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110 milliards pour l'Etat grec : bluff et incertitudes

Publié le 03 mai 2010 par Copeau @Contrepoints
110 milliards pour l'Etat grec : bluff et incertitudes Réunis le dimanche 2 mai 2010 à Bruxelles, les ministres des finances de la zone euro ont déclaré qu'ils allaient tenter de mettre en place un programme de sauvetage de l'Etat grec. Sur le papier, ce plan comporte 110 milliards d'euros de prêts étalés sur trois ans dont 80 milliards de prêts bilatéraux de la part des Etats de la zone euro et 30 milliards de la part du Fonds Monétaire International (FMI).

Un sauvetage toujours très flou

Le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a fait savoir que l'institution internationale approuverait un prêt de 30 milliards « dans la semaine », sans préciser de date exacte. Un fonds de garantie pour les banques grecques - doté de 10 milliards d'euros – a été spécialement créé.

Les sommes prêtées par les Etats de la zone euro seront réparties entre eux au prorata de leur participation au financement de la Banque Centrale Européenne, soit 28% pour l'Allemagne (soit 8,4 milliards d'euros en 2010) et 21% pour la France.

Avant cela, ce plan doit être approuvé par les parlements des 15 autres pays membres de la zone euro. A noter qu'il est prévu que des pays en grandes difficultés financière comme l'Espagne, le Portugal et l'Italie participent aussi à ce plan – ce qui déstabilisera encore davantage leurs comptes publics.

Jean-Claude Juncker, le président de l'eurogroupe, a souligné que la décision d'activer ce plan de sauvetage serait prise « dans les jours qui viennent » (sans qu'une date précise ne soit arrêtée) et qu'elle devrait être codifiée par un mémorandum entre le gouvernement grec et la Commission Européenne.

Si ce plan se concrétise, les besoins de financement de l'Etat grec pourraient être entièrement assurés en 2010 et 2011, sans que celui-ci ne doive emprunter à des investisseurs commerciaux sur des marchés financiers qui s'étaient de toute manière très fortement taris ces derniers mois. Cette aide servirait donc à faire gagner deux ans à la Grèce pour qu'elle rende moins déficitaire sa situation budgétaire.

Un troisième plan de redressement budgétaire bien timoré pour la Grèce

Plus tôt dans la journée, le gouvernement grec a présenté un nouveau plan de redressement budgétaire dont l'objectif est de freiner le creusement du déficit budgétaire de l'Etat de 30 milliards d'euros au cours des trois prochaines années (soit 10 milliards d'euros par an, ce qui représente de 11% à 13% du PIB du pays). Il s'agit de ramener le déficit sous le seuil des 3% du PIB d'ici la fin de l'année 2014 – contre 13,6% environ en 2009.

Les principales réformes prévues (elles doivent encore être votées cette semaine par le parlement grec) sont les suivantes :

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augmentation de la TVA de 21% à 23% ;
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augmentation de 10% des taxes sur le carburant, l'alcool et le tabac ;
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taxation des constructions illégales ;
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recul de l'âge de départ à la retraite ;
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annulation des bonus pour les fonctionnaires ;
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gel des salaires et des retraites pour les salariés et retraités des entreprises d'Etat pendant une période de trois ans avec compensation partielle pour les bas salaires.

A noter qu'aucune privatisation, qu'aucune diminution du poids de l'Etat dans l'économie et qu'aucune diminution des salaires de base dans la fonction publique ne sont prévues, laissant la part belle à l'augmentation des revenus de l'Etat qui a pourtant démontré par la crise actuelle son incompétence manifeste à les gérer de manière responsable.

Le premier mai a donné lieu à de violents affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre, celles-ci utilisant des gaz lacrymogènes afin de tenir éloigner les premiers du bâtiment abritant le ministère de l'économie. Selon certaines sources, une bombe aurait explosée devant une banque située à Athènes.

Les syndicats grecs appellent à s'opposer dans la rue à ce plan de redressement budgétaire en organisant une grève générale (la troisième en trois mois) le mercredi 5 mai.

Aide du secteur financier européen

Jean-Claude Juncker a souligné que « tous les ministres ont été d'accord pour voir avec leurs secteurs financier et bancaire respectifs quelles contributions volontaires les banques pourraient apporter. »

La Deutsche Bank, l'assureur Allianz et le réassureur Munich Re pourraient prêter 1 milliard d'euros à l'Etat grec « aux mêmes conditions que celles prévues pour les Etats de l'Union Européenne », ce qui ne signifie rien puisque les Etats de l'Union Européenne (UE) empruntent à des taux différents les uns des autres et que la date à laquelle ces prêts seraient accordés n'est pas précisée.

Contagion ou simultanéité ?

