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Contraintes climatiques : quels enjeux pour les entreprises ?

Publié le 05 mai 2010 par Penserdurable

Stop climate change before it changes you - WWFLes contraintes climatiques imposent des défis de taille aux entreprises : évaluer les risques à court et moyen terme pour leur activité, respecter les contraintes étatiques, anticiper l’exception telle l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, intégrer le changement global dans leurs plans, faire confiance aux experts scientifiques comme le GIEC…

Le Palais du Luxembourg a accueilli ce débat des Mardis de l’ESSEC ayant pour invités Maître Bettina Laville, ancienne conseillère à l’Elysée en charge de l’Environnement, qui siège au conseil d’administration de plusieurs ONG pour le développement durable ; et M. Harilaos Loukos, expert climat auprès de la Commission Européenne et fondateur de Climpact – société de gestion des risques climatiques. Voici mon compte-rendu de la conférence.

Est-il indispensable pour les entreprises de bien connaître les enjeux climatiques?

Pour Harilaos Loukos, les enjeux climatiques concernent les prévisions météorologiques à court terme (30 jours), mais aussi celles du GIEC à long terme (réchauffement climatique). Sa société Climpact conseille justement plusieurs types d’organisations dans la gestion des aléas climatiques :

  • les entreprises d’assurance, qui font face à des événements extrêmes ponctuels ; elles représentent ainsi des acteurs de poids dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le dérèglement climatique
  • les énergéticiens. Comme l’électricité ne se stocke pas, la fiabilité des prévisions météorologiques est cruciale. En effet, 1 degré de différence dans la température hivernale représente l’activation d’une tranche de centrale nucléaire
  • les sociétés de grande consommation pour l’optimisation de la chaîne logistique face aux variations de la demande. Par exemple chez Nestlé Waters, le paramètre saisonnier affecte jusqu’à 30% des ventes. Les effets météorologiques sur les comportements des consommateurs nécessitent donc une véritable vision du marché. Cela est aussi valable pour la pharmacie, l’automobile…
  • les clients institutionnels, qui veulent prendre des mesures pour s’adapter au changement climatique

D’après Bettina Laville, les prévisions météo ainsi que l’adaptation stratégique et militaire pour le long terme sont les seules choses qui sont obligées de marcher dans un contexte de bouleversement climatique. L’adaptation aux changements globaux systémiques sera avant tout géographique ; les entreprises devront réviser leurs stratégie et les particuliers leurs comportements. Mais se pose également la réponse aux événements extrêmes : on n’a pas encore adapté la société industrielle et humaine aux aléas futurs. On va vers une succession non pas de catastrophes climatiques, mais de mises en danger du fonctionnement actuel de la société qui devient de plus en plus mondialisée et autonome sur le plan des revendications régionales. Les pays ne sont pas prêts à se voir imposer des réductions d’émissions par une institution internationale.

Sommes-nous allés trop loin dans le principe de précaution pour le volcan islandais ?

Bettina Laville rappelle que le principe de précaution consiste à prendre des mesures contre un risque inconnu. Pour le volcan Eyjafjöll, c’était plutôt de la prévention car on connaissait les risques du nuage volcanique. Il s’agissait surtout de décider à partir de quelle mesure les avions peuvent voler à nouveau et de l’expliquer à la population. Lors de la tempête de 1999, lorsqu’un digue a sauté près d’une centrale nucléaire, la question s’est posée s’il fallait évacuer tout le sud ouest. Pour ce genre de problème, c’est le degré de confiance dans les experts de sûreté nucléaire et l’évaluation du risque créé par l’évacuation qui pèsent dans la balance.

Mais un plan d’évacuation civile aurait dû être mis en place pour ce genre de cas, mentionne Harilaos Loukos. À la Nouvelle-Orléans, aucun plan n’existait pour un ouragan de l’ampleur de Katrina ; tandis qu’en Hollande, on se protège constamment contre un risque de tempête arrivant tous les 10 000 ans. Cette attitude est valable pour toute gestion des risques.

Que retenir du climate gate, de la réputation du GIEC et des climato-sceptiques?

