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Votre lampe basse consommation pollue... en Chine

Publié le 15 avril 2010 par Thedailyplanet

Les technologies vertes ont besoin de certains métaux appelés terres rares. Mais leur production dégrade l'environnement.

DE GUYUN, CHINE L'existence de certaines de nos technologies les plus vertes, depuis les voitures électriques jusqu'aux éoliennes géantes, en passant par les lampes basse consommation, est rendue possible par un groupe de métaux peu usuels : les “terres rares”. Il n'y a qu'un problème : elles proviennent presque exclusivement de Chine et sont produites par une industrie minière qui compte parmi les plus nocives pour l'environnement et qui est dominée par des organisations criminelles. Un quasi-monopole, qui don­ne à ce pays une mainmise potentielle sur les technologies du futur et inquiète les capitales occidentales. A Guyun, un petit village du sud-est de la Chine entouré de bosquets de bambous et de bananiers, les dégâts causés à l'environnement sont bien visibles : des cicatrices brun-rouge d'argile stérile couturent les étroites vallées et les terres desséchées de l'aval, là où s'étendaient jadis des rizières vert émeraude. Car, pour extraire ces métaux [présents sous forme d'oxydes, et souvent mélangés à d'autres minerais], les mineurs restent en surface. Ils raclent le sol, et placent dans des fosses l'argile mouchetée d'or qu'ils ont pelletée. Ce sont dans ces fosses qu'ils versent des solvants [souvent de puissants acides] pour extraire les terres rares. Ces substances chimiques finissent par s'infiltrer dans le sol jusqu'aux ruisseaux et aux rivières, détruisant les rizières et les exploitations piscicoles et polluant les réserves d'eau. Des propriétés chimiques et magnétiques remarquables Zeng Guohui, un ouvrier de 41 ans, nous conduit à la mine abandonnée où il travaillait autrefois et nous montre un désert de terre et de boue. Le gisement de terres rares lourdes [les plus difficiles à trouver] a été épuisé en trois ans. Mais aujourd'hui, dix ans après la fermeture de la mine, personne n'a encore pu refaire pousser du riz dans les champs situés en aval. De petites mines où l'on extrait des terres rares lourdes comme le dysprosium et le terbium sont toujours en activité dans les collines voisines. Et “il y a tout le temps des manifestations, parce que les mines détruisent les terres arables et que les gens exigent des compensations”, explique M. Zeng. “Dans beaucoup d'endroits, l'exploitation est menée de façon inconsidérée”, confirme Wang Caifeng, présidente de la commission de surveillance de l'exploitation des terres rares au ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information de Chine. “Cela a fait beaucoup de mal à l'environnement”, poursuit-elle.

