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Regard sur la science, la formation des chercheurs et la culture scientifique avec le Professeur Ali Saïb

Publié le 05 mai 2010 par Véronique Anger-De Friberg @angerdefriberg

Les Di@logues stratégiques N°67 (10/08)
« L‘histoire des sciences nous amène à penser que les grandes découvertes ne surgissent pas forcément là où on les attend. Ainsi, on peut investir des millions d’euros sur la recherche contre le cancer et passer à côté d’une découverte majeure. Je pense notamment à l’extinction de l’expression des gènes par des petits ARN interférents qui a été mise en évidence initialement chez le pétunia et qui aujourd’hui a des conséquences majeures en recherche en santé humaine. » Cette observation est celle du professeur Ali Saïb, chercheur, virologiste et professeur titulaire à la Chaire de biologie du CNAM.
Regard sur la science, la formation des chercheurs et la culture scientifique avec le Professeur Ali Saïb
Véronique Anger :
En 2008, le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM (1)) vous a nommé responsable de la chaire de biologie. Vous êtes ainsi devenu l’un des plus jeunes professeurs titulaires d’une chaire au CNAM. Comment obtient-on un poste aussi prestigieux, aussi jeune ?
Pr Ali Saïb : Avant d’obtenir un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en cancérologie à Paris au début des années 1990, j’ai débuté mon cursus universitaire en biologie et génétique à l’université d’Aix-Marseille. En 1997, j’ai intégré l’Inserm (l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) comme chargé de recherches, puis j’ai été nommé Professeur à l’université Paris-Diderot en 2004.
Ainsi qu’il est mentionné dans les statuts initiaux du chercheur, ce dernier doit répondre à trois objectifs prioritaires et complémentaires : la recherche, l’enseignement et la culture scientifique. C’est cette définition du métier de chercheur qui m’a amené à l’université. En tant que chercheur, j’enseignais déjà aux étudiants et j’ai tout simplement souhaité concrétiser cette position d’enseignant-chercheur.
A la différence de mon activité à l’Université Paris-Diderot qui consistait à enseigner à des étudiants ; au CNAM, mon enseignement est orienté vers des adultes salariés. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à accepter d’y exercer. J’estime, en effet, que la formation des adultes est indispensable pour progresser dans son métier et faire évoluer sa carrière. On sait aujourd’hui qu’il deviendra de plus en plus rare d’exercer toute sa vie durant le même métier. Il est donc indispensable de se former pour pouvoir s’adapter. La formation continue se développe pour répondre à cette nécessité d’évoluer dans son métier et faire progresser sa carrière, mais aussi d’évoluer en dehors de son métier, découvrir d’autres thématiques ou se former à d’autres disciplines.
VA : Plus précisément, en quoi consiste votre métier de professeur au CNAM et comment fonctionne la chaire de biologie ?
Pr AS : Articulée autour d’une équipe d’enseignants-chercheurs, de techniciens, d’ingénieurs…, la chaire de biologie du CNAM est composée d’une activité de recherche et d’une activité d’enseignement. Mes fonctions consistent à orienter et à animer l’enseignement et la recherche. Pour cela, j’essaie d’être à l’écoute des entreprises et des salariés afin de déterminer quelles formations sont susceptibles de les intéresser aujourd’hui et dans le futur. Il est possible de proposer des enseignements sur mesure pour répondre à des besoins particuliers. Mon rôle est d’aller sur le terrain, de visiter les « biotechs », les sociétés et les laboratoires pharmaceutiques en région parisienne, en province et dans les différents pays où le CNAM est implanté. Il ne faut pas oublier que le CNAM possède des antennes en province et à l’étranger. Mon équipe et moi sommes basés à Paris et les équipes pédagogiques des centres régionaux associés de province relaient notre activité dans les principales villes de France et à l’international.
Conformément aux directives inscrites dans les statuts du CNAM, il est également demandé de développer une activité de culture scientifique vers le grand public. C’est un aspect très important que je souhaite développer avec mon équipe. En effet, le chercheur se doit d’être non seulement un enseignant, mais aussi un vecteur de culture scientifique. C’est à lui, entre autre, qu’il appartient de diffuser, dans un langage compréhensible pour le grand public, les principaux résultats de sa recherche. Au cours des siècles, les scientifiques ont progressivement rendu leur discours « opaque », à nous de le rendre à nouveau plus accessible pour le plus grand nombre.
