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Du bushi au samouraï : évolution du guerrier japonais - 2

Publié le 26 avril 2010 par Ivan

hatamoto A partir de 1615, la paix va régner sur le Japon. Les guerres, raison d’être des bushis, ne sont plus d’actualité, ce qui va obliger cette caste à redéfinir son rôle au sein de la société. Les changements qui en découlent vont déclencher un grand nombre de modifications pour ces hommes, qui s'adaperont ou lutteront pour leur survie.

Le 6 juin 1615, 200 000 bushis commandés par Ieyasu Tokugawa se pressent autour du château d’Osaka. Celui-ci est tenu par le fils de Toyotomi Hideyoshi, Hideyori, ancien maître de Ieyasu, auquel il doit allégeance. Mais après avoir conquis tout le Japon, il rêve du pouvoir absolu et aucun obstacle ne doit plus jamais venir entraver son rêve d’un pays enfin unifié et sans guerre. Un an auparavant, Ieyasu avait échoué à faire tomber le château d’Hideyori qui bénéficiait de quelques 115 000 guerriers. Mais cette fois-ci, le rapport de force a changé. Le 6 juin, Ieyasu ordonne l’offensive majeure. Le lendemain, Toyotomi Hideyori se fait seppuku. Ieyasu Tokugawa est le premier maître absolu du Japon.

 

Osaka-chateau-japon

Cette grande bataille qui a vu s’affronter des centaines de milliers de bushi marque paradoxalement la fin de leur ère. Ieyasu va désormais imposer la paix, certes d’une main de fer, mais aucune grande armée ne sera plus levée pour combattre désormais. La paix apporte de multiples changements à commencer par une croissance impressionnante de la production du riz. Le pays se porte mieux, la population va croître rapidement à partir de ce moment précis. Ieyasu va alors prendre une décision qui va avoir un grand retentissement. Puisque le bushi ne se battait jamais aussi bien que lorsqu’il était grassement payé en monnaie sonnante et trébuchante, alors il va désormais les payer en riz. Les bushis avaient à ce moment-là perdu le lien qui les unissait à la terre. En effet en 1588 Toyotomi Hideyoshi les avait obligés à renoncer à leurs terres pour ne vivre que grâce à la paye que les daimyos devaient fournir. La terre reste certes une récompense pour fait de guerre, mais souvent le terrain est assez juste pour nourrir tout le monde. Il est donc déjà pleinement au service de son seigneur. Il va le rester mais comme il n’y a plus de guerre, il devient un administrateur pour le servir non plus par les armes, mais par le pinceau et la loi. Le terme qui va le définir change et le guerrier devient un samouraï. Ce terme (侍) qui vient du verbe servir (saburau), signifie serviteur. Ce terme aurait choqué à l’époque des bushis, mais les temps ont changés.

Montée en puissance …

Japanese-samourai
Délaissant l’armure pour le port du kimono, les samouraïs deviennent donc les premiers fonctionnaires. Mais comme symbole de leur passé, ils conservent deux droits importants : le droit de conserver le daisho (les deux sabres) à la ceinture et le droit de mettre à mort quiconque les importune, du moins dans le peuple. En période de paix, les combats sont rares, mais les troubles à l’ordre public fréquent. Certains d’entre eux vont se spécialiser dans un rôle de police, ce qui leur permet de continuer à pratiquer le combat, même si celui-ci se fait surtout, et de plus en plus, sous la forme du duel. Autre rôle, celui du garde du corps. Le samouraï accompagne toujours son daïmyo dans ses déplacements. Déplacements fréquents d’ailleurs puisque pour éviter les soulèvements en province, les daïmyos et leur cour sont obligés d’aller à la capitale pendant 6 mois par an, afin de rester sous l’œil vigilant du shogun Tokugawa. Ces déplacements vont d’ailleurs créer toute une économie du tourisme (hôtellerie, station thermale, développement des routes, poste de police) qui va ouvrir les provinces à l’influence les unes des autres et améliorer l’économie florissante du pays. Les marchands sont désormais la caste qui monte vers les plus hauts sommets. Et ce d’autant plus que les samouraïs fonctionnaires, qui ne sont plus absolument nécessaire pour la survie d’une province, sont assez mal payés, et en riz de surcroît. Nombreux sont ceux qui vont devoir mettre un de leur sabre ou leur armure en gage et le remplacer par une imitation en bois. Cette pauvreté relative des samouraïs va être confortée par l’idéologie zen très en vogue dans leur caste, qui prône la frugalité, le dépouillement, soit le contraire des bushis (opulence, ostentation).

