Y a-t-il lieu de se « désespérer » du report de la taxe carbone comme l’évoquait récemment Chantal Jouanno la secrétaire d’état à l’écologie? Pas forcément estime Sylvain Guyoton, Vice-Président Services d’EcoVadis.
Oui, si on considère la déception ou pour le moins la surprise provoquée. De part le maelstrom médiatique engendré par le film d’Al Gore, le grenelle de l’environnement, Home de Yann Arthuis-Bertrand, la conférence de Copenhague et en dernier lieu l’obstacle du conseil constitutionnel, nous avions l’impression que ce nouveau « bébé » fiscal était attendu comme le messie.
Oui, si on se place sur un plan international. Avec sa taxe carbone la France aurait pu emboiter les pas d’autres pays européens comme la Suède et le Danemark, plaçant ainsi l’Europe en position de leader sur la question du CO2, et ce faisant favorisant un rapport de force vers plus de réglementations au niveau mondial.
Mais au final, ce revirement spectaculaire est-il vraiment une catastrophe ?
Non, car il donnera l’occasion de remettre sur de meilleurs rails une réforme discutée par la droite, par la gauche et par l’opinion public. Les récents sondages montraient qu’une majorité de français était contre cet « impôt de plus ». Force est de constater que compte-tenu du climat social l’affaire était plutôt mal partie. Du coup, c’est une deuxième chance qui s’offrira à la France pour enfin déployer une ambitieuse fiscalité énergétique.
Non, car cette taxe carbone n’était pas non plus attendue comme un acte fondateur, pré-requis indispensable à l’instauration de comportements nouveaux mais au contraire comme le nième élément d’un mouvement global vers un monde « dé-carbonisé » initié il y a déjà 13 ans avec la signature du protocole de Kyoto.
Les ONGs mènent avec ferveur depuis des années le combat pour éduquer. Aucun autre sujet n’a été autant médiatisé mise à part évidement la récente crise financière. Les ONGs ont maintenant dépassé le stade de l’alerte et s’efforcent d’informer sur les solutions. La réduction des gaz à effet de serre (GES) équivalant la plupart du temps à des réductions de consommation d’énergie ; les énergies renouvelables étant synonymes d’emplois nouveaux ; les gouvernements du monde entier ont quant à eux privilégié les investissements « verts » dans leurs plans de relance économiques.
Les grands industriels européens soumis à Kyoto, représentant tout de même 40% du volume total des émissions en Europe, et qui avaient été mis en dehors du champ d’application de la taxe carbone, ont déjà lancé des programmes de réduction des GES qui vont au-delà des simples effets d’annonce. A titre d’exemple, les entreprises (mais aussi les particuliers) se tournent de plus en plus vers les énergies renouvelables. La puissance totale des panneaux photovoltaïques sur le territoire français a augmenté de 66% ne serait-ce qu’au 1er semestre 2009. Autre exemple, Air France vient d’effectuer son tout premier vol “vert” entre Paris et Miami qui a permis de réduire de 6 à 9 tonnes les émissions de CO2 par rapport à un vol classique.
Les grandes entreprises répercutent aussi ces objectifs dans leurs propres chaines d’approvisionnement, entrainant avec elles les PME. De récentes statistiques réalisées par EcoVadis montrent que près de 16% des fournisseurs des groupes européens mesurent déjà leurs émissions de CO2. C’est encore faible dans l’absolu, mais le mouvement va s’accélérer avec la généralisation des pratiques d’achats « responsables ».
Les entreprises développent également des produits et services permettant à leurs clients de réduire leurs émissions. Le secteur de l’informatique est un exemple parmi d’autres. Les constructeurs de matériels informatique rivalisent d’innovations pour proposer des solutions (serveurs, réseaux,…) plus efficaces d’un point de vue énergétique. Ce mouvement est accentué par l’apparition d’écolabels reconnus comme Energy Star qui facilitent les décisions d’achats. Toutes les strates de la vie quotidienne comme se chauffer, travailler, manger ou voyager sont revues et corrigées par des solutions permettant de réduire ses émissions de CO2, phénomène illustré magnifiquement par le dernier slogan de Monoprix - « Vivez D.D. de A à Z ».
Evidemment les résultats ne sont pas suffisants et beaucoup de chemin reste à parcourir. Mais le défi est ni plus ni moins que de changer les comportements de l’ensemble des acteurs de notre société. Il eut été surprenant que cela se fasse en seulement quelques années. L’arme fiscale est cruciale mais elle doit être utilisée avec délicatesse pour ne pas braquer ou freiner mais au contraire accompagner dans un élan positif. Ce report permettra peut-être de mettre en œuvre une nouvelle réforme, plus ambitieuse, comprise et acceptée par le plus grand nombre. La taxe carbone est morte, vive la taxe carbone !