VA : Quel regard portez-vous sur la science, la formation des chercheurs et la culture scientifique ?
Pr AS : Je dirais qu’il existe d’importantes lacunes dans la formation des scientifiques. Elle est loin de répondre à tous les objectifs fixés initialement. Je pense en particulier à ce qui concerne l’enseignement et la diffusion du savoir scientifique auprès du grand public. Je regrette que les chercheurs ne soient pas préparés à cela. Nous sommes essentiellement formés pour réfléchir à une thématique, à devenir de plus en plus spécialisés alors qu’il faudrait, au contraire, ouvrir l’enseignement aux autres disciplines, pour avoir une vision transversale d’une question.
Par ailleurs, l’histoire des sciences, qui est extrêmement importante car elle permet d’éviter certains écueils, n’est pas enseignée. Je tiens également à souligner la faiblesse des moyens déployés pour encourager les chercheurs à diffuser les résultats de leurs recherches et les mettre à la portée du grand public. De la même manière, l’évaluation des chercheurs ne tient pas nécessairement compte de leurs efforts en ce sens.
VA : Cette faiblesse ne pourrait-elle pas être corrigée ?
Pr AS : Il est tout à fait possible d’ajouter plusieurs volets au programme de formation des scientifiques, notamment l’histoire de la science, la communication de la science et la philosophie des sciences. C’est ce que nous tentons de mettre en place avec l’Association pour la Promotion des Sciences et de la Recherche (l’APSR. Cf. encadré), une association que nous avons créée avec Dominique Vitoux et des chercheurs de l’Institut Universitaire d’Hématologie. Cette association vise initialement à mieux faire connaître les métiers de la recherche aux plus jeunes, collégiens et lycéens. Je ne parle pas seulement du métier de chercheur, qui reste une représentation réductrice du monde scientifique. La science est également l’affaire des ingénieurs, des techniciens, des étudiants, des post-doctorants, des administratifs,… Le chercheur seul dans son laboratoire est une vue de l’esprit, du moins en sciences du vivant. Il est important de faire connaître aux plus jeunes les différents métiers de la recherche, mais aussi en quoi consiste la démarche scientifique. Plus récemment, nous avons pensé qu’il serait important de proposer aux scientifiques en poste des conférences sur l’histoire et la philosophie des sciences.
VA : Selon vous, quelle devrait être la place du scientifique dans la société civile ?
Pr AS : Vous abordez une question que je me pose depuis toujours… Une question grave, qui en entraîne bien d’autres. Depuis la seconde guerre mondiale et la mise au point de la bombe atomique par des physiciens, le scientifique est au centre de plusieurs préoccupations comme l’environnement, le réchauffement climatique, le clonage ou les OGM. Le scientifique fait partie de la société. Il est également un être social et son activité doit être pensée dans ce sens. Il est utopique de croire qu’il existe une cloison hermétique entre le scientifique et le citoyen, la science n’est pas neutre.
Une question qui en découle est de savoir qui décide des enjeux scientifiques et, par conséquent, des priorités de recherche ? Le scientifique, le politique, les industriels ? La recherche doit-elle se focaliser obligatoirement sur les pathologies, le cancer ou sur le sida par exemple et mettre de côté l’étude de la fourmi ou tout autre sujet apparemment éloigné de la santé humaine ou des problèmes environnementaux ? C’est une problématique à l’ordre du jour dans la recherche française dont le budget n’est pas en adéquation avec ses ambitions. Que ce budget soit important ou non, que décide-t-on de faire avec ce budget ? Et qui décide de l’affectation de ce budget ?
Je vous avoue que je n’ai pas la réponse... Je me permets cependant cette observation : l‘histoire des sciences nous amène à penser que les grandes découvertes ne surgissent pas forcément là où on les attend. Ainsi, on peut investir des millions d’euros dans la recherche contre le cancer et passer à côté d’une découverte majeure. Je pense notamment à la découverte de la régulation de l’expression génique par des petits ARN. L’observation initiale a été effectuée par des chercheurs qui ne travaillaient pas en santé humaine, mais sur le pétunia ! Les Américains Andrew Fire et de Craig Mello en ont compris le mécanisme, ce qui leur a valu le prix Nobel de Médecine 2006. Cette découverte a des conséquences majeures en santé humaine.
