affligeant pour tout le monde".

"Aujourd'hui, ça s'est calmé", même si des chasseurs tirent toujours sur les pauvres peintures. Le Parc National a été obligé d'engager des milliers de gardiens pour leur protection. Il n'en demeure pas moins que les gardiens attrappent peu de chasseurs (guère plus de trois par jour en moyenne) et en attrappent de moins en moins, pour la bonne (ou plutôt mauvaise) raison que "les chasseurs sont devenus plus prudents".

Passons maintenant à un fléau supplémentaire, contre lequel Nied Guidon lutte sans relâche : les déboisements par les agriculteurs, qui concernent la partie nord de la Sierra Capibara. Ces actions, s'accompagnant de feux de broussailles, mettent le Parc en danger. Avec cela, "une scierie a débité des centaines d'arbres", se voit contrainte de déplorer l'opiniâtre chercheuse, qui ajoute aussitôt : "les paysans, bien que conscients des problèmes, sont prêts à tout pour vivre; il faut déboiser pour planter". A ne pas oublier : nous sommes dans un pays en voie de développement, au coeur d'une région particulièrement déshéritée. Alors, avec le pragmatisme qui la caractérise, Nied a conçu le projet d'employer tous ces paysans misérables et privés d'écoles dans le Parc National qui, affirme-t-elle, "pourrait attirer, par an, trois millions de touristes", ce qui serait une manne. Oui, mais voilà...si l'on veut des touristes en grand nombre, il faut un aéroport, et un aéroport international, rien de moins !

C'est à ce moment que, médusés, on apprend que l'archéologue attend depuis douze ans la construction de l'aéroport de ses rêves, alors même que 21 millions de dollars ont été versés dans ce but par l'état brésilien.

Là encore, nous sommes dans le Tiers-Monde : il faut compter avec les "affaires louches", qui sont loin de manquer. L'argent est détourné et les travaux entrepris ne vont jamais jusqu'au bout. Même si nous écoutons, un court moment, le gouverneur de l'état de Piaui, pointé du doigt, "faire des promesses".

Nied soupire. Elle est fatiguée. Elle rentre chez elle, sous le poids d'une de ses journées plus que bien remplies.

Tous les jours, de 5h à 20h, l'archéologue "va au charbon", et se donne toute entière. La lassitude que reflète son visage amène dans la bouche du journaliste qui la suit une question : "pourquoi voulez-vous rester ?".

Oui...pourquoi rester alors qu'elle pourrait s'octroyer, enfin, une retraîte bien gagnée loin de cette terre  pauvre, rouge, sèche, ingrate en regagnant la France ? Avec son bel accent brésilien teinté de lassitude, la vieille dame tente de répondre : "on a fait un très grand travail; c'est un travail de plus de trente ans. Je ne voudrais pas que ça se perde. C'est l'histoire de l'humanité. C'est l'appel de ces hommes préhistoriques qui me fait rester". Puis, catégorique, elle répète : "on ne peut pas perdre ce patrimoine".

Elle a 75 ans et le Brésil manque tragiquement d'archéologues. Infatigable en dépit de ses quelques moments de baisse de tonus qui la rendent pensive, cette femme de tête et d'exception, si vivante, crée la FUNDAM, une école d'archéologie où des jeunes prennent la relève.

Fréquemment comparée à l'Abbé Breuil et, surtout, à Indiana Jones (en raison de son côté pionnier, de son esprit acharné d'aventure), Nied Guidon , vous vous en doutez,"n'est jamais bien loin des étudiants qui piochent". Ainsi la voyons-nous tourner autour d'un lieu de fouille, qui vient, comme elle nous le dit si bien, toute excitée, de révéler "un foyer, avec pierres, concentration de charbon et cendres. Un sol très fréquenté".

Nied se montre, comme on s'en doute aussi, très exigeante avec ses élèves, auxquels elle dispense des cours en plein air. Grâce à ces derniers - qui, par ailleurs, sont tous originaires de la région - "la continuité est assurée", ce qui représente un grand facteur de satisfaction et de soulagement pour la chercheuse.

Nied, force est de le constater, ne se lasse jamais des découvertes, et leur caractère inépuisable n'a pour effet que de la stimuler.

Elle nous claironne qu'en 2006, ses élèves ont fait une "incroyable" trouvaille : "les restes d'un crâne humain accompagnés de deux dents de cervidé typique des forêts humides, dans une concrétion calcaire".

"Le squelette était tout fragmenté", mais la datation des calcaires fut parlante : 25 000 ans. Celle des deux dents accompagnant le crâne montait, elle, à 37 000 ans. "Les plus anciens de l'Amérique !" s'exclame Nied Guidon tout fièrement. Puis elle conclut en réitérant : "c'est la plus vieille peinture du monde" (en effet, l'université de Saô Paulo la fait remonter à 35 900 ans, ce qui dépasse en ancienneté celle de Chauvet) et en s'émerveillant encore à la pensée qu' "il y a trop de sites".

Trop de sites ? Sans doute. Mais pourquoi ?

Elle ne tarde pas à répondre, et sa réponse n'est pas moins fascinante que tout ce qui a précédé; "ils sont arrivé très tôt", rappelle-t-elle, ce qui leur a donné tout le temps de s'implanter, et de s'étendre, sur un sol encore tout à eux.

On reste admiratif devant le rapport, si familier, qu'entretient Nied avec ces mystérieux chasseurs-cueilleurs  du fond des temps, pour qui elle a tout sacrifié. Cela ne s'appelle-t-il pas de l'amour ?

P.Laranco.

*  J'ai appris cela voici plusieurs années, en regardant un autre documentaire; on y présentait une reconstitution faciale d'après un des crânes trouvés sur le site et on l'y baptisait "La première américaine".


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