Pourquoi nous n’allons pas voter…

Le symbole est fort et fait réfléchir, encore une fois… Le taux d’abstention est de 54% au premier tour des élections régionales, dans la lignée des chiffres aux élections européennes (58%). Plus d’un français sur deux qui ne va pas voter, que doit-on comprendre ?

On peut dire plusieurs choses, mais avant tout il faut savoir de qui on parle, car le terme « français » est bien trop englobant pour faire sens. Aux dernières élections, c’est les jeunes qui, principalement, ne sont pas allés voter (71% d’abstention chez les 18-24 ans). Gageons sans trop s’avancer qu’ils ne sont pas plus convaincus que la dernière fois. 

C’est un paradoxe à plusieurs titres. D’abord parce que cette élection nous concerne particulièrement : transports en communs, gestion des lycées, apprentissage, logements étudiants, politiques d’avenir (dont la conversion écologique des territoires)… nombreux sont les thèmes qui pourraient et qui devraient mobiliser.

Plus fondamentalement encore, on comprend mal pourquoi notre génération 3W (pour World Wide Web) n’est pas capable de faire jouer davantage les nouveaux outils de communication et d’information dont elle dispose pour relayer, diffuser, s’approprier les débats. Ce n’est pas faute de ne pas savoir les utiliser… En fait, on les utilise surtout différemment. De là naît un véritable marqueur générationnel qui explique en partie l’abstention:

Les nouveaux vecteurs d’information nous permettent de véhiculer et d’alimenter, fait nouveau, une émotion à l’égard des événements du monde. Là où la conscience mondialisée s’exprimait auparavant à travers des idées, des récits, des représentations ; elle se personnifie aujourd’hui à travers des MMS, des blogs, des twits. Avec son revers : l’instantanéité. La compassion est éphémère, elle ne dure au mieux que jusqu’à la prochaine. Ainsi on se sent terriblement proche des victimes du tremblement de terre à Haïti – aidés en cela par les médias qui retransmettent en live les opérations de secours – mais on se désintéresse de la vie publique locale, trop peu spectaculaire.

Cette tendance de fond n’est pas nouvelle ; elle accompagne une certaine montée de l’individualisme dans la société, qu’on ne peut que constater depuis quelques décennies (voir le brillant décryptage qu’en a fait le penseur français Gilles Lipovetsky). Elle n’en est pas pour le moins irrémédiable.

Une société qui a mal à sa jeunesse

Si les jeunes ont du mal à se reconnaître dans la politique aujourd’hui, ce n’est pas tant qu’il nous manque des grandes luttes, des utopies, des systèmes de pensée. Il en existe encore, n’ayez crainte le combat continue. C’est surtout qu’ils se sentent lâchés.

Et le sentiment est légitime : 19% de chômage chez les 15-24 ans en 2009 et depuis plusieurs années (la crise ne venant aggraver qu’à la marge ce constat). Les jeunes français préfèrent faire des études longues ? C’est en fait souvent un moyen de retarder l’arrivée sur un marché du travail atone qui n’est pas prêt à nous faire une place. La stratégie est d’ailleurs peu payante, puisque les diplômés aussi sont de plus en plus touchés. Des stages non rémunérés aux périodes d’essai à n’en plus finir sous couvert de CDD, les jeunes sont trop souvent en première ligne de la précarité.

C’est donc sur la question de l’emploi que la société doit soutenir sa jeunesse. Rien n’est plus efficace dans ce domaine que la politique par la preuve. En somme, montrez-nous que nous avons notre place et nous la prendrons pleinement. Avec tous les devoirs civiques qu’il en incombe.

Une société qui se referme sur elle-même, qui ne fait pas de place à sa jeunesse, est vouée à se laisser mourir. La jeunesse qui ne va pas voter, cela devrait faire doublement réfléchir…

NB: Cet article est repris sur la page web du journal Le Monde, à l’adresse: http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2010/03/22/pourquoi-nous-n-allons-pas-voter_1322180_3232.html