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Tapie dans l’ombre, l’insécurité

Publié le 16 avril 2010 par Variae

Depuis la victoire des régionales, la gauche nourrit de légitimes espoirs pour 2012. Plusieurs éléments concourent à dessiner un avenir sombre pour Nicolas Sarkozy, et en premier lieu la situation économique. Les deux prochaines années peuvent constituer un long chemin de croix pour l’Elysée et Matignon. A deux conditions : que le président ne parvienne pas à rétablir son autorité, justement, sur les plans économique et social ; ensuite, que le débat de 2012 se situe bien sur ce terrain, et pas sur un autre. Là est tout le problème.

Tapie dans l’ombre, l’insécurité

Depuis quelques semaines, un bruit se développe insidieusement dans les médias, et en particulier dans les médias participatifs, moins sujets aux filtres rédactionnels et politiques des grands journaux. C’est celui de la sécurité et de la violence, couple infernal de 2002 et de 2007. Caillassage, viol, agression, trafics … une litanie qui tend à s’accélérer et à se banaliser – ce qui ne veut pas dire qu’elle soit considérée distraitement par « l’opinion ». Il n’y a qu’à voir combien les articles relatant des épisodes de ce type figurent en bonne place dans les classements des billets les plus lus et les plus commentés, dans la presse en ligne. Chaque fait-divers contribue à accroître le sentiment d’un monde menaçant, avec comme épicentre de la violence les banlieues. La thématique n’est pas neuve. Mais elle prend désormais un tour nouveau dont est très emblématique le fait-divers grenoblois de cette semaine : alors que la violence avait longtemps été contenue dans les périphéries urbaines, elle « descend » désormais dans la ville. Ce qui change radicalement l’équilibre tacitement approuvé jusque là par la société française, avec d’un côté des centres-villes propres et calmes, et de l’autre des cités-ghettos agissant comme des poches de concentration de la misère et de ses conséquences.

On peut poser la question de la réalité objective de cette montée de la violence, faire des distinguos subtils entre l’insécurité « réelle » et le « sentiment d’insécurité », etc. Mais tout cela importe finalement peu. D’une part, si (et cela finira fatalement par arriver) les « grands » médias se saisissent de ces questions, ils en feront de facto des problèmes centraux dans le débat public. D’autre part, il est incontestable qu’un nombre considérable de Français sont exposés à cette violence – en première ligne, les habitants des quartiers populaires – et en sont de plus en plus exaspérés, ne serait-ce que parce qu’ils sont au bout du compte assimilés aux faits d’une minorité, qui contribue à la discrimination d’ensemble de toute une population. Les propos récents d’Eric Zemmour en sont un exemple parmi d’autres.

Il suffirait que la violence revienne sur la couverture des journaux pour que la donne politique change du tout au tout. L’étincelle prendrait d’autant mieux que l’opinion aurait été préparée, des mois durant, par ce flux continu de faits divers dont je parlais plus haut. Sans compter que la détérioration de la présence publique dans les quartiers (disparition des services publics, affaiblissement du financement des associations de proximité …) va mécaniquement affaiblir un peu plus encore le tissu social dans les prochains mois.

Nicolas Sarkozy a eu et peut reconstruire une image de « premier flic de France », fondée sur son volontarisme et son art du coup de menton, qui seraient assurément plus convaincants dans ce domaine que pour la régulation de la finance mondiale. En face, la gauche, et les favoris actuels pour la candidature présidentielle, semblent moins à l’aise sur cette thématique. Si les problématiques économiques sont un point fort de DSK, si Martine Aubry peut se prévaloir d’une certaine crédibilité sur les questions sociales, ni l’un ni l’autre ne bénéficient pour l’heure d’une vraie légitimité sur les questions de sécurité. Plus largement, on sait l’ensemble du PS et de la gauche en délicatesse sur ce sujet. A part les travaux de quelques pionniers comme Julien Dray et leur reprise par Ségolène Royal dans sa campagne de 2006-2007, les socialistes s’engluent encore trop souvent dans une posture réactive et défensive, mettant en avant les déterminants économiques et sociaux – incontestables – de la violence, sans élaborer des réponses concrètes et directes à l’exaspération générale.

Ce type d’attitude prête le flanc à des ripostes faciles de la droite. Un numéro récent du magazine C dans l’air, opposant Bruno Beschizza et Xavier Raufer à l’écolo-communiste Stéphane Gatignon, en a donné une inquiétante et caricaturale illustration, avec le maire de Sevran plaidant la dépénalisation des stupéfiants pour mettre un frein à l’économie souterraine et donc à l’insécurité (!), pendant que ses contradicteurs réfutaient chiffres à l’appui le lien entre pauvreté et violence, et minimisaient les problèmes matériels de la police en les replaçant dans un contexte d’ensemble de trop grande mansuétude envers les voyous  …

Si l’on parle du seul parti socialiste, l’équation est paradoxale. D’un côté, ses élus locaux expérimentent avec succès des politiques de lutte contre la violence sans angélisme ni idéologie, pendant que le gouvernement UMP diminue les moyens de la police. De l’autre, la grande majorité de ses représentants nationaux continuent de nourrir un complexe d’infériorité sur cette thématique, les conduisant à fuir le débat plutôt qu’à l’affronter (et à probablement le gagner), comme cela a déjà été le cas pour l’identité nationale. Combien de fois entend-on encore, dans les cénacles socialistes, qu’aller débattre sur la sécurité, c’est rendre les armes à la droite ? Rien de plus facile pour l’UMP, alors, d’occuper l’espace médiatique et de déclarer, avec des accents bushistes, « une guerre à l’insécurité » qui se paie surtout de mots ! Et c’est ainsi que la vérité du terrain s’inverse sur la scène nationale.

On dit que quand l’histoire se répète, c’est sous la forme d’une farce. Pour éviter d’en être le dindon, la gauche doit sans perdre de temps mettre à son agenda la constitution d’un grand plan de lutte contre la violence, et de reconquête des quartiers qui ont progressivement été abandonnés par l’Etat. En commençant par élaborer un bilan des 8 années de Nicolas Sarkozy – puisque cela fait bien 8 ans, en tant que Ministre de l’Intérieur puis que Président de la République, qu’il a tout pouvoir sur la politique de sécurité. Puis repenser un projet complet, prenant le contre-pied de l’esbroufe UMPiste façon « Droit de savoir », avec charges de CRS et descentes de la BAC au petit matin. Retour à la police de proximité, déploiement de police financière et d’investigation pour démonter les trafics, détection et prévention précoces de la violence, lutte contre la déscolarisation, développement de la mixité sociale en imposant des quotas de logements sociaux dans les centres urbains … Autant de priorités budgétaires et politiques qui doivent être affirmées comme telles. Comme le savent les spécialistes des ZEP, l’échec de 20 ans de politiques de la ville menées dans les quartiers « sensibles » a pour principale raison les moyens alloués, insuffisants, et l’attentisme face à la ghettoïsation. En 2012 il faudra, comme le disait hier Malek Boutih sur France 2, « mettre le paquet » sur ces objectifs, pour éviter de payer ultérieurement une addition encore plus salée.

Romain Pigenel




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