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Cinema.

Par Ananda

" TABOU " de Nagisa OSHIMA (1999), sur ARTE, le 18 Mars, à 20h35.

Ce film du célèbre réalisateur de L'empire des sens nous entraîne au XIXème siècle, juste après que le Japon ait ouvert ses ports à la flotte des Etats-Unis.

Cette période n'est sans doute pas choisie au hasard : c'est la fin d'une époque, celle des shoguns et des fameux samouraïs, celle d'un Japon vierge de toute influece étrangère, entièrement traditionnel.

Oshima nous introduit dans le monde des samouraïs, un monde très particulier de combat et de culte viril où les femmes n'ont pas leur place.

L'homosexualité masculine rôde sans cesse, réprouvée en façade mais néanmoins omniprésente.

Le film campe Sozaburo, un jeune homme à peine sorti de l'adolescence à qui sa mince silhouette et son visage quasi "féminin" confèrent une ambiguïté certaine et, surtout, une beauté que l'on pourrait, ici, qualifier de "fatale".

L'intrigue tourne autour de la séduction qu'il exerce dans la milice de samaouraïs où il vient d'entrer. Personnage maléfique, indéchiffrable et vite imbu du pouvoir qu'il détient par son magnétisme, il jette le trouble dans les coeurs et corps virils autant que dans l'ordre, dans l'harmonie du groupe où, dressant les guerriers qui s'enflamment et s'entre-jalousent pour lui les uns contre les autres, il induit des conflits mortels.

Le chef des samouraïs craint que la "rumeur" n'entache la réputation de son clan, qui compte de nombreux clans ennemis, et tente de rétablir le calme à l'intérieur de la milice. Mais lui-même se révèle bientôt, par la façon qu'il a de le regarder, aussi perméable au charme du jouvenceau que le sont ses subordonnés.

La puissance séductrice de cet être est décidément bien destructrice !

L'âme japonaise associe la passion à la volonté de détruire.

En s'acharnant sur son objet, c'est sa propre faiblesse que l'on s'attache à détruire, à nier.

Dans cette société fortement virile, très longtemps militarisée, au surplus guindée, puritaine et soumise à un grand contrôle social, le sexe et l'amour ne peuvent être que les vecteurs, les compagnons de la mort.

Voilà ce que tente de nous faire comprendre Oshima, à travers ce film. Un long-métrage riche en scènes de combat presque hiératiques, harmonieuses comme des chorégraphies où, à côté de cela, la qualité esthétique - j'oserai même dire la pureté - des images est le reflet d'une telle exigence qu'elle n'est pas loin de nous couper le souffle (même les scènes à caractère sexuel semblent, dans un tel contexte, "chastes", épurées). Violence et beauté escortent ainsi toute une société vers sa perte. Sans compter le côté transgressif, "fou" lié à une forme de sexualité non orthodoxe.

On cède, tant au tragique foudroyant de l'intrigue qu'à la netteté laquée, splendide des images et à la délicate façon de manier les symboles. Une oeuvre qui marque.

" LE DERNIER ROI D'ECOSSE", de Kevin McDONALD (2006), le 14 avril, à 20h35, sur RTL9.

On a souvent dit que ce film était d'abord celui d'un talent, d'une présence d'acteur : celle, extraordinaire en effet, de Forest Whitaker, qui incarne le personnage de Idi Amin, figure désormais tristement légendaire d'une certaine démesure sinistre de l'Afrique.

Mais il présente bien d'autres intérêts que cette remarquable interprétation (qui fut par ailleurs oscarisée).

