La vérité des prix

Le volcan islandais a décidément bon dos.
L’industrie des transports aériens n’en finit pas de nous surprendre. Cette fois-ci, ŕ l’intervention du site Kelkoo et du trčs respectable Center for Economics and Business Research, elle évoque comme une punition la perspective d’une hausse moyenne des tarifs de 5,2%. Ce qui correspondrait grosso modo ŕ une vingtaine d’euros par coupon de vol. C’est le volcan islandais qui est pointé du doigt et,accessoirement, le prix ŕ nouveau trčs élevé du pétrole, qui vient de passer le cap des 80 dollars. C’est le moment que choisit USB pour affirmer que les compagnies aériennes auraient commandé trop d’avions et risquent de s’en mordre les doigts.
Plusieurs hypothčses s’offrent ŕ nous: ignorer purement et simplement les médias qui reprennent ces informations sans prendre la peine de les mettre en perspective ou de s’interroger sur leurs fondements. UBS affirme notamment que 250 des Airbus A350 en commande ne sont pas vraiment nécessaires ŕ leurs acheteurs. Pas plus que 150 A320 actuellement en bonne place dans le carnet de commandes de l’avionneur européen. Cette critique en rappelle d’autres qui avaient défrayé la chronique il y a un an. Ici et lŕ, notamment au sein de l’IATA, il était de bon ton d’annoncer que les parkings d’Airbus et de Boeing allaient se remplir d’avions non livrés, les acheteurs ne pouvant les payer. Heureusement que la presse n’a pas plus de mémoire que ses lecteurs !
Il est vrai que le maudit volcan a provoqué un manque ŕ gagner d’un milliard et demi de dollars. Un coup dur pour un secteur qui remonte actuellement la pente au sortir d’une crise conjoncturelle profonde. Mais il convient aussi de préciser que des compensations financičres sont prévues, la mansuétude de la Commission européenne s’étant rapidement manifestée. Des aides étatiques ponctuelles seront tolérées, le paiement de certaines redevances sera reporté ŕ des jours meilleurs ou tout simplement oublié. La nouvelle envolée du prix du pétrole, en revanche, est plus inquiétante. C’est lŕ un problčme tout aussi imprévisible qu’une éruption volcanique mais finalement plus grave.
Qu’en conclure ? Que les compagnies aériennes sont encore et toujours mal ŕ l’aise vis-ŕ-vis de l’évolution des composantes de leur prix de revient. Elles éprouvent comme un embarras face ŕ des chiffres qui leur échappent de bout en bout. Elles se perdent en précautions oratoires, mettent en avant de savantes études, utilisent la voix réputée neutre mais violemment revendicative de l’IATA pour dire que tout augmente et que les tarifs vont, eux aussi, suivre le mouvement: Il n’y a non seulement pas de honte ŕ cela mais c’est tout simplement un mouvement inéluctable. Pas besoin d’un site consumériste et moins encore d’économistes anglais pour le comprendre.
Il y a lŕ un mystčre d’ordre psychologique. A force de poursuivre contre vents et marée une oeuvre de démocratisation des voies aériennes, secouées par des affrontements concurrentiels souvent rudes, déstabilisées par la montée en puissance de low-cost, nombre de compagnies ont fini par perdre le contact avec un certain nombre de réalités comptables. Et, de ce fait, elles ont oublié la vraie signification du terme rentabilité. Leur fragilité en est accrue d’autant, au point de permettre ŕ un volcan de lézarder l’édifice de haut en bas.
Il est tragi-comique de rappeler que le transport aérien a perdu plus d’argent qu’il n’en a gagné depuis qu’il existe. Si, un jour, l’édifice devait vraiment s’écrouler, ce ne serait pas sous le poids de cendres volcaniques ou ŕ la suite d’un nouvel accident pétrolier. Ce sont les banques qui pourraient baisser les bras, découragées par les errements de clients décidément hors du commun. Des clients qui décident du prix de vente de leurs précieux sičges/kilomčtres avant d’en connaitre le prix.
Pierre Sparaco - AeroMorning