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Grises les nuées qui se penchent aux balcons bourgeonnants de l’aube.
Si profond parfum de lassitude de devoir encore justifier ce que la pensée révèle, lorsqu’elle s’évade, enfin libérée des jougs familiers.
Nous vivons en pays admirable où n’ont accès aux colonnes que les « experts » nantis de diplômes sésames.
Pays d’inégalité flagrante où l’empire médiatique distingue ceux qui sont de son sérail et ceux qui n’en sont point.
Qu’importe ici la valeur du propos, puisque, dès lors qu’il est libre car non formaté, il voit les portes se refermer violemment sur son nez d’insolence.
Pays perdu que celui qui confie sa parole aux seuls mandatés d’en haut.
Pays qui refuse toute parole autodidacte. Pays meurtri d’élites autoproclamées, fantômes exaltés dans les ors d’une République de l’ombre.
Il ne reste alors au commun que la hargne et la fureur contenue. Que le repli et l’aigreur.
Mais c’est volcan qu’alimentent les clans d’arrogants et de cyniques.
On sait combien la température monte aux sous-sols. On ne peut rien prévoir du temps de l’éruption.
La fièvre, simplement, monte, d’un cran, à chaque porte qui claque au nez de ceux qui auraient encore quelque chose à dire, parce qu’ils vivent, ou tentent de la faire, envers et contre toutes les brimades que les bien en vue imposent.
Il faut avoir usé ses fonds de culottes une vie durant sur des bancs universitaires pour avoir droit de…
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Droit d’émettre une opinion
Droit d’écrire et de publier
Droit d’accéder aux lieux que l’autorité tolère où s’exprime encore quelques bribes de rêves
Droit d’être édité, à condition que votre nom soit inscrit au guide trois étoiles des célébrités
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Si vous n’êtes pas du sérail, pas en vogue, pas dans le ton, pas dans la mode
Si vous n’écrivez pas ce que l’audimat attend que vous écriviez
Si vous ne pouvez montrer la patte blanche d’un diplôme universitaire ès poésie
N’attendez rien de ces sinistres individus qui distribuent les médailles et les épées
Passez votre chemin et gardez votre rancœur pour vous
« Votre œuvre révèle un certain intérêt, mais… »
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Mais vous n’habitez pas Paris où les étoiles naissent et meurent
Vous ne couchez pas avec la bonne star plate qui vous introduira au saint des saints du royaume
Vous ne savez pas vous montrer où il faut être pour prendre un peu de cette luminosité que les médiocres répandent chaque soir au cœur même de chaque foyer
Vous ne répondez à aucune invitation
Vous vous comportez en ours qui ne sort que quand il veut de sa tanière
La lumière ne sera donc pas pour vous
Au mieux on vous soumettra un travail de nègre au service d’une plume sûre et qui se vend bien : vous serez donc reconnu à votre ombre, à votre soupir dans le dos de ces pâles individus qui occupent toutes les scènes, tous les plateaux de ce nombril hideux qu’est devenue la poubelle capitale
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Il n’est bon bec que de Paris
Il n’est bon bec que de l’aristocratie
Il n’est bon bec qu’en ces palais d’illusion
Où les grands du royaume se mirent
Exigeant d’être les plus beaux, les plus forts, les mieux sentis
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Il n’est que honte d’appartenir à ce peuple
Désormais vautré en d’infâmes bas-fonds
Prêt à tout pour obtenir des miettes
Manosque, 19 mars 2010
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