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“La guerre du thon” : la stratégie des États-Unis face au commerce halieutique mexicain

Publié le 31 janvier 2010 par Infoguerre

Avec le lancement en janvier 1994 de l’accord de libre-échange entre le Mexique et les États-Unis (ALENA), la relation commerciale entre les deux pays s’est fortement intensifiée, à tel point que le Mexique est devenu un allié économique incontournable des États-Unis. En 2007, les exportations du Mexique vers les États-Unis représentaient 82,7% du commerce mexicain, alors que seulement 11,7% des exportations des États-Unis sont à destination du Mexique. Cette asymétrie commerciale entre les deux pays fragilise le Mexique dans son rapport de force avec la superpuissance voisine.

Malgré l’interdépendance économique entre ces pays, les relations commerciales en pâtissent en raison d’une politique protectionniste américaine. L’embargo américain sur le thon, qui a débuté en1990, est un exemple significatif d’une guerre commerciale menée entre les deux pays.

Les Etats-Unis pèsent de tout leur poids pour protéger les producteurs nationaux de thon, alors que le gouvernement mexicain réplique dans une moindre mesure lors des affrontements économiques avec les Etats-Unis en raison de sa faiblesse dans le rapport de force bilatéral.

« La guerre du thon »

“La guerre du thon” : la stratégie des États-Unis face au commerce halieutique mexicain

Source Photo : Flickr ScottS101

Le thon en provenance du Mexique était l’objet d’une forte demande sur le marché américain en raison de sa qualité et son prix plus compétitif. À la suite d’un affrontement économique fondé sur le lobbying, d’une stratégie de déstabilisation à travers différentes caisses de résonance, et de l’encerclement de l’ennemi par l’information, les États-Unis ont su protéger leur production nationale en imposant un embargo sur le thon mexicain. Par conséquent, l’embargo a pesé sur un secteur clé de l’économie mexicaine, qui rapportait 450 milliards de dollars par an.

Pour le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), cet embargo constituait une violation ouverte des accords de libre échange et notamment du principe de l'interdiction de restrictions quantitatives. Mais le lobbying de plusieurs associations écologistes américains et des ONG qui soutenaient les intérêts des producteurs américains, notamment la “Earth Island Institute”, a soutenu la mise en place de cet embargo.

Pour légitimer cette stratégie de protectionnisme caché, l’argument majeur d’attaque était le massacre des dauphins par les pécheurs mexicains. Les États-Unis ont ainsi imposé des règles de protection écologique pour porter atteinte á la production mexicaine, par une modification de la législation américaine, la Marine Mammal Protection Act de 1972, ainsi que par l’apposition d’une étiquette Respectez les dauphins” sur les boites de thon.

À la suite de la plainte du Mexique auprès du GATT en 1991, l’ORD (organe de règlement des différends), a condamné cette pratique. Néanmoins, dans le contexte de la négociation commerciale sur le futur accord d’association économique (ALENA), le Mexique s’est résigné à conclure un accord avec les États-Unis en dehors du GATT.

Depuis 1991, la pêche mexicaine du thon a subi une restructuration pour se conformer à la réglementation relative á la protection des dauphins, notamment par l’entrée en vigueur en 1999 de l’accord Agreement on the International Dolphin Conservation Program (AIDCP). Les douze pays signataires sont tenus de suivre les lignes directrices de la Commission interaméricaine pour le thon tropical (IATTC) afin de minimiser la mortalité des dauphins, et ainsi obtenir l’écolabel Respectez les dauphins-AIDCP”.

Malgré les efforts du gouvernement mexicain pour promouvoir le respect des dauphins, de nombreuses ONG et associations d’écologistes américains ont remis en cause la légitimité de ces actions. En témoigne la signature des pétitions auprès du président Obama demandant la cessation de l’importation du thon mexicain étiqueté “Respectez les dauphins-AIDCP”. Ou encore, les campagnes de l’organisation Greenpeace déclarant que les trafiquants de drogue mexicains auraient influencé le gouvernement américain dans le but de lui faire accepter ce label.

Durant les périodes 2002-2003 et 2005-2007, le gouvernement américain a autorisé l’importation de thon mexicain portant l’étiquette “Respectez les dauphins-AIDCP”, afin de diminuer les tensions commerciales entre les deux pays. Mais ces efforts pour améliorer la relation commerciale avec le Mexique ont de nouveau été bloqués par l’influence de la Earth Island Institute. Cet organisme protecteur des intérêts des producteurs américains a fait appel à deux reprises á la Cour d'appel des États-Unis contre le Département du Commerce américain. La résolution de la cour interdisait l’utilisation des filets pour la  pour la pêche au thon, et affirmait que le label créé par l’AIDCP "Respectez les dauphins-AIDCP" n’était pas équivalent au label étatique "Respectez les dauphins" du thon pêché par des producteurs américains.

Dès les résolutions de la cour, la commercialisation du thon mexicain a été interdite aux États-Unis, démontrant que les intérêts des producteurs américains sont toujours protégés par des mécanismes de protectionnisme cachés. En avril 2009, le Mexique déposait une plainte auprès l’OMC, en estimant que les critères de l’écolabel représentaient une manipulation du gouvernement américain pour protéger leurs intérêts nationaux. En raison de leur position de force dans le rapport bilatéral, les États-Unis estiment que le cas devrait être discuté au sein de l’ALENA, plutôt qu’à l’OMC.

Le résultat de la plainte déposée aura certainement une influence importante sur la légitimité de l’OMC, ainsi sur l’utilisation des mécanismes administrés par un gouvernement (y compris le label Respectez les dauphins) visant la destruction des secteurs économiques qui sont en compétition directe avec les producteurs nationaux.

Conclusion

Ce qu’il faut retenir de cet exemple c’est la manière dont une industrie comme celle du thon est utilisée pour déployer une stratégie de puissance économique. Désormais, la création et l’interprétation des normes en place pour la protection de l’environnement s’imposent sur l’échelle des tactiques de guerre économique. L’imposition de règles dans le système des nations est donc davantage portée par des rapports de force que par une véritable légitimité.

Juan Héctor Algrávez

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