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Valeurs humaines garde-fou du temps et de nos exigences.

Publié le 12 avril 2010 par Houdremont

Valeurs humaines garde-fou du temps et de nos exigences.L'actualité quotidienne est faite d'exigences : exigence de démocratie, exigence économique, exigence de rigueur, exigence de rentabilité, exigence de sécurité,....

Une exigence plus que les autres m'interpelle au plus haut point. C'est celle du temps. Le temps gagné sur la production, celui gagné sur les déplacements. Mais qu'en est-il du temps de la réflexion ? J'ai justement voulu prendre ce temps pour voir si les exigences d'aujourd'hui ne sont pas les fossoyeuses des exigences de demain.

Quand on regarde les définitions de l'exigence dans les différents dictionnaires on trouve ceci:

  • ce que quelqu'un exige d'autrui.
  • caractère d'une personne difficile à contenter.
  • contraintes, nécessité qu'impose une activité.

Ces définitions, si elles sont justes, me paraissent très académiques, froides d'une distanciation, sans doute nécessaire pour un dictionnaire, avec le réel.

Alors, pour aller plus loin , je me suis mis à chercher les différentes citations et là, j'ai commencé à trouver mon bonheur.

  • Je ne suis qu'un homme moyen, plus une exigence. Albert Camus:
  • Qu'est-ce que ton devoir ? L'exigence de chaque jour! Johann Wolfgang von Goethe

Ces deux premières citations invitent à réfléchir sur le fait que l'un des éléments nécessaires à la structuration de l'homme c'est l'exigence. L'exigence comme un besoin, au risque, comme le chante Jacques Brel, de faire penser qu'à défaut d'exigence nous n'avons pas de besoin.

Si c'est une condition nécessaire à notre structuration il convient également de donner un sens à cette exigence.

Je voudrais revenir sur cette exigence autour du temps.

Ce qui caractérise le temps que nous vivons, c'est l'exigence de résultats rapides et immédiats. Cette exigence là est née très probablement et pour partie de l'émergence des outils de la communication qui amènent à repenser les distances et le temps. Si l'on n' y prend pas garde elle peut amener nombre de dérives:

Paul Virilio, urbaniste et essayiste connut pour son regard critique sur la société de l'information évoque cette exigence de rapidité qui va a contre sens d'elle même: La liberté de choix et d'intelligence en commun est contestée par l'exigence, en tous domaines, de réponses immédiates.

Pour Paul Virilio cette exigence là va à contre sens de la liberté, et desservirait l'homme en insultant son intelligence .

Il est vrai que l'exigence de résultats rapides en politique permet par exemple en matière de sécurité, la mise en œuvre de réponses immédiates presque exclusivement répressives, rejetant d'autres solutions préventives et éducatives faisant appel à l'intelligence, et au temps nécessaire à la réflexion, la maturation et la mise en œuvre.

L'exigence de rentabilité financière à court terme ne permet pas de percevoir à long terme les conséquences et sociales et environnementales de nombre de décisions, (la perte de savoir faire notamment par les délocalisations, la prolifération des OGM sans se laisser le temps d'en percevoir tous les impactes, ...)

L'exigence d'être le premier à donner l'information au JT du vingt heure éloigne le journaliste de son premier devoir, celui de vérifier ses informations, rendant que trop vraie la pensée de Sören Kierkegaard, philosophe et théologien danois du XIX : Les gens exigent la liberté d'expression pour compenser la liberté de pensée qu'ils préfèrent éviter.

Nous pourrions tous, je crois, tirer ce fil et voir qu'en définitif, l'exigence soit à perdue de son sens réel, soit est utilisée comme le dit Paul Virilio: à contre sens d'elle même.

Mais alors sur quoi doit-on se fonder pour que l'exigence ait un sens?

Le monde de la chanson a vu disparaitre ses derniers mois deux artistes très différents, mais dont les critiques s'accordent à dire la même chose. De Bashung et Ferrat se qui les caractérisaient c'était qu'ils n'avaient pas renoncé à un certain niveau d'exigence pour être populaire. En référence à la citation d' Albert Camus, ils n'étaient tout deux " que des hommes moyens, plus une exigence ", celle de ne pas considérer que le fait de s'adresser au plus grand nombre imposait nécessairement de rogner sur la qualité musicale et sur la profondeur de leurs textes.

Cette exigence là, s'appuie sur ce qui à mon sens est une valeur essentielle: le respect. Respect du public en s'adressant à l'intelligence de chacun

Elle s'appuie également sur la nécessaire maturation, elle prend le temps de la réflexion, de l'imagination, ... Pas de création dans la précipitation au risque de la médiocrité.

Exigence et valeurs humaines, voici qui fait écho à ce que je vis.

J'ai eu la très grande chance de grandir dans la cohérence. Cohérence d'une vie familiale respectueuses des principes d'égalité, d'équité, de démocratie, de fraternité, de solidarité. Une cohérence érigée en exigence de vie qui m'a permis de sauver des décombres d'une idéologie fourvoyée ce qui à mon sens est fondamentale; la compréhension, l'affirmation et le respect de valeurs humaines, ainsi qu'une dose nécessaire d'utopie pour faire vivre ses valeurs .

De cet héritage, je fais mienne la pensée d' Augusto Roa Bastos ecrivain paraguyen qui en exil affronta la dictature de son pays: L'exigence d'une union étroite entre parole et action, en vue du bien commun de l'humanité, doit être plus forte chaque jour.

C'est ainsi que chaque jour dans ma fonction d'animation de projet et d'équipe j'ai cette exigence de me poser cette question simple: Ai-je fait aujourd'hui tout ce qui va bien dans le sens de l'intérêt général en appui sur les valeurs humaines dont je me sens légataire? Responsabilité, créativité, goût de l'effort pour dépasser ses limites et progresser, solidarité, esprit critique et démocratie.

Ces valeurs constituent le fil conducteur quotidien de mes exigences:

  • exigence d'assumer pleinement mes responsabilités vis à vis de la mission qui m'est confiée,
  • exigence de ne pas faiblir devant la difficulté en relever les défis et faire preuve de créativité,
  • exigence de faire vivre la solidarité et l'entraide,
  • exigence de faire preuve de lucidité en restant critique face à chaque situation,
  • exigence d'organiser le débat et la prise de décision avec l'ensemble des personnes qui m'entourent.

Par respect de moi-même et d'autrui, je ne me sens pas le droit d'y déroger. Ce n'est pas tous les jours facile, mais comme aime à rappeler mon ami Gilles en citant Sören Kierkegaard :Ce n'est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est le chemin. C'est une condition nécessaire à l'exigence de cohérence. L'autre condition est de ne jamais agir dans la précipitation, prendre le temps nécessaire à la réflexion puis celle de l'action.

L'exigence est une vertu qu'il faut cultiver face à une société ou le tout venant, le n'importe quoi, le renoncement perpétuel à ses engagements, la prise de décisions rapides sont devenues une façon d'exercer le pouvoir. Le temps n'est certes pas seul en jeu il est plus un outil au service de l'exercice du pouvoir car toujours selon Virilio : Si le temps c'est de l'argent, la vitesse c'est le pouvoir. La vitesse permet ainsi d'éviter d'engager des démarches exigeantes qui feraient appel à l'intelligence de tous !

Pour revenir à ma question du début: " les exigences d'aujourd'hui peuvent être les fossoyeuses de demain? " je crois que les conditions nécessaires pour éviter ceci sont dans le titre de ce billet.


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