VA : On peut parler de serendipity…
Pr AS : Oui... Initialement, la recherche visait le pétunia et cette découverte fabuleuse a ouvert un nouveau pan en biologie ! Dans ce contexte, comment définir des priorités, et qui doit les définir ?
VA : Quel devrait être le rôle du scientifique dans ce cas ?
Pr AS : Le scientifique se doit, entre autres choses, via la diffusion de la connaissance auprès du grand public et de la formation des étudiants, de participer à la prise de position sur des grandes questions scientifiques. Lorsque j’ai créé l’association APSR, le but n’était pas de former des scientifiques pour répondre à une pénurie de scientifiques dans les pays européens. L’objectif initial était de mieux faire connaître la démarche scientifique et l’esprit critique au grand public, en particulier aux plus jeunes afin qu’ils ne se laissent pas abuser par les discours scientifiques ou pseudo scientifiques diffusés dans les médias. Mon but était de leur donner les moyens d’acquérir un minimum de connaissances scientifiques pour les aider à développer un esprit critique. Je pense que les scientifiques aussi ont un rôle à jouer en ce sens auprès des jeunes.
J’ai découvert la science et le milieu scientifique vers vingt ans. Avant cela, je croyais tout ce qu’on me disait ! Comment aurait-il pu en être autrement ? Dans le cadre de l’APSR, les enfants visitent des labos, y développent un projet de recherche et peuvent poser leurs questions directement aux scientifiques tout au long de l’année scolaire. Par la suite, ils entretiennent une correspondance, principalement par courriel, avec les chercheurs et peuvent leur demander conseil à propos de ce qu’ils ont lu ou entendu, mais également sur leur orientation. Il est certain que le fait d’échanger avec plusieurs scientifiques dans divers instituts de recherche protège de la « mono-vérité » scientifique.
Le travail du scientifique consiste aussi à transmettre les « fondamentaux » au grand public afin que chacun puisse participer à des débats sur des questions scientifiques de société, par exemple les OGM, la procréation assistée, etc. Bien que les médias en parlent constamment, faites l’expérience de demander à des passants choisis au hasard dans la rue ce qu’est un organisme génétiquement modifié. Vous constaterez que 90% d’entre eux n’en savent rien… Quand on invite les élèves dans les labos, les scientifiques leur expliquent en quelques minutes ce qu’est un OGM. Les enfants repartent avec des notions justes. Nous sommes vigilants afin que les scientifiques n’orientent pas leurs choix ; ils leur donnent simplement les bons outils qui leur permettront de comprendre, de se faire une opinion. Et pour se faire sa propre opinion, il faut se cultiver scientifiquement. Je parle des OGM, mais ce pourrait être un autre sujet. On leur apprend également à trier l’information scientifique sur le net.
VA : Que pensez-vous de la faible représentation des « minorités », des femmes notamment, dans les métiers scientifiques ?
Pr AS : Vous touchez là à un problème extrêmement important. Observez les milieux scientifiques. Prenez la filière « biologie », pour évoquer un exemple que je connais bien. On trouve une majorité de filles dans les cycles d’études supérieures et dans les laboratoires et pourtant, au niveau de la direction de ces labos ou des instances d’évaluation et de décisions, les femmes sont largement sous-représentées.
La raison n’est pas leur incapacité à diriger, mais le fameux mirage du « plafond de verre » (2). Ce mirage est pourtant une réalité pour les femmes mais aussi pour les minorités ethniques ou sociales : les castes féminines ou d’origines ethniques ou sociales sont tenues éloignées des postes à responsabilités.
VA : Comment expliquez-vous cela ?
