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Croquis du dimanche, silhouettes d’ailleurs et d’ici: Voltaire, François Cheng, et le jardinier de Vientiane

Publié le 18 avril 2010 par Chantalserriere

Vientiane, à la courbe du fleuve. Naipaul aurait pu également y arrêter sa plume. Capitale tranquille du Laos. Et de l’autre côté, juste en face, la ville thaïlandaise de Nong Khai. Il suffit de passer le “pont de l’amitié”…

Vientiane. Une petite rue calme qui conduit à l’une des rues principales en passant sous l’arche d’un temple.

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A l’autre bout, la rive du Mékong jalonnée de guinguettes. Fauteuils de plastique colorés. Tables recouvertes de toiles cirées. Les cuisinières s’affairent devant les barbecues où grillent les poissons fraîchement pêchés dans le fleuve, farcis d’herbes épicées et déjà enrobés d’une croûte de sel.

Au milieu de la rue, entourés de plantes, de fleurs et de bosquets, quelques bungalows en bois posés sur pilotis. Le jardinier, accroupi, taille un petit arbre. Et cela m’étonne, parce qu’au milieu de cet oasis verdoyant, ce petit arbre, desséché jusqu’au bout de ses branches, je l’avais remarqué, et je l’avais cru mort. Et je me suis dit que les apparences, encore une fois, sont trompeuses.

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A moins qu’en ce pays, on sache comment faire pour rendre la vie aux plantes. En était-il de même pour les humains? Tant de chasse-fantômes tintinnabulent aux frontons des demeures! La vie, après trépas semble donc encore bien présente qui hante les vivants…

J’en étais là de ma rêverie aux contours flous, lorsqu’à mon passage, le jardinier se relève. C’est un homme à la silhouette fine. Long visage. Quelques rides. L’air doux et un peu fatigué. Le regard étonnamment joyeux. Il porte un T shirt bleu foncé. Si j’osais, je me pincerais. Car c’est François Cheng qui se tient devant moi. François Cheng, il y a vingt ans. Du moins tel que je me l’imagine il y a vingt ans.

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Il n’est donc pas étonnant, que le jardinier de Vientiane s’adresse à moi en français. Le sosie de l’écrivain pouvait-il ne pas parler français? Il me demande si je suis bien installée.

- Oui, très bien. C’est tellement joli ces bungalows entourés d’un petit jardin, en pleine ville.

François Cheng sourit. Je suis ravie de lui avoir fait plaisir en évoquant le jardin. Je m’étonne de son français parfait, sans aucun accent particulier.

- C’est normal, dit-il. J’ai passé huit ans en France. J’y ai fait mes études. J’ai pu avoir une bourse. Elles étaient très rares à cette époque. Juste avant 75 . Il n’y en avait que trois. J’ai obtenu l’un d’elle. C’est une famille de Lisieux qui m’a accueilli. Au début, il ne s’agissait que d’un accueil pour une mise à niveau linguistique. Et puis ils m’ont adopté comme un enfant de la famille. C’était une famille très catholique. Très pratiquante.

Je souris et le jardinier sourit aussi.

- Evidemment, à Lisieux!

- Oui, il ne pouvait pas en être autrement. Aussi, je les ai accompagnés à la messe très souvent.

-Mais vous êtes bouddhiste?

- Aucune importance! C’est très intéressant d’observer les pratiques chrétiennes dans une province française. Vous savez, la vie n’est pas très différente de celle d’ici.

- Vraiment?

- Oui, vraiment. Le tissage des liens familiaux et amicaux. Les réseaux de province, si différents de ce qu’on peut observer à Paris. Le calme. Les rituels. Comme ici. D’ailleurs, il y a des coins de province française partout dans Vientiane.

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Je m’étonne que cela soit possible. Les Français ont été des colons ici!

- Pas tout à fait, rectifie le jardinier. Les Français sont arrivés parce que nous les avons appelés. Ce n’est pas du tout la même chose.  Rien à voir avec l’Algérie ou le Vietnam. Il s’agissait d’un protectorat. Et nous avons apprécié de ne pas être dévorés soit par la Thaïlande, soit par le Viet Nam! Ce que nous pouvons regretter, c’est le manque de réel intérêt de la France à l’époque, son peu de soutien à l’économie du pays.

Le jardinier François Cheng est en fait le propriétaire des bungalows. Juriste, il a terminé sa formation aux Etats-Unis. Il me racontera l’histoire du Laos, comme s’il en avait vécu chaque page. Il revient à ses voyages. Moi à ma fascination pour cet ailleurs d’ici qui m’inciterait à y planter racine.

Le jardinier sourit:- Les choses sont semblables, dit-il. Chez vous vous trouverez ce qui est ici…et de toute façon, ajoute-t-il en clignant légèrement son oeil gauche, rappelez-vous Voltaire. Et taillant d’un coup bref, la brindille trop sèche du petit arbre qu’il soigne, il ajoute en ponctuation:

-  Il faut cultiver son jardin .

Ne croyez nullement que ce texte est une fiction. Le jardinier de Vientiane, sosie de François Cheng et disciple de Voltaire existe bel et bien. Sa silhouette reste ainsi, non photographiée. Absorbée par ce moment d’échanges tout aussi réels, je n’ai pas pensé un instant à sortir mon appareil.

Mais voici l’adresse où vous pourrez, peut-être, le rencontrer.

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Dernier ouvrage lu avant notre départ en Asie, le livre  de Madeleine Bertaud (qui l’avait présenté à la Librairie Kléber), permet une bonne compréhension de l’oeuvre de François Cheng.

Photos: G. Serrière


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