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La casse des services publics

Publié le 20 avril 2010 par Copeau @Contrepoints
La casse des services publics

La grève à répétition à la SNCF (la troisième en trois mois), qui a notamment pour prétexte « le démantèlement du fret », attire une nouvelle fois l'attention sur les services publics : à en croire les syndicats, on assiste, sous la pression conjointe de Bruxelles et de l'ultralibéralisme qui domine notre pays, à « la casse des services publics », prélude à leur privatisation. On embrouille l'opinion en mélangeant tout et en la persuadant qu'un « service public » ne peut être assuré que par un monopole public. Il faut remettre les choses à l'endroit.

Passage du service public au service d'intérêt général ?

La « tradition » française, dominée par les syndicats marxistes et l'héritage des idées étatistes, part d'un principe simple : un service public doit être assuré par un monopole public. Sans cela le courrier ne serait plus distribué aux personnes isolées, l'électricité serait plus chère ou les trains finiraient par dérailler puis disparaître. Mais qu'est-ce qu'un service public ? Tout service n'est-il pas destiné au public ? Quel service serait prioritaire et appellerait-il un soin particulier ? S'il s'agit des choses indispensables, la nourriture relève du service public et il faut nationaliser les boulangeries.

Le débat a été renouvelé depuis l'acte unique européen, qui met l'accent sur la concurrence et change le vocabulaire : au niveau européen, on parle de service économique d'intérêt général. Pour Bruxelles, cela implique de respecter certaines règles, comme le caractère universel du service (personne n'en est exclu), sa continuité, etc. Dans cette logique, n'importe quelle entreprise peut s‘engager à respecter ces règles du jeu et il n'y a donc aucune raison d'assimiler service d'intérêt général et monopole public. Une entreprise privée peut très bien rendre un service d'intérêt général, on dira même que c'est la vocation de toute entreprise. Les directives européennes ont donc peu à peu rendu obligatoire l'ouverture des services d'intérêt général à la concurrence. Des dates butoirs ont été fixées. La France a été obligée de s'incliner, contre l'avis des syndicats et de la majorité de la classe politique, tout en cherchant à gagner du temps, à retarder l'ouverture, et à demander des dérogations.

Tous les secteurs sont concernés par l'ouverture à la concurrence

Aujourd'hui, au niveau européen, le processus d'ouverture est bouclé, ou sur le point de l'être. On l'observe pour le courrier, les transports (aériens puis ferroviaires), l'audiovisuel, les télécommunications, l'électricité, le gaz, etc. Les Français apprécient le changement dans la téléphonie, avec un choix ouvert et une baisse du prix des communications. Du temps du monopole des PTT, il fallait à peu près un an pour obtenir le téléphone !

Même progrès dans l'audiovisuel. Le monopole de l'ORTF en faisait « la voix de la France ». Ici, c'est l'évolution technique qui a brisé le monopole : les radios périphériques se sont développées, d'où le succès d'Europe 1, RTL, RMC. Le monopole de la télévision d'Etat lui non plus n'aurait pas tenu longtemps avec le satellite, les paraboles, ou le câble. Il a quand même fallu attendre 1981 pour autoriser les radios privées sur le territoire et 1986 pour privatiser une chaine de télévision.

Pour le reste, cette ouverture à la concurrence nous a obligés à séparer infrastructures et exploitation : c'est ainsi que la SNCF s'est séparée de Réseau Ferré de France (les rails), pour permettre à des trains d'autres compagnies de circuler sur les mêmes voies, en payant une redevance. Mais les Français ne savent pas la révolution qui est ici en marche ; le fret est déjà ouvert à la concurrence : c'est cela la « casse » ou le « démantèlement » dénoncés par Sud Rail et la CGT. L'ancien monopole public de la SNCF, lourd, inefficace, coûteux, et déficitaire n'a survécu qu'aux frais du contribuable, versant cette année un milliard d'euros. Peu à peu il sera remplacé par des entreprises concurrentes, qui, en outre, ont l'avantage de ne pas être en grève. Il se passera ce qui s'est passé dans le transport aérien avec le low cost. D'ici quelques mois, c'est le trafic voyageur qui sera libéralisé : on prendra un TGV Air France ou Veolia. Voilà le vrai service public : moins cher, de meilleure qualité, et la continuité y est assurée…par l'absence de grèves.

Ouverture à la concurrence ou privatisation ?

