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Réaction d’un proviseur aux tentatives de classement des lycées

Publié le 16 avril 2010 par Perceval

Je reprends ici, un article paru dans “Le Monde”…

par Pierre Etienne Vanpouille, Proviseur

15.04.10

Cette année encore, la presse se fait l’écho en avril des « indicateurs de résultats » des lycées publiés nationalement par le ministère de l’Éducation nationale. En France, ils donnent lieu à un réflexe de classement de la performance des lycées par leurs résultats bruts aux baccalauréats. Pour preuve les titres chocs et la publication de tableaux de type « classement » même si les commentaires restent le plus souvent prudents. Même avec des indicateurs correctifs on compare ce qui ne peut l’être réellement.

En effet il ne peut être pertinent de comparer des établissements préparant aux baccalauréats généraux à ceux ne possédant que des filières technologiques. Car les bacs généraux recrutent les élèves les plus adaptés au système scolaire français, et connaissent ces dernières années une progression nette de leurs résultats bruts aux bacs. Cette progression est due en partie au jeu des multiples options offertes, aux bonus récents issus des TPE (travaux personnels encadrés) et à une pression sociale forte. Sans TPE, les filières technologiques sont devenues plus exigeantes dans les matières générales et théoriques, en particulier en STG et ST2S, filières récemment rénovées. Le but est de permettre une réussite dans l’enseignement supérieur au prix d’un bac rendu plus difficile. Sans pour autant que les élèves s’inscrivant dans ces filières technologiques soient de meilleur niveau à l’entrée en seconde, bien au contraire.

L’écart de l’ordre de plus de dix points dans les résultats bruts nationaux entre les bacs généraux et technologiques s’est donc creusé ces dernières années. Il rend absurde toute tentative de comparaison et de classement des lycées par leurs résultats annuels aux bacs.

Mais il y a plus important. La course au fort pourcentage brut et annuel au baccalauréat a fait l’objet d’une mise au point récente de M Olivier Dugrip, Recteur de l’Académie de Toulouse. Il y avance que trop d’élèves redoublent ou sont sortis de leur établissement en fin de seconde, parce que leur niveau ou leur réussite ne serait pas suffisant pour garantir un succès au baccalauréat dans les deux ans qui suivront. (15 % de redoublement en moyenne dans l’académie et 25 % dans un établissement du centre de Toulouse). D’où un résultat inquiétant : le taux de jeunes accédant au baccalauréat a régressé depuis trois ans dans l’académie de Toulouse, passant de 66 % à 62 % alors que l’objectif national est toujours de 80 % ! Ceci jette une ombre sur les palmarès publiés.

Aujourd’hui tant dans le public que dans le privé sous contrat, les politiques des établissements peuvent différer plus ou moins clairement. Il y a des établissements plutôt ou très sélectifs et des établissements plutôt ou très intégrateurs. Les uns placent un barrage important de niveau en fin de seconde et les autres font le pari de du passage et du traitement individuel des difficultés.

En conséquence, un indicateur plus pertinent qui effacerait l’effet sélection est le taux de succès des élèves entrés en seconde dans un établissement au bout de trois ou quatre ans. Il existe dans l’académie de Toulouse. Dans ce cas, les résultats des établissements prennent une tout autre signification. On y observe que nombre d’établissements ayant un taux de succès brut annuel modeste passent alors en haut de classement et regagnent jusqu’à 15 points en pourcentage ! Aucun organe de presse ou média n’a pris le temps d’approfondir cette réalité.

Et il existe des effets positifs non pris en compte sur les indicateurs valeur ajoutée. En particulier dans les lycées des métiers possédant des filières professionnelles et technologiques. Ils sont de types intégrateurs et pratiquent un accueil important en première de lycéens venant des secondes d’autres établissements ainsi qu’une intégration en filière technologique de 20 à 30 % d’élèves issus de la filière professionnelle.

Il resterait à ne pas oublier les résultats des établissements aux  baccalauréats professionnels ou aux BEP. Pourquoi se focalise-t-on sur les seuls lycées généraux ou technologiques ? Enfin, l’évaluation des établissements ne peut se limiter aux seuls résultats au baccalauréat. Quels dispositifs d’accompagnement ? Quelles réelles compétences reconnues aux lycéens ? Quelle préparation à l’autonomie d’organisation nécessaire pour réussir dans l’enseignement supérieur ? Quelle qualité de la vie scolaire ? Quelle ouverture culturelle, citoyenne, internationale ? Quelle stabilité des équipes ?

D’autres pays d’Europe ont mis en place des systèmes d’évaluation et de progrès bien plus pertinents et complets. Il serait grand temps que la France sorte de sa culture fruste et administrative du chiffre statistique, objet de trop de manipulations et de simplifications abusives.

Pierre Étienne Vanpouille.

Chef d’Établissement du lycée Louis Querbes

Rodez.


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