Le groupe des terres rares comporte dix-sept éléments. Certains, en dépit de l'adjectif qui les qualifie, sont assez répandus. Les réserves de deux d'entre eux, le dysprosium et le ­terbium, sont toutefois particulièrement menacées : ils sont devenus les in­grédients miracles des technologies “vertes”. De petites quantités de dysprosium permettent d'alléger de 90 % le poids des aimants contenus dans les moteurs électriques, et le terbium permet de réduire de 80 % la consommation des ampoules électriques. Une livre de dysprosium coûte aujourd'hui 53 dollars, soit presque sept fois plus qu'en 2003. Le prix du terbium, lui, a quadruplé entre 2003 et 2008, pour atteindre 407 dollars [285 euros] la livre, avant de chuter à 205 dollars la livre à cause de la crise économique mondiale. La Chine extrait plus de 99 % du dysprosium et du terbium utilisés sur la planète. La majorité de la production provient d'environ 200 mines situées dans le nord du Guangdong et dans la province voisine, le Jiangxi. La Chine est également le premier producteur mondial de terres rares légères, précieuses pour de nombreuses industries. Les réserves de ces métaux sont un peu plus importantes, et leur extrac­tion est mieux réglementée. Mais pour le dysprosium, le terbium et d'autres terres rares lourdes, c'est une autre histoire. D'après les responsables de l'industrie, 50 % seulement des mines de terres rares lourdes ont un permis d'exploitation. Toutes les autres sont illégales. Mais même les mines légales, comme celle où travaillait M. Zeng, sont dangereuses pour l'environnement. Selon Stephen G. Vickers, ancien chef du service d'investigations criminelles de la police de Hong Kong (et aujourd'hui directeur d'International Risk, une compagnie de sécurité qui intervient dans le monde entier), un réseau très soudé de mafias chinoises, au meurtre facile, règne sur la majeure partie du secteur minier avec la compli­cité de hauts fonctionnaires locaux. En avril 2009, le ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information chinois a rédigé une ébauche de plan prévoyant l'arrêt de toutes les exportations de terres rares lourdes, en partie pour des raisons environnemen­tales et en partie pour obliger certains pays à acheter des produits fabriqués en Chine. L'annonce de ce plan, le 1er septembre 2009, a suscité un tollé de la part des entreprises et des gouvernements occidentaux. Le 3 septembre, Mme Wang déclarait que la Chine ne stopperait pas les exportations et réviserait son plan. Mais, quel­que temps plus tard, le ministère baissait de 12 % les quotas annuels d'expor­tation pour toutes les terres rares, procédant ainsi à la quatrième réduction draconienne en douze ans. Une des justifications est l'épuisement annoncé des gisements. Selon l'institut de recherche de Baotou, les filons de terres rares lourdes des collines de Guyun seront épuisés d'ici quinze ans. Les compagnies minières veulent développer l'activité hors de Chine, mais, à la différence de ceux que l'on trouve dans le sud de la Chine, la majorité des gisements de terres rares contiennent de l'uranium et du thorium, des éléments radioactifs qui compliquent l'extraction. Les États-unis craignent une dépendance militaire Le Congrès américain, lui, a réagi aux mesures prises par la Chine en ordonnant au ministère de la Défense de faire le point avant le 1er avril sur la dépendance de l'armée américaine vis-à-vis des terres rares chinoises, utilisées par exemple dans la fabrication des ­ap­pareils de vision nocturne et des télémètres [ainsi que des missiles]. Washington a d'ailleurs commandé une étude sur les solutions de substitution possibles. Les multinationales commencent aussi à se pencher sur leur dépendance à l'égard des terres rares lourdes. Toyota dit avoir acheté pour ses véhicules des pièces incluant ces métaux, mais ne pas avoir participé à l'achat des matières premières par ses fournisseurs. Osram, un grand fabriquant d'ampoules électriques appartenant à l'entreprise allemande Siemens, affirme limiter désormais l'usage de terres rares dans ses produits. Mais les principaux consommateurs de terres rares lourdes dans les années à venir pourraient être les cons­tructeurs de grandes éoliennes, qui ont besoin d'aimants beaucoup plus légers pour les générateurs de 5 tonnes placés en haut de mâts de plus en plus hauts. Vestas, une entreprise danoise devenue le numéro un du secteur, a fait savoir que les prototypes de sa prochaine génération de machines contien­nent du dysprosium et étudie actuellement la pérennité des réserves. Goldwind, le principal fabricant chinois d'éoliennes, a remplacé les ai­mants classiques par des aimants à base de terres rares. Certains exploitants miniers spécialisés dans les terres rares – un secteur qui pèse 1,3 milliard de dollars – soulignent la nécessité de méthodes d'extraction moins destructrices pour l'environnement au regard de l'importance de leurs produits pour les technologies vertes. Certains espèrent ouvrir des mines au Canada, en Afrique du Sud et en Australie, mais il faudra plusieurs années avant que leur rendement soit suffisant et elles produiront beaucoup de terres rares légères. Les terres rares lourdes qu'elles extrairont serviront sans doute à ­satisfaire la demande croissante des fabricants d'éoliennes, qui se les arracheront.

Keith Bradsher, The New York Times


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