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Nos lycéens auront le Nobel d'économie

Publié le 13 avril 2010 par Copeau @Contrepoints

Nos lycéens auront le Nobel d'économie

Il y a des années qu'on entend dire - à juste titre- que les Français sont ignares en économie et qu'ils comprennent moins bien l'économie de marché que les autres peuples. Il était donc urgent de faire quelque chose. Nos ministres ont commencé par réunir une commission, présidée par un professeur au Collège de France, histoire de gagner un peu de temps, qui a conseillé de commencer par l'éducation de la jeunesse. Tous les lycéens suivront des cours d'économie en classe de seconde et Luc Chatel, ministre de l'éducation, vient d'en indiquer le programme. Du sur mesure pour des professeurs idéologiquement orientés. Pas sûr que cela soit suffisant pour rattraper le niveau de connaissance des autres pays !

Le berceau de la science économique et du colbertisme en même temps

Il y a indiscutablement un mystère économique français. Comment ce peuple, qui a inventé la science économique avec Turgot, marqué durablement la réalité économique avec leur « laissez faire, laissez passer », et renouvelé la réflexion économique après Adam Smith (qui avait lui-même fait un séjour en France auprès des physiocrates et s'était inspiré de Turgot) avec Jean-Baptiste Say, puis Fréderic Bastiat, peut-il être aujourd'hui si ignorant des réalités économiques ? Naguère, au cours d'un sondage demandant si l'économie de marché était le système le plus approprié pour le fonctionnement de l'économie, les Français ont été les seuls au monde à répondre majoritairement non. Tous les autres, des Chinois aux Brésiliens, des Allemands aux Américains et même aux Russes, ont dit oui.

Sans doute l'omniprésence de l'Etat dans notre histoire, de Colbert aux nationalisations du XX° siècle, en passant par Napoléon, y est-elle pour beaucoup. Tocqueville observait déjà que quand les Américains avaient un problème, ils se réunissaient spontanément en associations volontaires pour le résoudre, tandis que les Français faisaient appel à l'Etat. Sans doute aussi le marxisme est-il encore dans bien des têtes, à droite et à gauche, même inconsciemment, faisant de l'économie un lieu d'affrontement, avec un gagnant et un perdant, un exploiteur et un exploité sans jamais l'imaginer comme un jeu gagnant-gagnant. Nous n'avons pas fait notre « Bad-Godesberg », ce congrès du parti socialiste allemand, en 1959, qui a abandonné toute référence au marxisme et est devenu social-démocrate, acceptant pleinement l'économie de marché, comme peu à peu tous les partis sociaux-démocrates. A l'étranger, la bataille ne porte pas sur l'économie de marché, mais se situe entre libéraux et sociaux-démocrates. En France, c'est toujours l'économie de marché qui est en question.

C'est l'Etat qui s'empare de la question des connaissances économiques

Ainsi, les Français ignorent-ils l'économie, ou la voient-ils à travers des lunettes idéologiques. Voilà pourquoi l'idée d'améliorer la culture économique des Français, qui est dans l'air du temps, nous paraissait-elle bonne, et celle de commencer par la jeunesse encore meilleure.

Mais la difficulté vient de ce que c'est l'Etat, les hommes politiques et les administrations qui se sont emparés de cette question. Ils ignorent systématiquement le travail pédagogique réalisé par les quelques think-tanks et instituts qui diffusent la bonne information économique, de l'Aleps à Contribuables associés, en passant par l'IREF, ou l'IFRAP, ou Turgot.

L'Etat, maître du jeu, s'est donc arrogé le privilège de concevoir une réforme des programmes d'enseignement de l'économie. C'est bien dans la tradition française : le détail des programmes pour tous, du secteur public comme de l'enseignement privé, est fixé par le ministère : monopole de collation des grades oblige. Au XIXème siècle déjà, dans son pamphlet « baccalauréat et socialisme » F. Bastiat dénonçait la perversion du système, le conditionnement des esprits conduisant à la pensée unique…et collectiviste.

En tout cas, nous y voilà : l'économie deviendra obligatoire pour les élèves de seconde, alors que la matière était jusque là à option. Les programmes préparés par le ministre sur la suggestion de la commission Guesnerie, qui ne mettaient pourtant pas en avant « l'ultra-libéralisme », mais simplement un enseignement honnête de l'économie de marché, n'ont pas eu l'honneur de plaire au lobby des professeurs d'économie des lycées. La puissante APSES (Association des professeurs de sciences économiques et sociales) a fait reculer le ministre.

