« Quelle est ta religion ? C'est pas tes oignons ! ». Sous un soleil de plomb, le cortège s'enfonce bruyamment vers le centre-ville de Beyrouth, en enchaînant les slogans incisifs. Dans la foule, ni munitions, ni drapeaux politiques ou confessionnels. Seules quelques roses rouges portées à bout de bras. Et des pancartes qui disent « non à la guerre civile » et « oui au mariage civil ». « Il est temps de séparer la religion de la vie politique et sociale », insiste Ghalas Charara, une étudiante libanaise de 18 ans. Pour elle, cette « laique pride » - organisée dimanche dans la capitale libanaise - c'est « le début d'une vraie mobilisation citoyenne pour plus de droits, surtout pour les femmes».
Boucle brunes sur t.shirt moulant à manches courtes, elle aurait pourtant de quoi rendre jalouses ses consoeurs des pays voisins, comme l'Egypte ou encore l'Arabie saoudite, beaucoup plus conservateurs. Mais au pays du Cèdre, les apparences sont souvent trompeuses. Car au Liban, pays de cinq millions d'habitants où cohabitent 18 communautés religieuses, la vie privée est souvent téléguidée par l'église ou la mosquée. C'est le cas pour le mariage, l'héritage, le divorce, la garde des enfants, où les femmes sont souvent lésées. «Ici, le mariage civil n'existe pas », rappelle Ghalas. « Du coup, les jeunes qui veulent échapper au poids de la religion partent se marier sur l'île de Chypres, juste à côté». Mais le voyage, coûteux, n'est pas donné à tout le monde.
Les affaires se compliquent encore plus lorsqu'il s'agit d'un mariage « mixte ». De mère sunnite et de père chiite, Ghalas en sait quelque chose. « A l'école, quand j'étais petite, on voulait toujours me coller des étiquettes. On me demandait : tu te sens sunnite ou chiite ? Moi, je répondais : je suis Libanaise ! », dit-elle.
Sous pression de la société civile, le Ministre de l'intérieur, Ziad Baroud, a récemment autorisé ceux qui le souhaitent à ne pas préciser leur religion sur leurs documents officiels. Une mini-victoire qui cache une montagne d'autres problèmes, ancrés dans les mentalités depuis la guerre civile (1975-90). « Il y a des murs dans la tête des gens. Le Libanais peut parler différentes langues, voyager, être ouvert sur le monde. Et en même temps, il ne parle pas à son voisin, tout simplement parce qu'il est d'une autre communauté. Au quotidien, chacun vit dans un carcan », regrette Nagham, une mère de famille, qui refuse volontairement de décliner sa religion.
Le carcan est également politique. Selon un système de partage des pouvoirs, mis en place en 1943, le président est un chrétien maronite, le président du parlement est un musulman chiite et le premier ministre un musulman sunnite. L'accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile de 1975-1990 a donné aux musulmans la parité au Parlement et prévu l'abolition du confessionnalisme. Cependant, les quotas religieux pèsent encore de tout leur poids dans l'administration, l'armée et l'éducation.
« Au Liban, la balance confessionnelle prime sur les droits fondamentaux des citoyens », relève la juriste Nadine Farghal, en rappelant que, pourtant, « la Constitution insiste sur l'égalité des chances ».
Du coup, « tout changement potentiel devient rapidement politique », regrette Omar Traboulsi, un des manifestants. Membre actif d'un collectif militant pour que les Libanaises mariées à des étrangers puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants, il sait de quoi il parle. « Certains communautés s'opposent à cette mesure, par peur de voir les mariages entre Libanais et réfugiés palestiniens sunnites vivant au Liban transformer l'équilibre confessionnel », explique-t-il.
Dans la foule, d'autres organisations ont également répondu à l'appel : féministes, défenseurs des droits des homosexuels, groupes d'artistes... A son arrivée, une heure plus tard, en centre-ville, le cortège compte environ 5000 manifestants. Mais il se heurte vite à un barrage de policiers, bloquant l'accès au Parlement. « Question de sécurité ! », explique l'un d'entre eux. « La quête de laïcité est un rêve inachevé », soupire Nagham.
Crédit photo : Delphine Minoui