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L'idiot ? Oui, c'est moi !

Publié le 01 mai 2010 par Cetaitdemainorg

Etre là, seulement là. Quand les autres ne parviennent pas à exister et qu'ils se jettent, égarés, dans la parole, et que cette parole prolonge leur égarement. Le prince échappe seul à cette possession. Voilà en substance ce que dit Yannick Haenel du prince Mychkine. Et je me retrouve encore, trente ans après ma première lecture du roman de Dostoïevski, dans la même posture essentielle de mon être. Je suis, depuis toujours, le prince Mychkine. Je suis la figure de l'idiot. Je prends ce qui vient comme ce qui est. Avant toute parole. Avant toute pensée. Simplement. Dans un étonnement qui ne s'étonne pas car tout peut advenir. 

C'est pour cela que j'aime la fonction de portier que je me suis donnée. J'ouvre les portes avec plaisir. J'en fais une allégorie de l'offrande. "Bonjour monsieur, bonjour madame, entrez entrez ! Oh ! la petite a l'air joyeuse aujourd'hui ! C'est tant mieux."

Comme tous les portiers, je parle peu aux autres à qui je n'ouvre pas les portes. Mais je les écoute. J'entends leurs mots qui ne tiendraient pas debout sans les rires qui les enveloppent. Et qui passent de bouche en bouche, si semblables dans leur transparence. Demain, après demain, dans dix ans, les mêmes paroles reproduites à l'infini, avec un peu de tumulte parfois, pour supporter le fouet des servitudes.

Et moi je referme les portes car il faut dit-on les refermer. J'entre dans mon silence de siffleur écarquillé. Je ne vois plus le visage de ceux qui n'existeront jamais puisqu'ils n'ont pas laissé venir à eux la langue. Je monte accomplir mon pain de chaque jour dans le levain de l'enfance. J'embrasse ma solitude peuplée des mots qui m'ont fait grandir et je résiste à la peur qui encercle mes poumons. Je nourris ma suffocation de tabac et de vin laiteux comme le vide quand vient dix heures au coin de l'habitude. Des voix m'arrêtent avec leurs fantaisies, leurs rires ou leurs bouderies. Je leur réponds, plein de facéties émaciées. J'ai des gestes d'oiseau qui sortent de mes gestes et je traverse de mon vol empesé d'albatros la salle où le café grommelle. D'autres voix sans chair psalmodient des promesses qui ne viendront jamais car elles sont mortes de toute évidence et de toute éternité. Parfois, leurs yeux plombés de taies cherchent en moi une silhouette dont on pourrait saisir les contours. Mais il n'y a rien, vous savez ! Que pourrait-il bien y avoir quand on est seulement là, dans une présence d'avant l'existence si laborieusement construite ? Enrobé d'un silence où bruit la métaphore qui déplace les lignes.

Et j'entends ce mot : "L'i

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diot".

Je me retourne.

Je tapote le filtre de ma JPS Sylver et je dis ces mots blafards :

L'idiot ? Oui, c'est moi.


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