Pr AS : Cette situation est compliquée car elle est le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs. La tradition est un de ces facteurs. Dans un pays conservateur, on retrouve « traditionnellement » les mêmes personnes aux mêmes endroits. La cooptation fonctionne à plein. De plus, quand il n’existe pas d’antécédents dans la communauté -qu’il s’agisse de la communauté civile ou de la communauté ethnique- il est difficile pour un individu d’accéder à des postes à responsabilités faute de modèles, de références au sein de sa propre communauté. Le modèle qui jouera un rôle de moteur permettant d’accéder à ces postes de direction est donc plus difficile encore à trouver pour une femme issue de l’immigration ou d’un milieu populaire…
Pour faciliter l’accès des minorités aux postes à responsabilités, certains préconisent d’instaurer des quotas. Les quotas existent aux Etats-Unis depuis longtemps, mais ils n’ont pas permis jusqu’à présent de régler la situation des minorités. S’il est vrai qu’il y a davantage de minorités « visibles » dans des postes à responsabilités aux USA, pour autant, la société civile ne fonctionne pas mieux. En France, certaines multinationales commencent à recruter des directeurs du bureau de la Diversité rattaché à leur département Ressources humaines. Il existe un véritable problème de diversité chez nous. Il me semble qu’une des façons de le régler est encore l’éducation et l’exemplarité. Jouer la carte de la diversité, c’est possible. Il faut le dire aux élèves, très tôt, et l’enseigner aux jeunes comme aux adultes.
Certaines sociétés se préoccupent sérieusement de ce problème. L’un des pionniers en la matière est la société de cosmétiques L’Oréal. Il y a dix ans, la Fondation d’entreprise L’Oréal et l’UNESCO ont créé une Bourse récompensant l’excellence et le talent de femmes scientifiques partout dans le monde. Peut-être pensera-t-on qu’il s’agit là d’une goutte d’eau ? Mais cette goutte d’eau verse dans l’océan depuis plus de dix ans et, au fil des ans, une quinzaine de Bourses d’excellence et une dizaine de Prix (3) ont été décernés chaque année.
L’opération me semble intéressante également parce que L’Oréal assure un suivi des scientifiques qu’elle a récompensées, notamment dans les pays émergents.
Il me parait évident que favoriser la diversité dans les instances de décisions et d’évaluations aura certainement des conséquences sur la définition des priorités de recherche.
VA : Selon vous, est-il possible de faire cohabiter éthique avec recherche et découverte scientifique ?
Pr AS : A mon sens, la réflexion sur l’éthique devrait faire partie intégrante du travail du scientifique. J’ai dit précédemment que les scientifiques n’étaient pas formés à l’histoire, ni à la philosophie des sciences, encore moins à la communication. Le quatrième point sur lequel ils ne reçoivent quasiment aucun enseignement, c’est l’éthique. Pourtant, parler d’éthique en science est fondamental.
Il existe bien un Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, qui siège, se prononce sur des questions précises et communique sur des points essentiels. Mais l’éthique ne devrait pas être focalisée sur le seul Comité national. Chaque chercheur devrait pouvoir bénéficier d’une formation en éthique et, mieux encore, être régulièrement invité à réfléchir sur l’éthique de sa propre recherche. Comme le psychanalyste doit suivre une analyse et avoir un référent analyste, le scientifique devrait pouvoir se pencher régulièrement sur son éthique, suivre périodiquement une formation ou un séminaire en éthique, réfléchir et prendre la parole devant ses confrères sur l’aspect éthique de son travail.
Il est facile de se laisser dériver et de s’éloigner de l’éthique parce que le chercheur est attiré par la découverte scientifique qui fait tout oublier… Pourtant, le volet éthique ne fait pas partie de la formation universitaire. Plus grave encore, aucun travail n’est effectué pour tenter de sensibiliser les scientifiques en poste.
L’éthique est une réalité dans la vie des scientifiques comme dans la vie de n’importe quel individu : chacun d’entre nous est obligé de « faire de l’éthique » au quotidien en plaçant des garde-fous dans sa vie de tous les jours. Les scientifiques n’y pensent pas nécessairement dans l’exercice au jour le jour de leur profession parce que le moteur du scientifique n’est pas l’éthique, mais le questionnement et la découverte scientifique. L’éthique n’arrive qu’en aval et, si elle venait en amont, une majorité de scientifiques pense qu’elle pourrait constituer un frein à la recherche.
VA : Que pensez-vous de l’avenir de la recherche fondamentale en France ?
Pr AS : En France, les maladies cardiovasculaires et le cancer représentent les premières causes de mortalité. Pour autant, doit-on se focaliser uniquement sur ces thématiques ? Le chercheur de la fonction publique (je ne parlerai pas ici des instituts privés qui ont des contraintes budgétaires différentes) doit-il se focaliser sur ces seules thématiques parce qu’elles touchent à la santé humaine ou peut-il aussi développer des thématiques éloignées, en apparence, de la recherche appliquée (4)?
