24 avril 2010
Noms d’oiseaux, l’insulte en politique de la Restauration à nos jours
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La critique du livre de Thomas Bouchet par Claude
C’est un essai historique qui m’a été offert par un ami très cher et très perspicace. Car bien sûr j’ai actuellement toute raison de m’intéresser aux « mouvements divers » qui marquent les assemblées, politiques ou non.
D’une plume alerte et élégante, Thomas Bouchet nous fait voyager dans les fureurs de l’Hémicycle, depuis la curieuse colère des ultras de 1823 contre leur collègue libéral de gauche Manuel – tiens, malgré le suffrage censitaire très haut, il y avait tout de même quelques députés de gauche dans la Chambre introuvable ? - jusqu’aux ignobles attaques dirigées contre Simone Veil en 1974.
On y voit des députés de droite et de gauche perdre leurs nerfs et leur éducation, tels les antidreyfusards aveuglés par la haine contre Jaurès, Xavier Vallat regrettant que « ce vieux pays gallo-romain soit désormais gouverné par un juif » ou les communistes de 1947 traitant de « boches » Robert Schuman, lorrain interné par les Nazis en 1941, et son ministre de l’Intérieur Jules Moch, juif lui aussi, deux ans seulement après la découverte d’Auschwitz.
Sous ses dehors brillants et drôles, c’est un livre dur, un vrai musée des horreurs, montrant jusqu’ou peut descendre la politique. Il nous apprend deux faits essentiels : les insultes sont rarement fortuites, ce ne sont pas des coups de sang, mais plus souvent le résultat de stratégies parlementaires, visant d’abord à faire perdre ses nerfs au parti insulté, pour gagner du temps, peut être même pour retourner la majorité. La démonstration est réussie pour les Communistes en 1922 (« Poincaré la guerre ») et pour les anti-avortement en 1974.
Et surtout, les insultes dénotent le plus souvent une faiblesse des insulteurs, elles sont une stratégie du faible au fort : malgré les criailleries guernesiaises de Hugo, Napoléon III, que personne ne se hasarde plus à qualifier de « Petit », a construit une grande Nation moderne, Dreyfus a été réhabilité, la démocratie libérale a gagné en 1947, et le PC n’est plus qu’un souvenir ; de même, l’IVG est entrée dans la loi, parce que les Français l’ont voulu, n’en déplaise aux insulteurs.
Au passage, pour revenir sur une polémique fraiche, je note cette affreuse invective de Le Pen, alors député poujadiste, à Pierre Mendès France : « vous cristallisez sur votre personne un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». Comme disait Jean Pierre Raffarin « Ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? ». Les humoristes ont le droit de tout dire, mais les citoyens ont le droit de leur dire qu’ils déraillent avec le délit de sale gueule.
Stock, 305 pages, 18,50€