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Impartialité objective de magistrats présents dans la formation d’instruction puis de jugement pour une même affaire (CEDH, 22 avril 2010, Chesne c. France)

Publié le 29 avril 2010 par Combatsdh

Un homme poursuivi pour infractions à la législation sur les stupéfiants conteste l’impartialité de la Présidente et de l’un des deux assesseurs de la formation d’appel correctionnel qui l’a condamné à dix ans d’emprisonnement. A l’appui de ce grief, il relève que ces derniers étaient membres de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Orléans qui a statué sur la prolongation de la détention provisoire de sa compagne et qu’au surplus, la Présidente de la formation de jugement était également membre de la formation d’instruction qui a confirmé en appel la décision de le placer en détention provisoire. Les demandes de l’intéressé tendant à ce que les magistrats concernés se déportent ne furent pas accueillies.

Sur le terrain du droit à un procès équitable (Art. 6), la Cour européenne des droits de l’homme relève tout d’abord que les allégations du requérant ne visent pas « l’impartialité subjective des magistrats concernés » mais leur « impartialité objective » (§ 35 - V. Lettre Droits-Libertés du 12 juin 2009 et CPDH 15 juin 2009 - III 1° - sur Cour EDH, 5e Sect. 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France, Req. n° 5242/04). Or, il est rappelé que si « le simple fait qu’un juge ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité […], des circonstances particulières peuvent, dans une affaire donnée, mener à une conclusion différente » (§ 36). Tel est le cas en l’espèce car la Cour considère que la motivation des arrêts de la chambre d’instruction évoqués précédemment « constitue davantage une idée préconçue de la culpabilité du requérant que la simple description d’un “état de suspicion”, au sens de la jurisprudence de la Cour » (§ 37). Cette conclusion selon laquelle les juridictions d’instruction - auxquelles appartenaient certains magistrats de la formation de jugement en appel - ont été au-delà de ce qui était nécessaire à la justification du maintien en détention provisoire et se sont « au contraire prononcée[s] sur l’existence d’éléments de culpabilité à la charge du requérant » repose sur l’analyse des termes desdits arrêts (§ 38 : « qu’en s’exprimant en des termes clairs et non équivoques quant au rôle exact du requérant et à sa place dans le réseau délictueux (”il agissait en véritable professionnel du trafic”, et était considéré comme “l’un des principaux trafiquants”), ainsi que sur l’étendue de son implication dans ce trafic (”dont il tirait très largement bénéfice”) les magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Orléans sont allés au-delà d’un simple état de suspicion à son encontre »). Une telle appréciation de la culpabilité du requérant avant jugement par des magistrats devant ensuite se prononcer sur cette même culpabilité rend légitime les appréhensions de ce premier quant à l’impartialité objective de ces derniers (§ 39).

En conséquence, la France est condamnée pour violation du droit à un procès équitable.

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La Cour d’appel d’Orléans. Le requérant fut condamné par des assesseurs qui étaient membres de la Chambre de l’instruction qui a statué sur la prolongation de la détention provisoire de sa compagne et par la Présidente de la formation de jugement qui était également membre de la formation d’instruction qui a confirmé en appel la décision de le placer en détention provisoire.

Chesne c. France (Cour EDH, 5e Sect. 22 avril 2010, Req. no 29808/06)


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Stéphanie
posté le 20 juin à 20:35
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Impartialité des juges

Pour que justice soit rendue, il faut qu’il y ait apparence de justice. Malheureusement, le mot apparence suppose que la justice ne soit évidemment pas obligatoirement rendue. Ainsi, les juges ont une certaine latitude pour porter un jugement sur les causes entendues. Il y a naturellement, la loi et la jurisprudence pour encadrer leur jugement, mais leurs propres croyances et valeurs interviennent lorsqu’ils prennent une décision. Dans les causes de première instance où un seul juge se prononce dans une cause, il est évident que seul son propre système de croyances et sa propre mécanique intellectuelle vont peser sur le jugement à porter. Pour qu’il y ait une révision du jugement rendu, il faut qu’il y ait une erreur de grande importance qui ferait en sorte que justice ne soit apparemment pas rendue. Les critères pour en appeler d’une cause sont sévères pour ne pas nuire au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire et pour faire en sorte que le jugement rendu par les juges soit respecté. Néanmoins, dans les causes ou interviennent des valeurs spirituelles ou religieuses qui peuvent influencer le jugement rendu, la difficulté de rendre un jugement en étant complètement impartial est quasiment impossible. Et jusqu’à quel moment peut-on considérer qu’un jugement est juste? Il nous apparaît crucial qu’il faille distinguer de façon claire ce qui est juste et ce qu’est l’impartialité.

Dans les cas où une décision est rendue par un jury, il est sans doute ardu pour les membres du jury d’arriver à un verdict, car les valeurs et les croyances de chaque personne entrent en ligne de compte. Même dans un jury, il y a sans doute des gens qui influencent le jugement des autres par leur force de persuasion. Néanmoins, même la sélection du jury est approuvée par la personne qui est jugée et cette sélection est faite de manière qui, sur certains points, est subjective et non impartiale.

Cependant, lorsqu’il y a un jury, la personne est jugée par ses pairs, d’autres justiciables, qui ne sont pas des membres de la sphère judiciaire. Le fait que la personne soit jugée par ses semblables favorise peut-être plus d’équité.

Pour les grandes questions du droit des personnes, il serait peut-être intéressant que des justiciables soient appelés à se prononcer sur des causes qui nous touchent tous en tant qu’être humain.

En ce qui concerne la maladie mentale, le fait qu’il y ait des personnes qui soient concernées par cette problématique face partie d’un jury particulier pour juger les causes de cette nature encouragerait sans doute plus d’impartialité.

Un juriste qui ne connaît pas cette problématique a sans doute beaucoup de difficulté à trouver des repères pour se prononcer sur ce genre de questions. Malgré toute sa bonne foi et des recherches exhaustives, il pourrait en arriver difficilement à fonder sa démarche avec les bonnes références.

Stéphanie Tessier

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