La sociologie, l'Etat régulateur et le développement durable…

Luc Chatel a donc apporté les modifications souhaitées par l'APSES, qui a dit son contentement. Dans une interview aux Echos, le ministre a donné son point de vue. Il est parti d'un constat lucide : « [Il faut] donner les clefs pour comprendre le monde. Il y a un manque évident de culture économique qu'il nous faut absolument combler ». Mais ensuite vient l'annonce d'une curieuse séparation entre SES (Sciences économiques et sociales) et PFEG (Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion) : peut-on comprendre les principes économiques sans la science économique, et à l'inverse peut-on parler des questions sociales sans faire référence à l'entreprise et à sa gestion ? Est-ce instruire les jeunes que d'avoir des économistes ignorants de la gestion, et des gestionnaires nuls en économie ?

Le ministre précise encore pour rassurer : « Il n'y a pas d'idéologie dans ces programmes ». D'ailleurs « Nous renforçons la dimension sociologique dans l'apprentissage de l'économie, c'est très important ». Or, mêler sociologie et économie est une erreur méthodologique dont l'idéologie collectiviste fait ses choux gras. La science économique, science de l'action humaine, part de l'individualisme méthodologique, alors que la sociologie retient une conception holiste de la vie, vue en termes de groupes (et notamment de classes, disent les marxistes), et jamais en termes de personnes. Le groupe absorbe l'individu. Il y a certes une sociologie non marxiste (avec des hommes comme R. Boudon), mais ce n'est pas celle-là qui est enseignée ; on préfère les analyses à la Bourdieu. L'approche sociologique de l'économie non seulement nuit à la compréhension des lois de l'échange volontaire, mais conduit aussi fatalement à la macro-économie, invitant à raisonner aussi en termes globaux, de grandeurs globales : les choix individuels s'effacent devant les décisions politiques.

Voici d'ailleurs confirmation de cette neutralité idéologique : « Nous ne défendons pas de théorie économique en particulier. En revanche, c'est vrai, à la lumière de la crise, nous insistons sur le rôle de l'Etat régulateur, mais nous avons aussi renforcé le volet droit de la consommation. Nous avons ajouté le développement durable à la demande des professeurs d'économie et gestion et nous rendons même ce thème obligatoire ».

Voici donc ce que l'on va enseigner aux lycéens : la crise est venue de l'omniprésence du marché et il est temps, notamment en France, que l'Etat prenne en mains une économie ultralibérale (dont les stigmates valent à notre pays d'être champion d'Europe des dépenses publiques). Quant au développement durable, le ministre ignore sans doute les conditions de son apparition à Rio dans les milieux altermondialistes.

Des professeurs d'économies aux idées de gauche

En fait, les « professeurs d'économie » ont su veiller au grain. Une enquête menée auprès des professeurs d'économie de lycée (et d'université), réalisée par deux professeurs de Sciences po et publiée par Rue89 (qui n'est pas une officine libérale) achève de nous rassurer. Le titre en dit déjà long « Dans la tête des économistes français : des idées de gauche ». Commentaire de Rue 89 : « En croisant leurs réponses, on croirait s'être perdu dans les travées d'une université d'été du PS ». C'est ainsi que la majorité des économistes interrogés pense que « l'Etat devrait nationaliser tout ou partie du secteur bancaire français » ou que « les 35 heures ont été bénéfiques à l'emploi ».

Ils sont plus nombreux encore à penser que « la politique de concurrence européenne devrait être plus souple vis-à-vis des aides d'Etat » et que la relance keynésienne est une bonne chose : ils ne sont que 18% à penser qu'une relance conduisant à un déficit public de plus de 5% du PIB pourrait être dangereuse. Il y a une quasi-unanimité pour défendre le protocole de Kyoto ou pour contester la suprématie du dollar comme monnaie de référence. Il y a pourtant un détail à relever : les professeurs de lycée et maître de conférences des facultés sont beaucoup plus hostiles au marché que les professeurs d'université. Ce qui permet à Rue 89 de conclure : « Les convictions des économistes sont aussi liées à leur position sociale » : lutte des classes entre professeurs de fac/capitalistes et profs de lycée/prolétaires !

Laissons la conclusion à un blogueur : « ce n'est pas que les économistes français sont de gauche, c'est qu'ils sont Français, tout simplement ». La réforme aura pour mérite de préserver l'exception française : tous ignorants, tous socialistes.


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