Les investisseurs s'interrogent depuis longtemps sur la situation d'autres Etats membres de la zone euro comme le Portugal et l'Espagne. « Il est de notre devoir de défendre la stabilité de la zone euro dans son ensemble », a assuré le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble. « Il ne s'agit pas seulement d'aider la Grèce mais aussi du sauvetage de l'euro : il faut éviter la contagion », a déclaré le ministre belge des finances, Didier Reynders.

Le terme de « contagion » est particulièrement mal choisi car il ne correspond pas à la réalité. Le fait que l'Etat grec ait des difficultés à payer ses fonctionnaires n'est pas le déclencheur des mêmes difficultés au Portugal car ce n'est pas l'Etat grec qui paie les fonctionnaires portugais. Il s'agit plutôt dans les deux cas d'une gestion budgétaire particulièrement irresponsable de la part des gouvernements successifs grecs et portugais qui provoque ces crises concomitantes.

Le scepticisme reste de rigueur

Durant ces trois derniers mois, les dirigeants européens ont décliné plusieurs variations d'une même méthode : le bluff. Leur pari était de tout miser sur des déclarations symboliques hautement médiatisées en espérant qu'elles suffiraient à rétablir la confiance des investisseurs dans la situation budgétaire des Etats les moins bien gérés de la zone euro.

La déclaration qui a été faite ce dimanche 2 mai 2010 est dans la droite ligne de cette stratégie médiatique : il s'agit ni plus ni moins que de la déclaration la plus audacieuse que les dirigeants de la zone euro aient fait depuis le début de la crise grecque. L'objectif est d'impressionner les investisseurs avec un chiffre très élevé de façon à sauvegarder les finances publiques européennes du pays derrière un écran de volonté politique. Mais cela reste du bluff.

Le défaut d'un grand Etat toujours possible

Si les investisseurs continuent de faire de moins en moins confiance en la solidité d'autres Etats de la zone euro (parmi lesquels le Portugal et l'Espagne), nous assisterons à nouveau à une escalade peu énergique vers la solidarité financière. Mais si cette absence de confiance concerne la soutenabilité d'un « grand » Etat (Espagne, Italie), les plans de sauvetage cumulés de la Grèce et de ce « grand » Etat seraient trop importants pour être mis en place.

Comme nous l'avions avancé dans un précédent article, le chiffre de 1 000 milliards d'euros est esquissé « en off » à Bruxelles, assorti de la conclusion que la zone euro serait dans l'impossibilité de relever le défi d'un sauvetage de l'Etat espagnol. Il n'y a tout simplement pas assez d'argent pour sauver un « grand » Etat.

Pour la première fois en trois mois, le chancelier allemand, Angela Merkel a complètement soutenu ce plan, malgré l'opposition des membres de sa coalition gouvernementale et la colère des électeurs allemands à quelques jours d'un scrutin crucial. Dans une tribune publiée dans le tabloïd Bild, Angela Merkel soutient que les plans d'austérité à mettre en place en échange des prêts bilatéraux ne donneraient pas envie aux autres Etats en difficultés de faire eux aussi appel à leurs voisins européens.

Combien va réellement coûter ce plan de sauvetage aux contribuables européens ?

Le chancelier allemand a aussi déclaré que cette aide ne coûterait rien à l'Etat allemand, voire que celui-ci ferait un profit étant donné que l'Etat allemand emprunte à des taux inférieurs à 5% et que les prêts allemands à l'Etat grec seraient de 5% (même si ce taux n'est pas encore fixé puisqu'il sera lié au taux Euribor). Le ministre français de l'économie et des finances, Christine Lagarde, a elle-aussi déclaré que « les citoyens français et européens reverront bien sûr leur argent ; les prêts seront remboursés, capital et intérêts. »

Eloignés des caméras, les dirigeants européens sont bien moins optimistes. Après tout, le plan de redressement budgétaire piloté par le FMI pourrait échouer. La façon dont cette institution a géré les dernières crises argentine, asiatique et russe pousserait l'observateur impartial à être plutôt pessimiste.

Restructuration de la dette publique grecque : la responsabilité des politiques en question

Même si la situation du pays pourrait se trouver grandement améliorée par la publication de chiffres non trafiqués et la réduction du niveau de fraude fiscale, la récession actuelle (moins 4% de prévu en 2010) et le ressentiment des grecs envers leur élite politique ne va pas dans le bon sens : un défaut de l'Etat grec, qui déclencherait la restructuration de sa dette publique, reste d'actualité.

Si cela arrive, les dirigeants politiques européens auront à expliquer à leurs électeurs qu'ils ont dû s'endetter pour financer l'Etat grec pendant les années d'irresponsabilité budgétaire chronique avant la crise, puis pendant la crise avec ce plan de sauvetage mais que les montants avancés ne seront pas payés en totalité, voire pas payés du tout. D'ici là, les dirigeants européens auront sans doute changé et leur promesses seront envolées.

Sources : European Voice, The Economist, BBC News.

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