En France, non seulement les syndicats freinent cette ouverture à la concurrence, mais les entreprises monopolistes font de la résistance. On l'a vu avec EDF qui a imposé aux pouvoirs publics ses conditions. Le projet de loi de libéralisation, selon les termes du Figaro, sera « de plus en plus favorable au groupe public » : EDF accepte de céder (à ses concurrents) son énergie d'origine nucléaire à des prix si élevés qu'aucun opérateur autre qu'elle ne survivra.

Cela dit, syndicats ou pas, résistance ou pas, délais ou pas, tous les secteurs s'ouvrent et s'ouvriront à la concurrence. Si les ménages français ne l'ont pas toujours réalisé, les entreprises, elles, parce qu'elles achètent en quantité, en profitent logiquement dès aujourd'hui. Elles font pression et cherchent des formules alternatives. Ce qui fera baisser les prix, multipliera les points de vente et finira par toucher peu à peu les ménages.

Les syndicats mentent au public quand ils assimilent ouverture à la concurrence, société anonyme, ouverture aux capitaux privés et privatisation. La Poste en donne un bon exemple : étant ouverte à la concurrence, elle ne pouvait plus garder son statut antérieur. D'où la loi, qui en application des directives européennes a transformé La Poste en société anonyme à capitaux, mais capitaux exclusivement publics. Le gouvernement, jouant le jeu des syndicats, a refusé toute ouverture au capital privé. Parallèlement une grande campagne d'intoxication a été organisée : avec la « privatisation » on ne distribuerait plus le courrier aux personnes trop éloignées. On nous a émus avec l'histoire de la petite vieille dans son village dont le postier reste le seul visiteur, on nous a fait pleurer sur la fermeture des services publics, dernier lieu de vie dans les quartiers ou les communes rurales.

En réalité retarder une vraie privatisation, en refusant pour La Poste ou la SNCF l'ouverture du capital aux fonds privés, c'est priver ces entreprises de l'argent frais dont elles auraient bien besoin. Voilà des années qu'avec les fonds publics (du contribuable) pour seules ressources, ces entreprises sont mal gérées, parce qu'irresponsables devant des actionnaires. Les équipements et les réseaux se sont dégradés, le personnel a refusé toute adaptation. Bref ces « monopoles publics » tombent en ruines, non pas à cause de l'ouverture à la concurrence, mais bien de la fermeture à la concurrence.

Pourquoi laisser ces entreprises à la dérive ? La vraie raison est idéologique, mais surtout corporative : les leaders syndicaux veulent conserver les privilèges, les régimes spéciaux, les retraites avantageuses, les temps de travail réduits. Ils veulent aussi préserver leur pouvoir.

Ce qui compte vraiment : le service du public

L'exemple de la poste suédoise est un des plus intéressants pour montrer ce qui pourrait se passer en rompant avec le monopole. Dès 1994 la Suède a commencé à déréglementer le secteur postal. Qu'est-ce qui a changé pour l'usager ? Les bureaux de poste traditionnels ont disparu. Casse du service public ? Au contraire : on va maintenant envoyer ses lettres ou récupérer ses paquets chez l'épicier du coin ou à la station service. Avantage : ils sont plus nombreux que les anciens bureaux de poste ; ils ont des horaires nettement plus souples. Non seulement cela n'a pas entrainé de désertification, mais, au contraire, c'est ce qui a permis à de petits commerces de survivre grâce au revenu complémentaire tiré de l'activité postale. Pour revivifier le tissu économique, les villages, les quartiers, rien de mieux que de fermer les vieux services publics et de transférer les opérations postales aux commerçants. Qu'est-ce qui a changé pour la poste suédoise ? Elle avait 70 000 employés, elle n'en a plus que 30 000, et continue à supprimer des emplois. Il a existé parallèlement jusqu'à une centaine d'opérateurs privés, parmi lesquels le marché a fait le tri : il en reste trente, sans compter la poste publique…norvégienne, qui gère 9% du marché suédois ! Enfin, la mécanisation fera le reste : bientôt, le tri automatique classera le courrier dans l'ordre de distribution, les facteurs pourront faire des tournées plus longues, n'ayant plus à trier. Les coûts, donc les prix, diminuent déjà en raison de la concurrence.

Tout cela, les Français l'ignorent. Mais nos grévistes professionnels, sans s'en rendre compte, rendent un réel service : ils vont aider les Français à comprendre qu'avec le secteur public monopolistique, parler de la qualité du service public et de sa continuité est une belle plaisanterie. Bientôt l'opinion publique se rendra à l'évidence : seule la concurrence permet le vrai service du public, ce qui est vraiment la seule chose qui compte. Vivent les grévistes !

Article repris avec l'aimable autorisation de Jacques Garello, directeur de publication de la Nouvelle Lettre. Image : logo de la SNCF, tous droits réservés.

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