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Publié le 22 octobre 2006 par Raymond Viger

En retrait des festivités, Sarah se raconte. Bien que timide, le regard fuyant, elle affiche un aplomb et un bien-être qui cadrent mal avec l’idée que l’on se fait de son passé. À 13 ans, elle voit les rebelles débarquer dans sa ville jusqu’alors épargnée par les affrontements. «Les rebelles m’ont enlevée. Le premier jour, j’ai été violée par 5 hommes. J’ai été adoptée par le Commandant pour être sa femme.» Sarah a l’habitude de raconter sa vie. Elle semble fredonner cette histoire comme une vieille chanson. Ce sont des faits qu’elle relate, pas des émotions.

Pendant un an, elle fait la cuisine pour son «mari» de 39 ans. Elle apprend à manier la mitraillette AK-47. «Je l’utilisais lors des embuscades ou quand je n’avais pas le choix de me défendre», explique-t-elle en regardant le vide, sans toutefois être gênée par son histoire. Elle ne sait si elle a donné la mort. Elle tirait en direction du feu ennemi. «Je n’aimais pas ça. Mais je n’avais pas d’autre choix», raconte-t-elle, soudain plus sérieuse.

Ses propos deviennent plus vagues. Son assurance se déstabilise sitôt qu’on la fait déborder du cadre de son récit. Comme si cette histoire était complètement oubliée, ses souvenirs sont plus flous. Elle raconte, sans trop de détails, que les soldats la battaient parce qu’elle était trop fainéante. «Je ne pouvais pas m’échapper. Je ne connaissais aucune route pour fuir», avance-t-elle pour se justifier. Elle a été relâchée à la fin des hostilités, un an plus tard. Elle est rentrée à la maison, là où elle a été enlevée.

Son «mari» est revenu la voir chez elle à trois reprises, depuis la fin de la guerre. «Il m’a demandé comment j’allais. Il voulait me marier. Je ne voulais pas. C’est arrivé pendant la guerre. Maintenant elle est terminée.» Sarah parle calmement, sans aucune amertume envers cet homme, plus vieux de 26 ans, qui l’a forcée à devenir femme. Comme si c’était une autre vie. «C’est le passé. Je ne ressens plus rien aujourd’hui. Je me sens bien avec moi-même», dit-elle en avouant qu’elle a mis du temps avant d’oublier, de pardonner.

Son parcours tient du rêve américain, version sierra-léonaise. À 15 ans, elle est choisie pour suivre les enseignements du centre de réhabilitation de la Croix-Rouge à Waterloo: une bénédiction pour cette jeune femme qui n’avait pas les moyens d’aller à l’école. Elle reçoit une éducation, de l’aide pour son traumatisme, on la nourrit une fois par jour, elle y apprend un métier. Celui de cuisinière. Une formation qui lui permet de gagner sa vie, de réintégrer positivement la société. Elle a un suivi à l’extérieur du centre. Elle est en-cadrée.

Elle a la chance d’être vue. L’un de ses enseignants remarque son potentiel. Il l’encourage à retourner aux études. «Il m’a expliqué à quel point c’est important, l’éducation. Que je serais alors capable de vivre dans toutes les sociétés.» Sarah reprend sa bonne humeur. Elle vient de terminer ses études collégiales. Deux ans d’efforts rendus possibles grâce à une aide financière provenant d’un organisme albertain, CAUSE Canada.

Aujourd’hui, elle est reconnaissante. Elle attend ses résultats finaux pour savoir si elle pourra poursuivre son parcours: étudier la comptabilité à l’université.

Produit grâce à la contribution de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)

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