Tout le monde semble s’accorder (même le gouvernement français) sur le fait que la recherche fondamentale doit demeurer une priorité. Aujourd’hui, nous récoltons la moisson de ce qui a été planté ces trente dernières années. La recherche fondamentale permet de semer des graines qui germeront dans deux ou trois générations. Pour cette raison, il est important que la recherche fondamentale continue à se développer afin de planter ces graines pour les générations à venir.
Hélas, malgré les beaux discours, il est devenu de plus en plus difficile d’appliquer cette théorie dans la pratique. En effet, dès qu’un chercheur travaille sur une thématique éloignée d’une application particulière, son budget de recherche (renouvelable chaque année ou tous les deux ans) est quasi impossible à trouver car la plupart des appels d’offre de recherche se focalisent sur les pathologies humaines : Alzheimer, cancer ou sida, pour ne citer qu’eux. En très peu de temps, la recherche académique a connue un bouleversement majeur. Les dotations de l’Etat suffisaient il y a quelques années encore à financer la recherche d’un laboratoire. Aujourd’hui, celles-ci permettent de payer les locaux, l’électricité et les factures téléphoniques ! Pour fonctionner en termes de recherche, un laboratoire doit trouver ses propres financements. Du coup, une grande partie du temps de travail est consacré à la recherche de ces financements. C’est une réelle préoccupation car les organismes financeurs privés ne sont pas nombreux et la plupart d’entre eux soutiennent des recherches appliquées à une pathologie.
En France aujourd’hui, un scientifique travaillant sur une thématique fondamentale (une protéine cellulaire dont il veut connaître le fonctionnement par exemple) qui publierait beaucoup (sachant que la qualité internationale d’un scientifique est fonction de la qualité de ses publications évaluée par ses pairs) risque pourtant de se retrouver très vite sans budget si sa protéine n’est pas impliquée dans un quelconque processus pathologique. Par conséquent, ce chercheur brillant va devoir se diriger soit vers une thématique qui lui permettra de trouver des fonds (le cancer par exemple) soit essayer de trouver un nouveau projet où il pourra impliquer sa protéine dans un processus pathologique.
Dans ce contexte, de plus en plus de scientifiques de haut vol ne parviennent plus à trouver les financements pour poursuivre leurs recherches. Je trouve très préoccupant que les chercheurs français -reconnus comme excellents par leurs homologues étrangers- changent de thématiques faute de moyens ou partent travailler dans des pays leur offrant de meilleures conditions de travail.
Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des scientifiques se focalisant sur des thématiques appliquées et d’autres s’attachant à développer des recherches bien en amont. A mon avis, le rôle du chercheur est également d’élargir le champ de nos connaissances (au sens de : science = connaissance) et donc d’accumuler des savoirs, indépendamment de tout enjeux national ou international. Les scientifiques qui le souhaitent -et en sont capables- sont libres d’appliquer les découvertes à des pathologies, comme ça a été le cas pour le pétunia que j’ai évoqué précédemment : dans ce cas précis, d’autres scientifiques ont repris les travaux pour les appliquer à l’homme et aux animaux.
Avant de quitter la présidence, M. Chirac a lancé son « Plan cancer ». Depuis, il y a eu le « Plan Alzheimer » et bien d’autres Plans. S’il est indispensable de lutter contre les pathologies humaines, mon point de vue est que cette lutte ne doit pas se faire au détriment de la recherche fondamentale. Car, en décidant politiquement d’arrêter certaines thématiques de recherche fondamentale, la France perd une partie de son savoir-faire.
Si on ambitionne de se diriger vers une société de la connaissance, l’enveloppe budgétaire dédiée à la connaissance devrait augmentée chaque année. Des équipes brillantes ne trouvent plus de budget pour la recherche fondamentale. Pourtant, nul ne peut prédire dans quelle voie émergera une découverte majeure… La recherche fondamentale est hors marché, risquée, imprévisible, et nécessite de ce fait un investissement à long terme, majoritairement fourni par l’Etat.
VA : Voulez-vous dire que les autres pays allouent davantage de moyens à la recherche fondamentale ?