Le film, qui nous ramène dans les années 1970, nous présente toute une page d'Histoire au travers des orageux rapports entre un jeune médecin écossais dont  l'idéalisme (qui frôle souvent  l'inconscience) est désarmant de fraîcheur et le dictateur de l'Ouganda, homme imprévisible (il peut avoir des côtés très sympathiques) et, malheureusement, peu à peu gagné par la montée d'une paranoïa généralisée et meurtrière (chose très courante chez les dirigeants de son espèce, cf Staline). Cette confrontation d'un "minet" avec une sorte de fauve teinte le long-métrage d'une ambiance poisseuse, inquiétante, du genre "danser sur un volcan". On sent l'Ouganda entier et le jeune médecin occidental devenu intime du président-général sans cesse sur le fil du rasoir. Ce qui s'avèrera bientôt un dramatique échec, celui de l'incommunicabilité profonde entre l'homme blanc et l'homme africain, passe par l'opposition entre les deux personnages principaux, aussi antinomiques qu'il est possible : le tout jeune médecin aux allures d'éphèbe, issu d'un continent et d'un milieu familial surprotégés où le trop prévisible génère le "luxe" de l'ennui, qui, quelques soient, par ailleurs, ses "bons sentiments" très politiquement corrects de bel idéaliste, n'en "utilise" pas moins, quelque part, l'Afrique pour se sentir utile et, ainsi qu'il ne se gêne pas pour le déclarer avec la désinvolture propre à son âge, "pour m'amuser, pour l'aventure" (ce fut le fantasme de bien des colons !), et l'homme mûr, l'ancien miséreux, l'Africain de terroir issu du petit peuple qu'est Idi Amin, avec son caractère brutal mais aussi rusé, son goût du luxe ostentatoire, son avidité de jouissance et de pouvoir, son cynisme qui ne révèlent que trop l'être grandi dans un monde très dur.

Sans même s'en rendre compte, le jeune Blanc sous-estime la sagacité du général, alors même qu'il le trahit gravement.

C'est l'histoire d'une déception, et la désinvolture va lentement mais sûrement tourner au tragique, la fascination réciproque des débuts (celle qui surgit, souvent, entre deux êtres contraires) virera au vinaigre, à la situation franchement dangereuse. Le dictateur croyait que ce Blanc tout juste tombé de sa Grande-Bretagne l'estimait ("tu m'aimes"), qu'il n'avait pas en lui le marquage colonial empreint de condescendance cynique qu'affichent les Britanniques résidant depuis longtemps sur le sol de l'Afrique...Lorsqu'il réalise qu'au fond, par certains aspects, il se trompait, il tombe de haut : "Tu es venu en Afrique pour jouer au Blanc avec les indigènes. Tu croyais que c'était un jeu. Mais nous ne sommes pas un jeu. Nous sommes réels. Ta mort sera le moment le plus réel qu'il te sera donné de vivre".

Cependant, à la faveur des évènements de "l'affaire des otages" de l'aéroport d'Entebbe, l'écossais, sévèrement supplicié, parvient tout de même à s'échapper, à quitter le sol africain grâce à l'aide d'un confrère local qui, lui, le paiera de sa vie. Le Blanc a toujours pour lui la possibilité de s'en sortir (même si, sans doute, l'expérience aura des effets traumatisants, et "formateurs") et l'Afrique, en dernier ressort, se retrouve seule face à ses démons, martyre de ses chefs sanguinaires centrés sur leur propre personne, malade de son passé colonial qui a destructuré son âme; telle est la "morale" de l'histoire !

Dans ce film, je décèle une critique implicite de certaines mentalités, qui n'épargne personne : pas plus le mépris  et les préjugés tenaces (qu'ils soient conscient ou inconscients) qui encombrent les Blancs dès lors qu'il s'agit de l'Afrique noire que le mépris que l'homme noir voue à ses semblables et, en définitive, se voue à lui-même, ce mélange de haine et de surestimation du Blanc, de l'ancien colonisateur qui parasite son regard et cause bien des tragédies.

Mais en même temps, ce film pourrait être interprêté comme la chronique d'une faillite : celle d'un certain idéalisme par trop angélique, qui, on le voit bien, finit par se retourner contre le "néophyte" Blanc et par le ramener en occident, porteur d'un lourd constat d'échec. Mais aussi, essaie-t-il vraiment de connaître les Africains, de tenir vraiment compte de l'Histoire, marquée par la violence coloniale et le mépris séculaire ? Est-ce seulement à sa portée ?

Ce film, certes, révèle une Afrique Noire inquiétante à plus d'un titre. Que retenir de son "double visage" ? La face accueillante, festive, joyeuse, un peu "clownesque" ou alors la face excessive, sans pitié ?

Oui, l'Afrique peut être aussi demesurée dans son accueil qu'elle peut l'être dans ses renversements de situation.

Comme l'Europe, de son côté, est autant susceptible de générosité humaniste et de respect des Droits de l'Homme que d'expansionnisme, d'arrogance, de mise sous tutelle.

Une certaine dualité (duplicité ?) n'est-elle pas inhérente à toute forme de civilisation ?

P.Laranco.


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