Travailler sans souci de gloire ou de fortune, avancer sur les pieds, sur les mains, sur les genoux, en rampant, en s'aidant avec les coudes, avancer à l'aveugle, avancer en geignant, avancer en riant, avancer en chantant, avancer en se taisant, en maugréant. En parlant fièrement, à voix haute, claire, intelligible.
Se mordre la langue jusqu'au sang, garder le mot pour soi, le mot qui ne doit être que livré suggéré, dévoilé dans son essence seule. S'ouvrir le ventre - seppuku - fine lame acérée... Laisser échapper cette substance chaude qui recouvre les os, se dilue dans le sang, se cache dans la profondeur des entrailles. Laisser sa peau en partage chaleureux avec celui que tu ne vois pas, là. Là-bas, à portée de mains. Vois...
Respiration diffuse dans cette salle sombre, presque inquiétante, porteuse de ces sièges de velours épais et nus qui accueilleront des dos, des nuques, des sexes que tu ne sais pas.
Passer de la lumière à l'ombre et de l'ombre à la nuit. Retrouver le soleil quand bon te semblera, avancer. Avancer debout, avancer en certitude folle de savoir que la vie n'est que cela. Je veux te rendre hommage ce soir Laurent. Je veux te rendre hommage théâtre, miroir des fous, miroir de l'homme, aliment noble, fruit mûr, corbeille exquise de figues et de raisins, pain, vin, source dans le désert, soleil, réservoir de toutes les tempêtes, phare inconséquent posé sur le rocher brisé d'une côte sauvage. Avancer, avancer dans la vie, sachant que le théâtre est l'unique demain.