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Alain Juppé tente un retour en première ligne de la vie politique nationale dans des conditions difficiles compte tenu de la position nuancée qui est la sienne.
Bernanos prophétisait "on ne refera pas la France par les élites. On la refera par la base".
L'enjeu du retour d'Alain Juppé est résumé dans cette formule.
Il ne ménage pas ses efforts pour incarner une voix nationale singulière.
Mais trouvera-t-il les termes d'un nouveau "faire part de naissance" attestant que la distance l'a amendé et qu'il n'est plus le symbole caricatural des élites que le pays souhaite sanctionner ?
C'est un enjeu majeur.
Toute la popularité de Ségolène Royal reposait en 2006 sur la notion de différence.
L'essentiel du pouvoir d'évocation de Nicolas Sarkozy a été bâti sur la notion de rupture qu'il avait patiemment construite à partir d'oppositions multiples mais quasi-permanentes avec le Président de la République.
C'est cette stratégie qui est mise en oeuvre par Dominique de Villepin qui ne manque aucune occasion pour faire vivre ses différences avec l'actuel Président de la République.
Le mandat 2007-1012 est présenté comme une "tragédie collective" d'une France qui a reculé sur la quasi-totalité des fronts et d'une fonction présidentielle détournée de ses missions essentielles.
Dans ce contexte, le message d'Alain Juppé manque encore d'actes fondateurs manifestes.
Le retour d'un homme politique sur le devant de la scène repose sur deux facteurs :
- le sentiment de durée qui fait naître tant la perspective de changement de l'individu que celle du changement de celui qui est "resté à l'écart",
- le sentiment de besoin qui rend légitime l'appel à un recours.
Où sont aujourd'hui ces facteurs ?
Dans une ambiance marquée par l'attente de neuf et de renouvellement, il doit renvoyer à de l'histoire ancienne bon nombre des reproches qui peuvent être formulés sur son ancrage symbolique à un régime d'antan que les Français ont souhaité ranger dans les archives en 2007.
Il doit trouver et incarner une "nouvelle jeunesse".
Les Français ont un tel besoin de neuf qu'ils se tourneront inéluctablement vers les jeunes qui incarneront l'énergie, le changement, la modernité.
Il ne s'agit plus de tracer sa route mais d'ouvrir de nouvelles voies.
C'est un défi d'autant plus redoutable qu'il est engagé dans la nuance ; ce qui pose des problèmes de lisibilité à l'opinion.
Des problèmes d'autant plus importants qu'Alain Juppé est critique vis-à-vis de la politique présidentielle mais avec nuances. Les élections s'annonçant désormais comme un referendum sur la personnalité même de Nicolas Sarkozy, ces nuances correspondent peu au climat actuel.
Le chemin est donc très étroit et il doit compter avec des participants qui ont pris de l'avance. Par conséquent, Alain Juppé s'engage sur une voie très difficile qui, à terme, risque de s'apparenter au témoignage davantage qu'à la conquête.