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Publié le 22 octobre 2006 par Raymond Viger

Je me suis fait dire qu’il y a quelques années, une féroce lutte opposait ces gangsters à la police, qui cherchait à les faire déguerpir… Visiblement, les forces de l’ordre ont abandonné cette idée, les criminels contrôlent toujours l’endroit.

Alex m’a dit que ces gens, des anciens soldats pour la plupart, aimaient les étrangers. Qu’ils seraient contents de faire la fête avec moi. Ce fut bel et bien le cas. Au début! Intrigués par ma présence – j’étais le seul non africain de la place -, plusieurs venaient me payer une petite visite, question d’en savoir davantage sur ma personne.

Ç’a commencé à déraper quand j’ai pris des photos… Alex m’avait pourtant bien avisé qu’il n’y aurait aucun problème. Pas sûr, j’avais pris la peine de demander à un autre jeune homme que je ne connaissais pas. Lui aussi abondait dans le sens de mon enfant soldat. Alors j’ai sorti mon appareil numérique. Mes photos sont assez quelconques. Après 6 ou 7 photos, un gars de la place aperçoit mon flash… Commençait alors un épisode pas très rigolo…

Le gars en question, James, est un ex-taulard. C’est du moins ce que les gens de la place m’ont raconté. Il a fait 15 ans. Je ne sais pas pourquoi. La seule connaissance que j’ai du système carcéral sierra leonais, c’est par l’entremise d’Alex. Il a fait un mois et demi de prison… pour avoir poignardé un homme. 45 jours pour ça, je me demande bien ce que James a pu faire pour récolter 15 ans…

James a pété sa coche, comme on dit en bon québécois. Ses yeux le faisaient paraître fou. Je crois d’ailleurs qu’il n’avait pas toute sa raison… Il criait, se lamentait. Disons que je n’avais pas besoin de cette attention pour que ma présence soit remarquée!!! Alors que James vociférait, piquait une crise, tout le monde – une centaine de personnes au moins – s’approchait de moi. Curiosité, j’imagine!

En raison du troupeau qui m’entourait et rendait toute explication impossible, on s’est réfugié dans ce qui fait office de cuisine. James et moi nous sommes assis sur le congélateur. La pièce s’est remplie, je voyais des têtes dans l’embrasure de la porte.

James voulait voir les photos que je venais de prendre. J’ouvre une parenthèse: je suis très mauvais, côté technologie. D’ailleurs, j’ai toujours pensé que je n’étais pas né à la bonne époque, tellement je suis dépassé par cette ère informatique… Fin de la parenthèse! Donc James veut voir les photos. D’abord, il me demande de lui donner le film. L’appareil est numérique, donc pas de films. Il se saisit de la caméra. Je résiste de mon côté. On se retrouve, tous les deux, à empoigner la caméra, chacun tirant de son côté.

Il n’en fallait pas plus pour que les esprits s’échauffent à nouveau! Les autres se mettent de la partie, tirant la caméra avec moi. J’obtiens gain de cause, au grand dam de James. Après d’interminables minutes – interminables pour moi, s’entend! -, je parviens à comprendre le fonctionnement de mon appareil. Je montre mes photos à James. Rassuré, il se calme. Il veut tout de même la garder en sa possession.

- On attend le propriétaire de l’endroit, pour lui demander s’il accepte que tu prennes des photos chez lui, qu’il me dit.

J’avais envie de répondre que c’est un squat, un refuge, qu’il n’y a pas de propriétaire, mais à quoi bon prendre la chance de provoquer une autre crise?

Finalement, après des hauts et des bas – lire des crises suivies de périodes plus calmes -, James s’excuse. Tout rentre dans l’ordre. Enfin… presque. La dynamique, dans ce refuge, venait de changer. Et pas pour le mieux. Maintenant que j’étais bel et bien sur la sellette, tout un chacun en profitait pour venir se présenter… Je pouvais sentir ce qui allait arriver dans chacune de mes conversations avec les gens de la place. Ils trouvaient tous une histoire à me raconter qui finissait par une demande d’aide financière. Ma soirée était à l’eau. Je suis parti.

J’ai raconté cet épisode à certains de mes amis. La question la plus fréquente: t’avais pas peur? La réponse est non. Pour la simple et bonne raison que j’étais préoccupé par ma carte mémoire qui contenait toutes les photos de mon séjour. En aucun cas je pouvais considérer la laisser aller. Alors je ne pensais qu’à ça, et non aux problèmes qui auront pu survenir. Et est-ce que des problèmes auraient pu survenir? Évidemment. Ç’aurait pu dégénérer. J’ai cru, à un moment, que ça s’en venait, d’ailleurs.

Mais bon, je suis vivant, j’ai toutes mes dents!

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