Il y a dix ans, la simple idée de posséder la carte Fréquence Plus Rouge me mettait dans un état mêlant réflexe pavlovien (salivation) et priapisme (érection). Imaginez, posséder ce rectagle de plastique rouge et or permettant d'accéder à tous les lounges d'aéroport de CDG à LAX en passant par NRT, HKG, SFO, LIN, GVA... Bref, ma vie en l'air était exaltante. Ce blog en a reflété quelques épisodes à partir de 2006. Mais l'aventure avait commencé en 1995. Accumulation de miles. Enregistrement rapide après avoir foulé un tapis rouge. Petite étiquette jaune fluo collée à votre bagage, enjoignant le bagagiste de le débarquer en priorité absolue. On a beau célébrer la nuit du 4 août tous les ans, on n'en est pas moins sensible à toutes ces petites choses qui rendent la vie du voyageur d'affaires si agréable. Petits surclassements de First de temps à autre avec le petit pyjama en cadeau, l'hôtesse au petits soins et l'absorption immodérée de champagne de marque à 10 000 pieds d'altitude. Trop bien, comme disent les enfants. Car il y a ce petit côté infantilisant dans les programmes de fidélité des compagnies aériennes. Si tu es sage, tu auras des bons points. Si tu voyages beaucoup avec nous, tu auras plein de miles. Et plus tu en auras plus, ils se multiplieront. Car le mile appelle le mile, tout comme l'argent appelle l'argent.
Les miles... On aurait tué pour en avoir. La crise est passée par là. Les hommes en gris du contrôle de gestions, les cost killers de tous poils sont passé par là. Tous ces jeanfoutres qui voyagent accompagnés avec FRAM à Louxor ou à Djerba la douce. Qui ne connaissent rien au plaisir d'un verre de Zinfandel de chez Coppola-Niebaum sur le chemin de Newark (EWR, pour les connaisseurs). Ils se sont posés tant de questions. L'avion c'est cher, faut réduire les coûts. Le genre qui essaient de te convaincre que franchement la Business, c'est superfétatoire. Indécent. Et que treize heures en position foetale, c'est pas grave, tant que ça coûte moins à la Firme. Tant pis pour la phlébite, la thrombose. Et le fait qu'un Paris-Singapour sans sommeil ajouté au décalage horaire n'est pas le garant de la performance optimale du cadre en mission sur le terrain.
Les coûts coupés, avec le 11 septembre, la crise, la hausse du prix du pétrole, etc, etc... Les voyages se raréfièrent, du moins les voyages monogames. Ceux où le voyageur n'est marié qu'à UNE SEULE compagnie aérienne. Pour le plus grand bien de son compte de miles personnel. Il y eut même des Firmes qui récupérèrent les miles accumulés, arguant du prétexte fallacieux que payant les vols, les miles leur revenaient de droit. Oubliant juste au passage qu'il n'est pas forcément agréable pour la vie familiale de se lever à 4h45 pour attraper le vol de 6h55, tout ça pour rentrer chez soi vers 22h30, retard au décollage compris.
Moins de miles, moins de privilèges. Fréquence Plus était devenu Flying Blue. La carte argentée portait la mention "élite", la dorée, la mention "élite plus"... Flattez moi, Blase!!!! Moins de miles et la dégradation inéluctable. Moins de voyages aussi parce que nouvelles orientations professionnelles. Où le voyage est moins crucial. Parce qu'on se lasse de tout, aussi. Parce que pour un Paris-Tokyo, il faut faire beaucoup de Paris-Genève ou Milan.
Un jour vous recevez le courrier avec la dernière carte. Ivory. Vous êtes revenus au point de départ. Il y a dix ans, j'en aurai pleuré. Cette fois, ça ne m'a rien fait du tout. J'ai dû grandir.
Enjoy!