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L'ambiance du créspuscule

Publié le 14 avril 2010 par Bluejam

Il ressuscitait au moment où les vivants s’engourdissaient dans le sommeil, démolis, éreintés, comme à l’issue d’une bataille âpre, de retour au bivouac, les cœurs atrophiés, les pensées en guenilles, les espérances en lambeaux, à dénombrer les victimes sanguinolentes, les mutilés agonisants qui, dans quelques années, seraient honorés par devoir de bonne conscience, sans oublier l’inventaire des valides, plus ou moins téméraires, plus ou moins convaincus de l’utilité de ce combat, néanmoins prêts à retourner, dès le lendemain, s’acharner sur les ruines de la veille.

Il avait toujours trouvé cette ambiance de fin de civilisation singulièrement attirante. Les rues désertées, les villes décimées, toutes traces de vie dissipées, à peine le brin d’un soupir, quelques poussières de souvenirs balayées par la brise rafraîchit, et peut-être, s’il scrutait assez longtemps l’obscurité, l’éventualité de fantômes nyctalopes, camouflés parmi les ombres lunaires. Profitant de la trêve, il pansait ses blessures réfugié dans la nuit pacifique, tentait d’ébaucher les contours d’un avenir. Il contemplait le jour tirer sa révérence, l'agitation populaire s’éteindre, le brouhaha urbain se taire. Même les mésanges avaient rangé leur sonate jusqu'à l'aube. Le silence devenait un langage à part, réservé aux puristes.

Il répondait à ce silence par le silence. Le laissait se diffuser dans l’espace, prendre possession des lieux et une fois apprivoisé, le vide sonore s’immisçait dans son crâne, effaçait toutes les salissures qui y résonnaient depuis tant d’années, lui permettant de recouvrer une pensée clairvoyante, gage d’une survie plus crédible.

En ces instants incomparables, la Terre décélérait, suspendant les secondes aux étoiles et dans ce temps ralenti, la fatalité se dissolvait dans le demi-jour, les hypothèses les plus folles apparaissaient raisonnables. L'existence recouvrait sa finesse originelle. Il cessait d’être la victime de cette absurdité perpétuelle qui le hachait sans relâche. Il effleurait l’éternité. Et s’il endurait les brûlures diurnes sans se plaindre, c’est qu’il était mû par l’unique motivation de savoir, qu’une fois le soir venu, il succomberait aux caresses médicinales de la réalité nocturne.

La nuit, il annulait les jours, il tournait la page.


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