Des transformations importantes

Les samouraïs conservaient bien sûr la nostalgie du temps des bushis et rêvaient toujours à un retour de leur grandeur. Toutefois, la société a tellement évoluée que ce retour en arrière est impossible. La première adaptation des guerriers pour devenir socialement acceptable et fréquentable et ne plus être perçus comme des êtres sanguinaires, consiste à se former aux arts. La poésie, l’ikebana, la cérémonie du thé, la philosophie et la spiritualité (zen essentiellement, mais aussi shinto, lire La méfiance des dieux) sont autant de voies qui permettent de les adoucir et d’apprendre à maitriser leurs pulsions meurtrières.

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Du point de vue du combat, tout change. Le fait de devoir se battre sans armure, en duel un contre un ou un contre quelques uns, permet de multiplier les techniques au sabre. Le sabre devient alors, et à ce moment là uniquement, l’arme préféré des samouraïs. Autrefois sur un champ de bataille, la lance et éventuellement la naginata, et surtout l’arc (avant l’arrivée des armes à feu) étaient de loin les armes favorites. Le sabre obtient alors un statut quasi-sacré, qui symbolise l’âme du samouraï. Son entrainement change radicalement aussi. Le samouraï reste au 17e siècle le porteur de techniques de combat très efficaces. Comme ces techniques n’ont plus lieu d’être, les écoles se multiplient dans un double but : préserver l’héritage et les connaissances acquises, transformer les arts de combats en voie de réalisation personnelle à l’instar des voies artistiques. Les shin-bujutsu naissent souvent à cette époque (lire Histoire et classification des arts martiaux japonais). Dans ces écoles naissantes, la grande majorité fait la part belle à l’étude du sabre et aux techniques à mains nues afin de répondre à la demande. En effet, il n’est plus possible pour un samouraï de se promener avec une arme longue comme un yari par exemple (lire Les armes du bushi) ou même un arc.

Un livre pour se définir

Pour ne pas perdre toutefois leur âme, et gagné par la nostalgie, un code ancien est finalement rédigé : le bushido. Le bushido, ou la voie du guerrier, est mentionné pour la première fois en 1616 dans le Kôyo Gunkan. Il s’agit d’une chronique des faits guerriers du clan Takeda dont la rédaction est achevé cette année-la par Kanegori Obata. Ce code mentionné, va très vite être publié et diffusé pour tous les samouraïs. Il emprunte au Bouddhisme l’endurance stoïque (notamment le rituel de Misogi), le respect du danger et la bravoure face à la mort. Le Shintoïsme lui apporte le culte de la patrie et de l’Empereur. Le Confucianisme une certaine littérature, une culture artistique, le sens de l’organisation et de l’administration ainsi que la morale. Mais c’est la notion de dédain face à la mort qui va surtout marquer les esprits. La bravoure au combat ne pouvant plus être démontré, les samouraïs la démontrait par la capacité à juger du moment présent par rapport à la mort, comme s’ils étaient déjà plus de ce monde. Les écoles de shin-bujutsu véhiculent clairement cet état d’esprit. « La voie du samouraï s’accomplit dans la mort » énonce Yamamoto Tsunemoto, phrase qui aurait hérissé les cheveux de bien des bushis. En tout état de cause, les samouraïs ont trouvé avec le bushido le livre qui leur ouvre les portes à une certaine forme de mythologie et de mysticisme sur eux-mêmes.

