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La blogosphère, ou l’économie de la gratitude

Publié le 27 avril 2010 par Vogelsong @Vogelsong

(considérations blogosphériques d’intérêt relatif)

La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

“La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf” – J. de la Fontaine

Phénomène microscopique, marginal dans la sphère économique des médias, l’information ou l’analyse citoyenne occupe un espace particulier. En effet, qualifiée de “friandise” par les professionnels (journalistes) du secteur, elle est remisée dans la catégorie des sous-produits de l’information. Une humeur “gentille” digne, au mieux de curiosité. Pourtant, les blogs et leur contenu sont largement exploités par des sites d’information à but lucratif. Chaque “mainstream” du système possède son cheptel, qu’il rémunère en accolades, compliments et gratitude. Le remplissage gratuit de l’espace commercial de l’information est devenu une pratique courante. Tout le monde y trouve son compte. Ou presque.

Information centrifugée

La blogosphère, ou l’économie de la gratitude

Il est indéniable qu’en l’état actuel des choses, un certain type d’information ne pourra être diffusé seulement par des journalistes. En aucun cas un citoyen muni d’un clavier, ou d’un appareil photo ne sera en mesure d’informer sur des thèmes internationaux, des conflits, ou des sujets pointus nécessitant du temps d’investigation. Cette ambiguïté évacuée, l’information quotidienne, telle qu’elle est présentée de nos jours, se constitue de manière quasi exclusive d’informations recyclées. Tous les quotidiens abordent les mêmes thèmes, qui sont souvent l’émanation d’une source. Seules différences notables, l’angle et le traitement. Quand Le Figaro ou l’Humanité traitent de la burqa, ils disposent de la même information. Ils la recyclent ad nauseam selon des grilles spécifiques (de moins en moins clivées).

Dans cette économie de la nuance, les blogueurs tombent à point nommé. Dématérialisation des supports, apoplexie financière des organes de presse, on égaye les sites (et même le papier) de points de vue “amateurs”. Une façon simple et économique de remplir de l’espace, labellisé non professionnel. Car les contenus de blogs sont réputés généralement non objectifs, peu fiables, de qualité erratique. Le support professionnel est lui d’une neutralité absolue, objectif, “éditorialement” irréprochable. Quand Le Figaro dessine par touches successives le programme du gouvernement, il est objectif. Quand les agencements quotidiens (du journal, comme du site) du Monde, de Libération, et du Figaro se rapprochent plus du mimétisme que de la presse diversifiée, on appelle cela l’objectivité. Quand L. Joffrin ou E. Mougeotte assènent des vérités immanentes à ses lecteurs, elle est irréprochable.

Il n’est plus rare, dans les blogs, de trouver des points de vue, tout aussi (peu) objectifs et (peu) pointus que celui d’un professionnel du genre (avec l’intérêt en plus). Il suffit d’une revue de presse quotidienne pour s’apercevoir de la circularité, de l’homogénéisation des contenus professionnels. Dans ce cadre, le contenu estampillé “blog” aurait le double avantage de simuler une sortie de la circularité et de donner une tonalité nouvelle au média. Deux hypothèses évidemment erronées, puisque les articles sont triés (éditorialisés), choisis selon l’actualité traitée en cohérence avec le média donné.

L’économie de la gratitude

Pas de modèle économique performant, des supports matériels en crise, un personnel en déliquescence, les médias installés ne peuvent se permettre le luxe d’y ajouter un budget “amateurs plumitifs”. Derrière les têtes de gondole goinfrées de l’Editocratie, la fabrication de l’information a le visage émacié, fatigué par les cadences. Produire vite, digérable, à moindre coût. Les forçats de l’information ne peuvent plus prétendre à des revenus confortables, leur condition pécuniaire s’est prolétarisée.

Reste le capital symbolique, celui du dîner en famille, de la soirée mondaine où l’on annonce fièrement son appartenance à la médiacratie. Une deuxième couche sous prolétarisée est venue s’ajouter grâce aux contenus web. On introduit l’économie de la gratuité au milieu d’espaces payants. Avec plusieurs avantages. On crée une nouvelle hiérarchie en dessous des journalistes. Relevant relativement leur niveau sans toucher aux salaires. On met en valeur le contenu salarié au milieu des “billets d’humeur” dits amateurs. Relevant aussi relativement la fadeur de leur production quotidienne sans toucher aux salaires.

Dans une vitrine comme celle de Marianne 2 (de plutôt bonne qualité), il n’est pas rare de voir la production gratuite (ou de gratitude) remplir la moitié de l’espace éditorial. En d’autres termes, des contenus salariés, générés par l’activité publicitaire du site sont aussi soutenus par du remplissage de blog, gracieux. Pas tout à fait, puisqu’aux dires mêmes des responsables de sites, le blogueur est “payé” en espace, exposition. En considération. Le trafic minable de son espace se voit démultiplié par les marques mainstream. Indiscutable, mais pas très équitable. Pendant que certains font commerce, d’autres pour des contenus équivalents sont rémunérés en accolades, visites et sourires.

L’économie personnelle du lien

Les blogs se sont inventé une valeur de substitution à base de liens et de classements. L’influence. Largement établi sur des concepts égotiques, ce petit jeu régit l’activité “sisyphienne” de cette bulle. On écrit pour être “lié” tout en “liant”, à l’infini. Addictif, puéril, mais très drôle. Cela écarte surtout des véritables enjeux, en l’occurrence du crédit de tout ce microcosme et la finalité de cette activité. Ajout démocratique ou hobby compulsif.


Une autre mythologie à base d’entrisme fait flores : Les blogs infiltreraient la presse et changeraient la donne médiatique sur des sujets sensibles. Drolatique et sans fondement. Il semble que ce soit plutôt une colonisation de l’espace numérique qui se soit produite. Sur des bases individualistes, de concurrence au moins-disant. Car il y aura toujours de la frustration à nourrir. Des ego à assouvir.


Dans cette économie du pillage, compensée par la flatterie, l’épineux problème de la rétribution du travail se pose. Rémunérer un blogueur relève du paradoxe, puisqu’il se retrouverait dans le costume du pigiste. Ce qu’il n’est normalement pas. De plus, l’essence même de l’information citoyenne doit être dénuée d’arrière-pensée lucrative. Ce qui doit “primer” c’est la logique du don. C’est dans ce sens que sont nés les blogs. Le “publiblogage” a pourtant fait son apparition, reléguant le contenu au support publicitaire intégré. Rien pour l’instant n’a été fait pour donner une valeur* au fond, au travail rédactionnel proprement dit.

Cette valeur prend d’autant plus d’importance que des sites sérieux s’en emparent. En en minimisant la portée. Prétendre qu’un billet de blog est une petite gourmandise d’humeur insignifiante au milieu de l’univers sérieux et rigoureux du journalisme consiste à ne plus se respecter. Les uns introduisant des broutilles sans corps sur leurs supports (supposés de qualité), les autres acceptant la condescendance avec un enthousiasme fataliste. Soit les billets sont de qualité, dignes de figurer en bonne place et considérés comme tels. Soit c’est du remplissage, à finalité strictement économique. Auquel cas, il faut prévenir le visiteur/lecteur, et certaines fois le plumitif.

*Pas obligatoirement pécuniaire (précision importante, voire cruciale) et non basée sur des sociabilités de circonstances


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