Harilaos Loukos affirme que le climato-scepticisme se résume à de la désinformation et du lobbying. Malheureusement, les scientifiques n’ont pas l’art de Claude Allègre pour manipuler les médias. Dans les conférences du GIEC se trouvent également des lobbyistes siégeant pour d’autres États, comme Fred Singer qui a été un lobbyiste pro-tabac et qui a mené des études contradictoires pour brouiller le débat. Ces climato-sceptiques peuvent être assimilées à des dangers publics manipulant l’opinion.

Bettina Laville rajoute que la haine de Claude Allègre vis-à-vis de Jean Jouzel est névrotique : on est un peu dans le cas d’un scientifique de la terre contre celui de l’air, qui ne nie pourtant pas la possibilité d’une cause anthropique dans le réchauffement. Tout ce qu’il dit n’est pas faux et c’est bien là le problème : certes, l’eau et la famine sont des problèmes important et effectivement, les chefs d’États auraient dû aller au sommet de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) autant qu’à Copenhague. Mais tout ce qu’il souhaite, c’est attirer l’attention et exister dans les médias.

Pour sa part, le GIEC a été très prudent dans ses premiers rapports sur les causes anthropiques du réchauffement ; l’action de l’homme dans le réchauffement planétaire n’est reconnue que dans son dernier rapport. En outre, le GIEC doit faire un résumé extrême à la portée des décideurs, c’est pourquoi ses rapports simplifiés comportent des défauts obligatoires. Cependant, si on attend de tout comprendre sur le climat avant d’agir, il sera trop tard.

Harilaos Loukos pense que le déclic climatique a eu lieu après la publication du rapport Stern en 2006 : avant le risque climatique était vu seulement comme un problème écologique. Mais depuis l’implication de l’économie dans le débat, cela intéresse beaucoup plus de monde, notamment les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension qui possèdent des sociétés cotées en bourse. Ainsi depuis février 2010, la SEC – Securities and Exchange Commission réglementant les marchés financiers Américains – demande aux entreprises de communiquer sur les risques climatiques (émissions de gaz à effet de serre et prévention des catastrophes).

Que pensez-vous de la tournure que prend le projet de loi du Grenelle 2 ? (question que j’ai pu poser aux invités)

Bettina Laville souligne que c’est le Grenelle 3, avec ses décrets réglementaires, qui reste le plus important. Elle rappelle qu’il n’y a pas eu de changement terrifiant par rapport au Grenelle I en terme d’actions concrètes, mais que nous sommes à présent dans un climat épouvantable : l’ambiance politique est plombée par l’injustice du projet de taxe carbone, son abandon et la défaite de la majorité aux élections régionales en plus de la phrase du président Sarkozy aux agriculteurs « l’environnement, ça commence à bien faire ». Malgré tout, le comité ministériel a validé des projets environnementaux issus du grand emprunt, comme quoi l’écologie n’est pas qu’une déclaration d’intention.

Faut-il sortir du capitalisme pour résoudre le problème écologique ?

Pour Harilaos Loukos, le problème écologique se base avant tout sur une évaluation des risques et l’expérimentation. Les croyances en la main invisible du marché ou dans les plans quinquennaux étatiques relèvent plus d’une intuition et d’un idéal politique qu’autre chose. Le plus important, c’est d’éviter la dissymétrie d’information : il faut que informer tous les citoyens des enjeux afin que la démocratie puisse bien fonctionner.

Parle-t-on encore des taxes aux frontières ?

Bettina Laville estime qu’on en parle à différentes échelles :

  • au niveau national, on ne parle plus de contribution carbone mais de taxe aux frontières de l’Europe
  • à Bruxelles, les réponses des commissaires européens sont contradictoires
  • à l’OMC, le sujet est étudié

Néanmoins, elle n’y croit pas à titre personnel, parce que les pays ont trop besoin d’exporter en ce moment – particulièrement vers la Chine - pour imposer des taxes écologiques. En dépit de ce qu’affirme Stiglitz, les État ont beaucoup de mal à intégrer la valeur du capital naturel dans leurs coûts : la notion de bien public mondial progresse peu. Paradoxalement, le système capitaliste s’en sort mieux, car les entreprises ont assez bien intégré la valeur de la nature dans leur stratégie.


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