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(Première page du livre manuscrit du Bushido du clan Tokugawa)

Autre livre important, le Hagakure, rédigé entre 1709 et 1716. Il s’agit des pensées en enseignements du samouraï Jôchô Yamamoto du clan Nabeshima recueillies par le scribe Tashiro Tsuramoto. Mais ce livre a été conservé jalousement au sein du clan Nabeshima pendant 150 ans, pour n’être révélé au grand public qu’au… 20e siècle. Il cite abondamment le bushido comme voie ultime du guerrier.

Des samouraïs à une armée moderne

Il n’est pas facile d’imaginer aujourd’hui ce qu’a représenté pour les samouraïs toutes les transformations qu’ils ont du subir. Bien sûr ce ne fut pas du jour au lendemain, mais leur période fut finalement assez courte, tout juste 238 ans. L’une des modifications majeures dans l’art de la guerre nippon fut l’arrivée des armes à feu. La fin de l’état de guerre sur l’archipel à sonné le glas des armées provinciales. Les seules troupes restant sur le territoire étaient celles du shogun afin de continuer à faire régner l’ordre et pour imposer les ordres des Tokugawa. L’armée reste donc une carrière possible pour les samouraïs désireux de servir non plus leur clan, mais le shogun. Toutefois cette armée ne va pas rester inerte.

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(samouraïs avec des mousquets au 18e siècle)

Tout d’abord, l’arrivée des armes à feu, on l’a vu, a été l’un des changements majeurs dans la façon de combattre. La production d’armes à feu est strictement contrôlée par le shogunat et uniquement destiné à ses troupes. Ensuite, l’armée cherche à se moderniser au 19e siècle pour obtenir des corps entièrement spécialisé dans le maniement des fusils. Les samouraïs sont appelés à devenir les capitaines de ces armées, ce qui ne va pas être sans problème.

Avec l’arrivée des américains en 1853, le commodore Perry et ses « bateaux noirs » force le pays à s’ouvrir. La puissance de feu des canons de la flotte va donner une leçon que les japonais ne sont pas prêts d’oublier. La conclusion est que plutôt que d’être colonisé par les occidentaux comme la Chine, il faut mener une réforme profonde et rapide de l’armée.

La fin des samouraïs

La réaction à l’arrivée des occidentaux après deux siècles et demi d’isolationnisme total est très vive. Le souhait de la population est de rejeter les étrangers et d’honorer l’empereur : c’est le sonnô jôi. Du coup, les partisans de l’empereur se font plus nombreux et vont affronter ceux qui soutiennent le shogunat des Tokugawa. Les clans les plus puissants (Satsuma, Tosa et Chôshû) vont s’allier pour soutenir le jeune empereur Mustohito. En novembre 1867, le shogun Yoshinobu Tokugawa donne sa démission à un empereur âgé de 15 ans seulement, et refuse de nommer un successeur afin de laisser le pays s’ouvrir pour évoluer. Avec la perte de la tête du bakufu, les derniers clans fidèles au système du shogunat vont se battre pendant la guerre du Boshin contre les alliés de l’empereur. Leur défaite marque la fin du système féodal. L’empereur et son gouvernement quitte alors Kyôto pour s’installer à Edo dans les bâtiments du shogun, et renomme la ville Tôkyô.

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(Le clan Satsuma pendant la guerre du Boshin)

La première grande réforme qu’il va mener et l’abolition définitive de la caste des samouraïs. Il faut dire qu’ils représentent 6% de la population, c'est-à-dire environ 1,8 million d’hommes selon le recensement de 1850, sur une population de 30 millions de personnes. Le coût que leur entretien représente un poids mort pour le développement du pays et leur caste constitue un risque permanent de révolte. Les samouraïs vont alors fournir les premiers hommes d’affaires, chefs d’entreprises du pays, mais aussi les hommes politiques (tous les premiers premiers ministres de l’histoire du pays) ainsi que les cadres militaires de l’armée impériale du Japon. Toutefois, ces changements sont si radicaux, que mêmes les supporters de l’empereur, à savoir le clan Satsuma, se rebelle. Takamori Saigô mène la lutte, mais il sera maté en six mois seulement. Porté à l’écran par l’acteur Ken Watanabe, il sera connu comme étant « le dernier samouraï ». 

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