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Retraites, la « science » au secours du capital

Publié le 20 avril 2010 par Vogelsong @Vogelsong

Le capitalisme est globalisant, mais pas universaliste : il crée peut-être des préconditions matérielles à la position d’exigences d’universalité, mais ne les satisfait en rien.” D. Génoun

C’est d’un revers de main que sont balayées toutes contestations de l’ordre de soumission tel que le prévoit l’ »économisme ». Le monde capitaliste vit sous la férule d’une manière de pensée globalisante dont on ne peut sortir, sous peine d’être rangé du côté de doux rêveurs perchés. Ce qui paie, dans la semi-vie du monde contemporain, c’est le réalisme, le pragmatisme, celui asséné avec démonstration, donnant la force de la scientificité. À une nuance, le sujet est « économique », science molle dont les seules certitudes sont quelquefois la connaissance a posteriori.

Globalisation globalisante – “Il n’y a pas de problème local qui trouve sa solution dans un contexte global

Retraites, la « science » au secours du capitalDans un billet très intéressant, le blog Reversus présente la démonstration “scientifique” de l’intangibilité du capital pour parer au déficit des retraites en France. Il est question d’élasticité des prix, c’est-à-dire de la sensibilité à substituer la consommation d’un bien selon la variation de son coût. Le point commun avec les retraites ? Aucun ? À moins de considérer pertinente l’analogie entre l’éthylisme et la couverture sociale. En réalité le seul point commun de ce prodige se situe dans l’approche. Une approche, sous couvert de scientificité et de neutralité, qui considère que tout est marchandise, et régie par les tablettes immanentes des théories “mathématiques” néo-classiques. Point de salut hors du diptyque consommateur/entrepreneur. Une approche chargée idéologiquement. En général, les démonstrations analytiques visant à démontrer l’impossibilité de penser, et donc de faire autrement, omettent de mentionner le contexte. Tant il est tenu comme acquis que l’économie dans sa méthode générale est une “science”, et une science du libéralisme économique. Elle se pare de ses meilleurs atours et attaque le sujet à la base. Symptomatique, la science économique fait le ménage parmi ses thèmes anxiogènes. Elle doit être une science positive comme l’univers qu’elle se propose de conter. En France, par exemple, l’économie en classe de seconde a été aseptisée pour ne plus faire apparaître les notions de chômage, de précarité et d’inégalités de revenus. La critique marxiste pour ce qu’elle est, est remisée au chapitre des curiosités historiques notables et surtout vilipendée par les responsables et décideurs nationaux. Et sur le terrain, les zélateurs prennent le relais, l’officine patronale “100 000 entrepreneurs” fait la tournée des écoles pour évangéliser les marmots, car disent-ils : “Nous voulons donner aux jeunes l’envie d’entreprendre”… Vaste programme neutre idéologiquement.

Le fatalisme comme pédagogie de soumission

Dans le cadre des négociations sur les retraites, les analystes pérorent sur l’impossibilité de taxer le capital.  Une fausse solution, présentée comme démagogique et gauchisante par les experts en morale individualiste. Ceux qui expliquent le monde depuis 30 années. Une vision qui consiste aussi à omettre la partie essentielle de l’analyse. Situer le contexte, expliquer qu’il n’y a rien d’irréversible. En l’occurrence :
Le libéralisme économique n’est pas inhérent à l’humanité. Son avènement est le fruit d’une révolution dont les protagonistes en infimes minorités au début des années 50 se voyaient comme une avant-garde éclairée.
Préciser que les conditions salariales depuis plus de trois décennies l’ont été sans consentement et s’énumèrent dans le dogme idéologique dominant, comme suit ; l’État est néfaste. La protection sociale collective est impropre à la modernité. La concurrence est l’alpha et l’oméga. La société est un fantasme. L’individu et ses pulsions sont les moteurs de l’économie. L’activité principale de l’homme est la production et la consommation. Surtout la consommation. Ceci posé, on peut regarder la portée de l’argumentaire scientiste étalé vulgairement dans tous les supports médias. Le système économique n’est pas une fatalité mais le résultat d’une politique sciemment mise en œuvre.
Donc, on annonce de go que 1 euro de plus en impôt sur les sociétés fait baisser les salaires de 0,92. Maléfice ! Dans l’environnement donné, celui de la survie augmentée du libéralisme, c’est 0,92 euro de perdu. Il est sous-entendu que l’euro marginal est spolié par l’état. Dissipé inutilement dans des projets vaseux, une pure perte. Puisque le dogme ordonne que l’État soit dispendieux, inefficace, totalitaire. La pensée dominante prescrit qu’un euro dépensé dans un yacht ou des colifichets s’avère un euro utile. Plus sérieusement, comment l’euro ponctionné est-il utilisé ? Depuis 30 ans les écarts de rémunération n’ont cessé de grandir. Se pourrait-il qu’il fasse office d’amortisseur dans une société qui accroit sans cesse les inégalités. Quelle est la répartition moyenne de ces 0,92 € non servis ? Impacte-t-il plus les hauts ou bas salaires ? Généralement, la pensée dominante impose qu’un euro substitué par l’État pour la réfection des routes (utile aux entreprises) ou pour l’instruction publique (utile aux entreprises) et laïque, par exemple, constitue des dépenses parasitaires. En toute neutralité scientifique, il va sans dire.