Pr AS : Je pense que les chercheurs rencontrent à peu près les mêmes difficultés partout, mais ailleurs c’est généralement l’excellence qui prime. Actuellement, l’Asie du Sud-est, en particulier Singapour, mise des milliards de dollars pour devenir leader dans les biotechnologies. Le pays s’est donné dix ans pour atteindre cet objectif. Il privilégie l’excellence scientifique et met les moyens pour recruter les meilleurs scientifiques du monde en recherche fondamentale comme en recherche appliquée. Et je pense qu’ils vont gagner ce pari…
(1) Le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) établissement d'enseignement supérieur et de recherche fondamentale et appliquée, à vocation pluridisciplinaire, a été fondé le 10 octobre 1794 par l'abbé Henri Grégoire. Il est présent dans une centaine de villes en France et à l'étranger. La chaire de biologie du CNAM s’appelait « chaire de biologie végétale ».(2) L’expression désormais consacrée pour désigner un objectif impossible à atteindre : on voit le plafond de verre, mais on ne l’atteint jamais…(3) « Pour les femmes et la science », une Bourse pour les doctorantes offerte par L'oréal et l'UNESCO. Cette Bourse est destinée à promouvoir la science, soutenir la cause des femmes et changer l’image de la science dans le monde. Le Pr Ali Saïb est membre du comité d’évaluation des dossiers. Plus d’infos sur : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=42018&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html(4) La recherche appliquée vise à résoudre des problèmes spécifiques d'usage pratique selon un modèle économique déterminé. La recherche fondamentale n’a pas, en principe, de finalité économique mais a pour objectif d’accroître les de connaissances scientifiques.





*Le Professeur Ali Saïb a publié près d’une centaine d’articles scientifiques ou de vulgarisation scientifique. Il a obtenu de nombreuses distinctions et récompenses. Il a reçu un « EMBO Award » en 2007 pour son implication dans le domaine de la communication scientifique. Son documentaire « Dr Virus et Mr Hyde » (co-réalisé avec Jean Crépu) a reçu le Grand Prix du Festival International du Film Scientifique Pariscience 2006. Il a également été nommé « Prix de l’Information Scientifique » du Festival International du Scoop et du Journalisme en 2006. Enfin, le Pr Ali Saïb est lauréat de nombreux prix dont le « Prix Recherche » de l'Académie Nationale de Médecine en 1998 et le « Prix Dandrimont-Bénicourt » de l’Académie des Sciences en 2002. A paraître en 2009 : "Dr Virus et Mr Hyde" un livre d’Ali Saïb publié aux éditions Fayard.
Pour en savoir plus :
- Le célèbre magazine « Science » consacre un article au Pr Ali Saïb (daté du 31/10/08):
« A virologist with contagious enthusiasm »
- Le CV d’Ali Saïb
- La Chaire de Biologie du CNAM
- Le Journal des Apprentis chercheurs
- « Des savants dans les classes et des élèves apprentis-chercheurs ». Le Monde de l’Education(Rubrique Société/enquête. Octobre 2005)
- « Ali Saib winner of the EMBO Award for Communication in the Life Sciences » (2007)
- « Carte blanche à Ali Saïb » sur le site de Futura Sciences
- « DR VIRUS AND M. HYDE - MÉMOIRE D'UN VIROLOGISTE » sur France 5
- Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé


Ce qu’il faut savoir sur l’association APSR-L’Arbre des Connaissances
A l’origine de l’APSR- l’Arbre des Connaissances il y a une idée toute simple « partager une passion, un univers». Cette idée est passée par bien des phases, pour aboutir à une action concrète, l’accueil de collégiens et de lycéens dans les laboratoires de recherche au cours de l’année scolaire.
Encadrés par les principaux acteurs de la recherche, chercheurs, techniciens et doctorants, ces « Apprentis-Chercheurs » appréhendent le questionnement et la démarche scientifiques mais aussi la vie du laboratoire. Les professeurs de SVT quant à eux jouent le rôle de «passeurs» indispensables entre ces deux univers.
La transmission du savoir scientifique vers le grand public, et plus particulièrement vers les plus jeunes, est un enjeu important pour mieux comprendre les apports de la science dans notre vie de tous les jours en évitant les écueils d’une fausse information, mais également pour prendre part, lorsque cela est nécessaire, aux débats soulevés par les nouvelles avancées scientifiques.
Site web : http://www.savoirs.essonne.fr/sections/annuaire/fiche/institution/l-association-pour-la-promotion-de-la-science-et-de-la-recherche/


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