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Déchéance

Publié le 30 avril 2010 par Malesherbes

Le Monde daté du jeudi 29 avril publie, en sa page Débats, un texte de M. Brice Hortefeux titré « "L’affaire de Nantes" et le politiquement correct ». Notre Ministre y répond à un éditorial paru en première page du Monde en date du 27 avril, avec le sous-titre « Déchéance politique ». Cet éditorial défendait une idée selon laquelle : « le débat sur le port du voile intégral - burqa ou niqab - par des femmes musulmanes est un piège ».

Le point de départ de cette affaire est le procès-verbal dressé à Nantes, en vertu de l’article 412-6 du Code la route, pour « circulation dans des conditions non aisées », à une conductrice portant un voile intégral. Si un souci de provocation n’est peut-être pas étranger à la réaction de cette dernière, il convient de ne pas oublier que le motif porté sur le procès-verbal n’est vraisemblablement qu’un prétexte pour sanctionner indirectement le port d’un voile intégral que jusqu’ici rien n’interdit dans notre législation. Je ne veux pas douter du degré de connaissance du Code de la route de nos fonctionnaires de police mais il est possible que nous ne soyons pas ici devant une initiative personnelle mais plutôt face à une autre provocation, habilement ( ?) agencée.

Brice Hortefeux interpelle ainsi le journal « Auriez-vous oublié que vous étiez laïcs, humanistes et respectueux des droits des personnes ? ».Bien sûr, n’ayant pas embrassé l’état de religieux, ceux ainsi tancés par notre distingué ministre sont des laïcs. Celui-ci a peut-être voulu dire laïques, un comble pour un homme si attaché à l’identité nationale, dont la maîtrise de la langue française fait partie intégrante. Il s’affirme alors à la recherche de ce qui se cache « derrière les déclarations [d’une] femme » qui affirme « le droit d’être enfermée derrière un voile intégral ». Cet épisode démontre combien il sera difficile, dans le cadre de l’article 2 du projet gouvernemental, de démontrer que quelqu’un impose le port d’un voile intégral par « la violence, la menace, l'abus de pouvoir ou d'autorité ».

M. Hortefeux se pose ensuite en preux chevalier, refusant de taire « les éléments d’information » sur un individu « qui vivrait avec plusieurs femmes voilées, ayant douze enfants et détournant le système d’aide sociale ». Je n’ai aucune formation de juriste mais comme citoyen, il me semble que s’il dispose de tels éléments, il est de son devoir d’agir pour qu’une enquête soit diligentée afin de déterminer s’ils sont suffisants pour qu’une mise en examen soit décidée, au lieu de mettre sur la place publique des faits non encore prouvés, avec le risque d’encourager des comportements ségrégationnistes. .

Il convient de remarquer que, parmi les accusations de M. Hortefeux, une seule est relative à un délit, la fraude aux aides sociales. S’il est interdit d’être polygame, c’est-à-dire de se marier plusieurs fois, je ne pense pas que, pour condamnable que ce soit, fréquenter plusieurs femmes vous expose à une sanction pénale. Et, de surcroît, le port du voile intégral n’étant à ce jour nullement interdit, je ne comprends pas pourquoi notre ministre  juge nécessaire de préciser  dans cette accusation que ces femmes multiples seraient voilées.

Toujours aussi mesuré dans son propos, M. Hortefeux « regrette que vous vous soyez embourbés aux côtés de [Tariq Ramadan] », qualifié précédemment de « rhéteur proche des Frères musulmans » et reproche au Monde d’avoir appelé « à [sa] propre "déchéance ministérielle"». Décidément, notre Ministre de l’Intérieur, en difficulté pour parler un français correct, a aussi du mal à comprendre notre langue. L’éditorial qui l’a fait réagir se conclut ainsi : « si l’on était aussi irréfléchi que M. Hortefeux, on demanderait volontiers sa "déchéance ministérielle". Il n’y a là aucun appel mais deux affirmations, l’une explicite, il est irréfléchi de demander la déchéance ministérielle de M. Hortefeux, et l’autre implicite, comme on n’est pas aussi irréfléchi que lui, on ne la demande pas.

Autre perle de ce monument d’éloquence, dont certains passages ont été prononcés à l’identique à l’Assemblée nationale : « Je ne cèderai pas aux tenants du politiquement correct qui, toujours, préfèrent ne rien dire, ne rien faire, ne rien penser, pour ne prendre aucun risque ». De quel risque parle-t-il donc ? De celui évoqué par François Fillon, déclarant : « on est prêts à prendre des risques » au reçu de l’avis du Conseil d’Etat selon lequel une interdiction générale du voile intégral « ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable ».

Eh oui, ce que l’homme responsable de la paix civile en France oppose au politiquement correct, c’est le juridiquement incorrect. Il est ainsi en plein accord avec un Président pressé de délégiférer.


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