Magazine Humeur

Allo Istanbul, ici l'insomnie...

Publié le 22 avril 2010 par Lababouchk

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Trois semaines que ta lettre a échoué au fond de mon sac. Je ne pouvais pas te répondre avant que le soleil du « Cœur de France », comme tu me l’as décris, puisse rivaliser avec celui qui arrose le  Bosphore de ses rayons. Ma nuit a été tumultueuse, sa moiteur fut semblable à celle qui envahit les wagons de l’Orient-Express une fois la gare de Bucarest passée. Du moins dans mon imaginaire, puisque la liaison ‘directe’ Paris-Istanbul, n’existe plus que dans la littérature... Je me résigne, en m’extrayant de mon sommeil la nuit a gagné sa bataille par un joli KO. Je m’arme afin de ne pas rester sur une défaite et je m’en vais résoudre cette éphémère et nocturne énigme, qui parfois fait que les bords de Loire ont le charme d’un  Petit Paris. Cette alchimie ne s'opère jamais le soleil levé alors il me faut faire vite pour capter l'humble quiétude qui s’offre en spectacle.

J’ai le sentiment profond que la ville m’appartient et happée par son tourbillon, je finis par déambuler, le cœur pointé vers l’horizon. Cela me procure une sorte d’ivresse, qui m’attendrit mais finit par me rappeler les déclarations d’amour que j’ai pu faire à Montmartre. Surplomber la Capitale des hauteurs du Sacré Cœur me manquera toujours. Il me faut marquer une pause avant que cette agréable balade ne devienne une mélancolie spleeneuse. Pour faire diversion, je décide de m’accorder ce luxe qu’est l’oisiveté à une terrasse place Jean Jaures. Ce n’est plus dans mes habitudes mais aujourd’hui, la nostalgie me pousse matinalement à savourer un café-noisette. Je m’installe alors et rêvasse en contemplant l'horizon encore tramé d’un mauve profond. Pendant que la lune s’efface, la ville s’éveille et comme toujours, me laisse profiter de l’ébullition qui la gagne, laissant la nuit recracher les premiers citadins.

L’air est chargé mais une douceur atypique s’en empare car la circulation est quasi-nulle et les clochards aussi rares qu’assoupis… Il y a bien au loin, des perturbateurs de cette tranquille volupté. Pas plus grands que des playmobil(e)s, qui courent valises au poing jusqu’à la gare histoire de ne pas louper le 7H05 pour Montparnasse. La perspective me donne cet étrange capacité de les tenir entre mon pouce et mon index et dans un élan sociopathe de pouvoir les écrabouiller… Je n’en ferai rien car il me suffit de tourner la tête pour faire abstraction de leur folle précipitation. Je profite de ce moment éphémère car dans l’heure la citadinité aura repris ses droits. La foule envahira à nouveau la place. Je me laisse surprendre car j’avais oublié l’intemporalité du lieu : les habitués sont encore et toujours là !

J’imagine qu’il est encore trop tôt pour qu'ils soient réunis au grand complet car un seul des rabz’’ est là. S’attablant, il m’a souri et déployant l’Equipe,  m’a lâché un « Ahlan wa sahlan » plein de malice. Je n’aurai pas le loisir de vérifier s’ils ont toujours la même approche surannée de la gente féminine et si leurs répétitifs mais enflammés débats mêlent encore football, dernières brèves du quartier et  prises de position animées au sujet de la religion. Je suppose que ça vanne, tape du poing sur la table, mate, siffle, rigole fort et toujours autant. Je sais seulement que si je repasse vers 13h il sera encore là, sirotant son unique café-crème accompagné de l’incontournable verre d’eau.

Monsieur-Chapeau aussi est là. Tout le monde le connaît mais personne ne partage jamais sa table. Il a cette coutume de marquer le pavé par sa prestance et de l’odeur de son cigarillo saveur vanille.  Plus immuable que lui tu meurs, seul son couvre-chef et ses boutons de manchettes assortis à la saison changent. J’ai toujours autant de tendresse pour l’élégance de ce vieil homme aux yeux aussi perçants que la teinte encore un peu délavé du ciel, aujourd’hui raccord avec la couleur de sa cravate. Son luxe à lui reste d’avoir le temps de se plonger dans la lecture du Monde et avouons-le, il en faut bien 24 des heures pour le parcourir.

Fade comme la fourrure mitée qui recouvre ses épaules usées, la grande Zoa fait son entrée. Sapée comme pour son propre enterrement, on sent qu’elle avait été belle, cette femme à la carrure bourgeoise usurpée. Mais sa gouaille ponctuée par l’accent titi parisien finit toujours par la trahir. J’aime l’écouter lorsqu’elle raconte son faste passé et ses 3 maris enterrés. Son assurance millimétrée me rappelle qu’il ne faut jamais devenir l’ombre de soi-même. Mais elle reste incontournable car le zinc sans la grande Zoa et ses histoires ce n’est plus qu’un banal bloc de bois.

Marius aussi est au rendez-vous, encore sobre mais ce n’est qu’une question de minute. Encore plus édenté que dans mon souvenir, il m’a proposé un croissant. Accepter cette viennoiserie serait là mon erreur parce qu’il commencerait à me ressortir le refrain 1000 fois entendu de sa vie aux Antilles. Celui de ses imaginaires ou réelles traversées de l’Atlantique, ponctuées de sa honte d’être un homme blanc ou de sa créolité par procuration. Il m’a juré de m’emmener avec lui à la Barbade alors que je ne lui avais rien demandé. A chaque fois il se dit sur le départ mais chaque jour il se chuchote à nouveau cette promesse à lui-même.

C'est là, la fin de mon insomnie. Car la citadinité reprend ses droits, les étudiants reviennent de week-end, les autres vont travailler, et les petits vieux continuent avec le premier venu, de glaner des petits moments de sociabilité. Une chose est certaine, petite turque d’adoption, rien a changé mise à part ton absence qui se fait grandissante. Tu n’es plus là et nos longues conversations bercées par les flots de la Loire, la bouche pleine de loukoums à la rose me manquent. J'aperçois au loin, Saliha qui me salut . Avec un peu de chance elle ne voudra rien boire et m’extraira des griffes de chaton de ce pochtron de Marius…

Tourangellement, ...


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