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Le parti socialiste se soigne au “care”

Publié le 01 mai 2010 par Vogelsong @Vogelsong

J’attends de voir comment M. Aubry va expliquer la société du “care” à l’ouvrier en plasturgie du Puy-en-Velay“. Une petite pique aigrelette de L. Wauquiez. Lui, toujours dans le pragmatisme et l’action. Le secrétaire d’État à l’emploi n’aura jamais aussi bien saisi l’esprit du temps qu’en une seule phrase. Le jeune loup de la feue sarkozie volontariste, aujourd’hui stérile et sans levier, s’en remet aux petites formules pour qualifier les atermoiements des ses rivaux de gauche. Il prononce le mot “ouvrier” oublié par le Parti de J. Jaurès, qui s’en remet à des vocables duveteux. Refus du conflit face à la politique de balivernes, c’est une communication de désolation que traverse la politique française.

Le “care”

Le parti socialiste se soigne au “care”
Cela fait plusieurs semaines que l’on voit fleurir des termes relatifs à l’éthique du “care” dans le discours de M. Aubry. Après les élections régionales elle déclarait : “(les Français ont voté)…pour retrouver une société plus douce, juste, du vivre ensemble”. La machine à phosphorer du Parti socialiste a donc trouvé son créneau sémantico-idéologique. Un concept importé directement des États-Unis, où depuis 30 ans il suscite de constants débats. C. Gilligan en 1982 publie “In a different voice” dont la thématique tourne autour du féminisme. Elle conçoit une orientation morale distincte comme essentiellement “genrée”. L’identité masculine se construirait autour de l’individualisme et la distinction, l’identité féminine tendrait vers la préservation, la sollicitude. Cette valorisation des traits féminins soulève de nombreuses critiques, notamment parce qu’elle engendre le “dilemme de la différence”. Mettre en valeur la complémentarité des traits féminins de façon positive pour lutter contre les inégalités peut tout autant marginaliser les femmes (pour les mêmes spécificités). Face à ce “féminisme culturel”, J. Tronto en 1993, élargira l’idée du “care”, pour l’universaliser. Il “le” définira comme suit : “Une activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre “monde”, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous essayons de lier ensemble dans le réseau complexe qui soutient la vie.” Le directeur de la fondation J. Jaurès, G. Finchelstein parle de “soin mutuel”. Le Parti socialiste s’en empare pour promouvoir son projet politique dans la perspective des élections de 2012.

Appropriation de circonstance

Après la débâcle de 2007, B. Hamon réclamait une gauche décomplexée face à une droite ivre de sa victoire, qui ne s’excusait plus de rien, quelles que soient ses impérities. De gauche décomplexée, il n’y eut que des déclarations d’intention durant quelques mois. Puis retour aux fondamentaux d’une communication axée sur des valeurs sociétales. Comme si la formation majoritaire de gauche n’avait pas perçu les mutations profondes qu’avait subies la société française. Constatation d’autant plus inquiétante qu’elle en fut actrice majeure pendant 25 ans. Coproductrice de la société de l’individualisme et du libéralisme économique (un peu) tempéré.
Car c’est bien de communication dont il est question. Comment présenter un visage avenant en rupture avec les pouacres du sarkozysme ? Dans ce cadre il s’agit plutôt de puiser dans un lexique cohérent, mais de circonstances pour opposer une alternative à la brutalité (supposée ?) de la politique menée par le gouvernement de droite. “Soin”, “souci”, “sollicitude”, “dévouement”, “vulnérabilité” sont opposés à la raideur sécuritaire, l’aveuglement économique d’un exécutif plus idéologique qu’on ne le suspecte. À l’instar de l’UMP de 2003 à 2007, le PS se cherche une homogénéité “gramscienne” pour conquérir le pouvoir. À l’inverse de l’UMP, le PS se place en total contretemps avec le réel. Si la mode est au retour de l’État pour soutenir les acteurs économiques (banques, assurances) qui ont failli, les réformes engagées continuent de visser les budgets à finalité solidaire. Directement victimes de la crise, les travailleurs grecs, par exemple, voient l’âge légal de la retraite passer de 58 à 67 ans. En France, secteur après secteur, le service public (Poste, Assistance publique) et les instruments de redistributions (impôts) sont peu à peu démantelés. Au profit d’une partie spécifique de la population.

Une communication gagnante ?

La sollicitude dans la politique est une mauvaise réponse. L. Wauquiez et ses amis de l’UMP ont conquis le pouvoir sur des valeurs fortes, en phase avec la violence sociale ambiante. Le PS empêtré dans le refoulement de son subconscient marxiste se débine. Encore. Le combat politique passe d’abord par la parole, puis viennent (peut-être) les actes. L’expérience montre que l’hiatus entre les deux conduit à la défaite. Face aux ravages que produit la crise économique, et à l’inflexibilité des orthodoxes libéraux, qui ne lâcheront pas un pouce de terrain, on oppose une vision molle des rapports sociaux. On s’en remet à des concepts (de circonstances, certes mais) éthérés à mille lieues des défis à relever. Un glossaire de bons sentiments substitué au combat sert d’assise argumentaire pour s’opposer à la machine réaliste des communicants UMP.
De plus, comment un parti nombriliste qui se déchire pour des questions d’ego peut-il prôner à l’extérieur le concept du “care” ? G. Finchelstein expose : “Le care, …, c’est le souci des autres“. Ne croyant pas si bien dire, au parti socialiste, l’autre est un souci taraudant, car présidentiable. L’autre, un ennemi qui doit calancher.

Parfait petit sournois, L. Wauquiez appuie sur ces contradictions. Lui, qui avec ses amis rabâchait la culture du résultat, la responsabilisation face à ses initiatives et autres foutaises de campagne électorale. Aujourd’hui devant l’abîme de son bilan, et la stérilité de ses actes au gouvernement, il s’en remet à la petite phrase mesquine. Légataire d’un modèle de société diamétralement opposée au “care”, il se réjouit de sa victoire. Car il peut mesurer l’écart qui sépare le PS et ses nouveaux éléments de langage de ce que le “laisser-faire” mode “lutte des classes libérale” a pu accomplir. Du réel en somme. Il se réjouit, car il ne sera jamais sanctionné. Tant la réponse et les solutions semblent décalées. Ni en symbole, ni en acte.

Le “care” n’est pas un concept “new-age” pour gentils citoyens. C’est une vision théorique et sérieuse basée sur une réflexion sociale aboutie. Par contre, piocher dans ses concepts pour bâtir une communication de campagne ne semble pas sérieux. D’autant plus qu’elle est en complet décalage avec le réel. Le réel c’est L. Wauquiez qui stigmatise les chômeurs, les malades, les retraités, à qui l’on oppose un peu de sollicitude. En effet, l’ouvrier en plasturgie du Puy en Velay ou d’ailleurs, dont la durée de cotisation est en passe d’être allongée sans que F. Hollande ou M. Valls ne s’y oppose, risque de trouver limité l’idée de “sollicitude”, de “soin” ou de ‘tendresse”. Lorsque dans l’isoloir, il s’agira de décider en conscience, de l’élection du futur chef de l’État.

Vogelsong – 30 avril 2010 – Paris

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