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Inéligibilité des binationaux et plurinationaux (CEDH, G.C. 27 avril 2010, Tănase c. Moldavie)

Publié le 03 mai 2010 par Combatsdh

Du fait essentiellement de raisons historiques (§ 11-28), beaucoup de Moldaves sont détenteurs de deux ou plusieurs nationalités. Or, en 2008, le Parlement moldave a modifié la loi électorale pour, notamment, interdire au binationaux ou plurinationaux d’être élus députés. Cette loi, particulièrement critiquée par les organes du Conseil de l’Europe (§ 45-51), fit, sans succès, l’objet de recours devant la Cour constitutionnelle interne mais donna lieu à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme en formation de chambre (Cour EDH, 4e Sect. 18 novembre 2008, Tănase et Chirtoacă c. Moldavie, Req. n° 7/08) pour violation de l’article 3 du Protocole n° 1 (Droit à des élections libres).

Depuis, deux nouvelles élections législatives ont eu lieu et à chaque fois, comme d’autres élus au Parlement, un moldavo-roumain a du initier une démarche de renonciation à sa nationalité roumaine pour que son élection soit validée.

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Alexandru Tănase, Liberal Democratic Party of Moldov

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, saisie sur renvoi (Art. 43), admet tout d’abord la qualité de « victime » du requérant, au sens de l’article 34, en relevant que si ce dernier n’a certes pas encore été privée de sa nationalité roumaine, il a été contraint d’agir en ce sens et la restriction législative litigieuse a pu lui faire perdre des suffrages « car les électeurs étaient conscients qu’il risquait de renoncer à siéger si cela impliquait la perte de son statut de binational » (§ 108).

Au fond, et dans le cadre de « l’aspect passif [de l’article 3 du Protocole n° 1], c’est-à-dire le droit de se porter candidat aux élections » (§ 155), la Cour reconnait de nouveau la « grande latitude » des États parties pour ce qui est de la fixation des critères d’éligibilité (§ 156) et la relativité des exigences conventionnelles à ce propos « selon l’évolution politique du pays » (§ 157), tout en en rappelant les limites fondées sur « le souci de maintenir l’intégrité et l’effectivité d’une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel » (§ 160).

Or, en l’espèce, le respect de ce souci est mis en doute - chose rare et significative - dès l’étape de l’examen du but légitime poursuivi par la législation électorale. La Cour affirme n’être « pas réellement convaincue que l’objet de la mesure en cause était de garantir la loyauté des députés envers l’État » (§ 170). Elle saisie d’ailleurs l’occasion de développer une intéressante définition de ce concept (« la Cour fait d’emblée la distinction entre loyauté envers l’Etat et loyauté envers le gouvernement » - § 166 -, la première « englob[ant] en principe le respect de la Constitution, des lois, des institutions, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du pays » - § 167). Ce doute repose, outre sur l’absence de preuve de faits avérés de « déloyauté » des élus bi- et plurinationaux, sur le fait que « ces modifications [ont été] introduites peu avant la tenue d’un scrutin », d’où une charge de la preuve plus forte pesant sur l’État défendeur (§ 169).

Passant tout de même à l’examen de la proportionnalité de la mesure litigieuse, la Grande Chambre identifie un consensus parmi les États membres du Conseil de l’Europe où, « lorsque la plurinationalité est autorisée, la possession de plus d’une nationalité ne doit pas être un motif d’inéligibilité à la charge de député, même si la population présente une certaine diversité ethnique et que le nombre de députés plurinationaux risque d’être élevé » (§ 172 - v. § 87-93).

Néanmoins, à la lueur de la relativité évoquée précédemment, tout État contrevenant à cette tendance ne viole pas ipso facto la Convention, car « des considérations historiques ou politiques particulières [peuvent] appelle[r] une pratique plus restrictive » (§ 172). Tel n’est cependant pas le cas ici car la juridiction strasbourgeoise souligne que l’interdiction litigieuse n’a « été mise en place non pas en 1991 [lors de la proclamation de l’indépendance de la Moldavie où la situation de cette dernière était fragile] mais en 2008 » (§ 174). Plus encore, la Cour fustige l’exclusion injustifiée des bi- et plurinationaux de la vie politique qu’engendre la législation (§ 178) et réitère ses doutes sur la finalité véritable de cette dernière, adoptée à l’approche des élections (§ 179).

Dans une rare unanimité en formation de Grande Chambre, la Cour européenne des droits de l’homme condamne donc la Moldavie pour violation de l’article 3 du Protocole n° 1.

     

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Dorin Chirtoacă

Tănase c. Moldavie (Cour EDH, G.C. 27 avril 2010, Req. n° 7/08 )

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Actualités droits-libertés du 30 avril 2010 par Nicolas Hervieu

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