Extra Life | Made Flesh

Publié le 15 avril 2010 par Deschibresetdeslettres
En 2008, Secular Works avait posé les bases d'une des propositions musicales les plus insensées de notre temps : la no-wave médiévale. On doit vous expliquer un peu, ne pas vous laissez avec ce néologisme barbare, car ce n'est rien de moins que la première fois que nous étions obligés d'utiliser cette bizarrerie catégorielle. Du mouvement no-wave, Extra Life avait retenu les dissonances, les accointances post-punk et l'influence minimaliste. Le médiéval, lui, était le référentiel vocal et mélodique de Charlie Looker, un improbable troubadour avant-gardiste aussi déroutant par son timbre qu'impressionnant par sa technique. Secular Works avait alors mis un bon coup sur la tête à tout le monde, provoquant sidération et hébétude face à une nouveauté si monstrueuse. Mais une telle hybridation avait aussi une limite, celle du spectacularisme. Car on prenait un peu trop le premier jet des New-Yorkais pour un Elephant Man, une altérité pure qui se donne à voir, qui provoque en nous une fascinante étrangeté – mais seulement ça. Ce bémol, si tant est que ça en soit un, devrait être corrigé par Made Flesh, un deuxième album tout aussi original mais qui, cette-fois, nous implique plus directement comme acteur de notre écoute.

Made Flesh reprend la même formule cronenbergienne que son prédécesseur, à savoir de longues frises bruitistes et des vocalises moyenâgeuses – croisement improbable entre Gentle Giant et This Heat. La grande différence est qu'aujourd'hui il n'y a plus d'effet de surprise, plus de dictature de l'originalité, et que le choc initial est remplacé par un plaisir plus identifiable, plus humain en définitive. Extra Life ne cède rien sur sa singularité mais orne ses compositions de manière plus abordable : plus grande variété des instruments (synthés glaciaux, cordes, cuivres), des structures, des registres vocaux, Made Flesh est un disque qui a plus de souffle, qui respire mieux. Et qui s'écoute donc d'une traite avec un plaisir sans cesse renouvelé – ce qui au départ n'a rien de gagné. En fait, malgré son anomalie de structure, quasi génétique, Made Flesh se construit sans repli autistique. Il se déplie avec une réelle envie de partage et de communion. Oh nous n'allons tout de même pas parler de pédagogie, mais enfin, il n'y a pas d'élitisme et cela ne passe même pas par le ressort de la vulgarisation. Peut-être que, tout simplement, Extra Life est en train de devenir un groupe majeur, à l'identité folle et aux capacités de rassemblement des plus grands. Car après tout, quel est l'intérêt de la plus pointue des avant-gardes si elle ne peut pas faire trace, et si elle ne s'adresse qu'à un cercle de savants des plus faméliques ?


Chronique également disponible sur Goûte Mes Disques