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Quel génie dans les alpages ?

Publié le 18 avril 2010 par Desiderio

tonnerre.jpgJ'avais promis d'écrire quelques bricoles sur le Génie des alpages. Et m'y voilà. C'est extrêmement difficile de parler d'une telle série, parce que tout fuse en tout sens et même contre le sens commun. J'ai choisi un angle qui me permet d'aborder un ensemble de thèmes, ce n'est pas forcément le meilleur album de la série, je crois que le précédent était un vrai feu d'artifice, mais je peux dire quelque chose dessus et c'est ce qui est important.

Commençons par le titre de la série : le Génie des alpages. Qui est ce génie ? Au départ, c'est le chien du berger qui est capable de jouer aux échecs ou de lire des oeuvres philosophiques. Un être doué de plus de raison que son prétendu maître. Mais cela s'estompe peu à peu, le chien devient un personnage d'arrière-plan, un spectateur face à l'univers délirant des brebis qui redoublent d'inventivité ou qui se trouve en compétition avec Romuald le bélier noir en matière de philosophie ou amoureux de la bergère d'à côté. Il faut remarquer que le chien n'a pas de nom, le premier berger non plus, la bergère d'à côté pas plus. Seules les brebis et Romuald le bélier ont un nom. La série a commencé dans l'épure la plus totale.

Cet album ne constitue pas un tournant dans l'oeuvre de F'murr(rr). Certes, le vieux berger (le premier) n'est plus au centre de l'action, mais il revient pour subir bien des désagréments à cause des farces et attrapes des brebis qui sont toujours aussi indociles. Ce sera sa dernière apparition. Le berger est alors Athanase Percevalve qui apparaissait d'abord comme le simplet du village avec son béret vissé sur sa tête et son cri surpuissant. F'murr(rr) avait dit que le vieux berger l'ennuyait et qu'il ne lui trouvait plus de rôle. Cependant, Athanase était prévu comme le successeur du vieux berger depuis le tome 3 et il était au centre de la couverture du tome 4. La transition s'est effectuée en douceur. Reste que le génie des alpages n'est plus du tout le chien comme au début puisqu'il passe au second plan, mais l'ensemble de la montagne : brebis, nuages, herbe, hauteurs, soleil et différents gadgets pour animer les pages.

Passons au nom de l'auteur : on écrit le plus souvent F'murr. Mais il signe aussi F'murrr ou F'murrrr. Le nom vient du roman de Hoffmann, le Chat Murr qui présente les interpolations d'un chat (!) dans le récit assez médiocre de son maître. Il y avait déjà l'idée d'une forme de débat sur l'intelligence des bêtes par ce pseudonyme programmatique et à géométrie variable. F'Murr(rr) a commmencé en détournant des contes de fées dans Au loup ! mais on voit alors que ce qui l'intéressait était le rapport entre des clichés et ce que l'on en fait, entre l'humain et l'animal.   

Un fait me semble remarquable dans cette série : toutes les couvertures utilisent la montagne comme un élément graphique permettant de segmenter l'espace de la page. Que ce soit en fond, au premier plan, sous forme de cailloux ou de rochers, la montagne est toujours présente, et elle divise la page. On le voit ici avec cette pente blanche qui coupe la page en deux parties. C'est, je pense, le côté le plus audacieux de F'murr(rr) : il pense son album comme un tout, comme un concept et la couverture non marquetingue est sa marque de fabrique.

Venons en au titre de l'album proprement dit. Tonnerre et Mille Sabots sont les enfants de Paradoxe, le grand bélier ancestral. On a droit à des dialogues comme ceux-ci dans l'histoire contée par le chien sans nom : 

— Notre père, le Grand Bélier Paradoxe nous accorda ce droit !
— Je me fiche du Grand bélier !
— Ça c’est dur ! Ça va chier !
— Certainement, je vous attends !

Mais Tonnerre et Mille sabots, cela fait penser à un des jurons favoris du capitaine Haddock. Il y a juste un retour à la bande dessinée d'origine certifiée.

Il s'agit d'une histoire de filiation. Comment faire de la bédé traditionnelle tout en n'étant pas traditionnel. Comment passer le relais à un nouveau personnage. Comment faire qu'il y ait une unité dans la série tout en la renouvelant. Comment écrire à partir de rien par un temps de pluie.

Ah ! il faut signaler aussi que le titre comprend un deux-points peu conforme aux règles typographiques. Il n'y a que Sagan à l'avoir osé en couverture dans Aimez-vous Brahms..

Venons-en à l'image même. Que voyons-nous ? Un troupeau de brebis sous forme de nuage. Une sorte de passé fantasmatique. Un autre troupeau de Pères Noël en bicyclette dans le ciel. Cela fait référence à l'histoire qui donne le titre de l'album puisque le clan Noël avait voulu que tout paysage blanc leur appartenait. Ah bien... On est dans une histoire de propriété intellectuelle ou territoriale, même si ce n'est pas dit explicitement. On revisite les mythologies fondatrices de civilisations et pour cela on surligne les personnages de grosses couleurs rouges (les bonnets, les luges). Qui est propriétaire de son oeuvre à partir du moment où il la divulgue ? Quelles histoires du passé invente-t-on pour passer le temps ou pour fonder un droit ? Qui sommes-nous pour croire au droit ?


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