Un monde sans retour, sans ressource

L’équarrissage se fait à la pièce. Morceau après morceau se sont toutes les parties d’un état social résiduel qui sont mises en lambeaux. Secteur après secteur souffle le vent de la réforme (libérale) précédée par sa cohorte d’experts économistes qui martèlent les vérités inaltérables pour attendrir la barbaque mal pensante. Il faut être iconoclaste, économiquement incorrect. Penser la réforme. Transcender les pesanteurs pour épouser la complexité du monde moderne. En substance, se soumettre aux arguments d’autorité. Ne pas taxer le capital, pour ne pas pénaliser les salaires. Le “gagnant gagnant” des “yuppies” du marketing resservit à la sauce « retraites ». Effets cumulatifs, effets pervers, toute la panoplie d’argumentaires éculés pour finalement aboutir au constat que rien ne doit changer dans le mouvement inéluctable de l’Histoire. Sauf quand 10 points de PIB passent du travail vers le capital, sauf quand l’impôt sur les sociétés passe de 50% à 33,3%. Dans le cadre des retraites, il convient comme le veut l’adage médiatico-politique, de “travailler plus”. Pour le “gagner plus” il faudra repasser. C’est avec délectation que les mêmes qui ont instauré l’économie de basse pression salariale, de concurrence fiscale, et de crédit de soutien à la consommation s’enquièrent du pouvoir d’achat des salariés lorsque le capital est en ligne de mire. Les mêmes qui jouent sur la concurrence des salaires pour minauder sur les effets négatifs de la rémunération des consommateurs. Il y a belle lurette que la classe dominante, les yeux avides rivés sur les cours de bourse,  se contrefiche du pouvoir d’achat. À côté de l’effroyable, “ils (les capitalistes) s’enfuient quand ils sont brimés (pauvres riches !)”, on insinue une convergence de classe “Quand on taxe le capital, le salarié en pâti…”. Le vertige du libéralisme où l’économie, c’est de la magie, on gagne à l’infini, tous et presque toujours.

Les dépositaires propagandistes du paradigme dominant toisent communément d’un air satisfait le rétif au dogme capitaliste, qu’ils ponctuent par un jaillissement foudroyant “qu’est ce que tu proposes à la place ?”. La quintessence de la fadaise partisane, et la suite logique et implacable de la pensée par morceaux. Une disposition d’esprit univoque visant à soutenir un système périclitant (crises à répétition, massacre écologique, chômage de masse, misère planétaire, destruction des affects) en opposant d’emblée une alternative “pièces et main d’œuvre comprises”. Le rêve binaire de forcenés qui fantasment un logiciel global de rechange. Car du système sans retour, mais obligatoire (le capitaliste), rien n’est dit, ni ses buts, ni ses moyens. Tout questionnement du système est tabou. Peu ou pas de “pourquoi”. Pourquoi ?
C’est aussi une approche hygiéniste, qui préfère éviter de déclarer cyniquement que rien ne sera entrepris en défaveur des plus fortunés parce que c’est le sens de l’histoire, “que c’est comme ça (et pas autrement donc bouclez-la)”. Un vocable confortable et consensuel pour imposer l’inacceptable. Un argumentaire parcellaire ne prenant pas en compte le contexte général. Celui d’un état de fait non consenti, sans finalité, qui impose arbitrairement des solutions uniques et unilatérales. Soutenues doctement par des disciples sérieux, proprets et “scientifiques” œuvrant pour le bien commun.

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