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Pr Apfelbaum : «A bas le discours de terreur!»

Publié le 11 avril 2008 par Phil443

ndlr : déjà en 1992, le professeur Marian Apfelbaum prévenait des dangereuses dérives de l'industrie pharmaceutique concernant le cholestérol.  Il n'hésitait pas alors à incriminer directement l'ETAT, dans cette corruption à très grande échelle digne des républiques bananières…

Pr Apfelbaum: «A bas le discours de terreur!» 

  

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Par Kouchner Annie, publié le 3 décembre 1992 

Site originel :  L'Express

L'homme, affable, a l'ironie facile et l'intelligence lumineuse. Il est le plus éminent des pionniers de la nutrition en France. Le plus connu, aussi. Et ses avis, souvent dérangeants, font autorité. Il y a plus de vingt ans, il créait à l'hôpital Bichat une consultation de nutrition, si courue aujourd'hui qu'elle affiche complet en permanence. Chef de service dans ce même hôpital, professeur des universités et directeur de l'unité 286 de l'Inserm, il préside d'influentes sociétés savantes. Il a publié de nombreux ouvrages de vulgarisation. Pour L'Express, le Pr Apfelbaum va encore plus loin que dans son dernier livre. Il accuse.

L'EXPRESS: Vous dites que votre livre est avant tout un ouvrage politique. Qu'entendez-vous par là?

MARIAN APFELBAUM : Je parle de politique au sens «organisation de la cité». Et l'histoire du cholestérol révèle plus que toute autre la stupidité irritante de la machinerie sociale. Sur la grande trouille du cholestérol se sont concentrés les intérêts de l'Etat, des firmes pharmaceutiques et des médias. Ensemble ils construisent un tel mur d'obstination et de conviction que les faits scientifiques ne passent pas  

Je participe à toutes sortes de comités et de réunions, et je peux vous affirmer que tout y est filtré: seul sort de ces conclaves le discours attendu, celui de la prohibition. Pour preuve: en juillet dernier, Revkow, un Suédois, a recensé tous les essais de prévention dont le but était de démontrer que la baisse du cholestérol augmente l'espérance de vie. Mais il révélait, au contraire, que cette diminution aurait plutôt tendance à accroître discrètement le taux de mortalité. Et il s'est aperçu que les études défavorables à la prévention étaient six fois moins citées dans les articles scientifiques que les autres.   

Les médias contribuent à cela. C'est d'autant plus curieux que je suis un vieillard qu'ils chérissent particulièrement. Pourtant, journaux, radio, télévision ne veulent entendre que les messages alarmistes. Il ne s'agit pas d'un complot. Mais le discours de terreur est progressiste, court, brillant, tandis que celui qui fait appel au bon sens apparaît un peu emmerdant, long et compliqué. Donc les médias raccourcissent et simplifient mon propos.

- Vous ne ménagez pas non plus l'industrie pharmaceutique. 

- Je dis les choses comme elles sont. L'industrie pharmaceutique a fabriqué des drogues merveilleuses grâce auxquelles nous parvenons à faire disparaître, dans l'immense majorité des cas, les graves dangers de l'hypercholestérolémie, maladie génétique. Et elle va aussi loin que possible dans l'extension de son marché. Cela me paraît normal, tout du moins dans un régime capitaliste bien conçu. Mais il appartient aux autres agents sociaux d'opposer une résistance à ce mercantilisme. Ce qu'ils ne font pas toujours. 

- L'année dernière, le ministère de la Santé a rappelé que le Zocor, un anticholestérol, ne serait plus remboursé en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, c'est-à-dire pour les hypercholestérolémies supérieures à 3 grammes. Il a donc su mettre un frein à une politique commerciale trop agressive. - L'affaire n'est pas si simple. Ce médicament est une innovation, de la très haute science. Il a étélargement prescrit à des personnes qui n'en avaient pas réellement besoin 

- Quels sont les responsables?

Le laboratoire, en premier lieu. Mais aussi le ministère de la Santé, car il a longtemps laissé faire. Pourquoi? Les sous que l'industriel gagnait dans cette affaire, lui les réempochait sous la table. Une manœuvre digne des républiques bananières!

- Comment cela?

- Deux laboratoires américains sortent chacun un médicament nouveau pour faire baisser le taux de cholestérol. Le ministère de la Santé leur met un premier marché en main: le comarketing. Il oblige les deux laboratoires à faire «cadeau» de leurs produits à deux sociétés françaises nationalisées, qui les commercialisent sous un autre nom. L'industrie française profite ainsi de la manne cholestérol  -Deuxième arnaque: ces laboratoires ont été invités par le ministère à faire des présents à la recherche en France. Ils se sont exécutés de façon tout à fait charmante! Tout cela est malsain.

Des gens créent des médicaments, bravo. Ils les vendent de leur mieux en gagnant du pognon, encore bravo… Les impôts leur piquent des sous, c'est tout à fait normal. Et qu'on les surveille pour éviter les débordements, cela relève d'un bon consensus social. Mais, sous prétexte que le marché s'élargit, que les prix des produits sont élevés, on les leur vole et on exige des bakchichs. C'est scandaleux. J'espère que cette histoire est tout à fait spécifique du cholestérol.

- Les médecins traitants prescrivent très largement ces médicaments. N'ont-ils pas une part de responsabilité?

- Eux sont coincés entre la demande du public et la pression des laboratoires pharmaceutiques. Sur ce dernier point, l'affaire est lumineuse. On les emmène en séminaire de formation sur la muraille de Chine et on leur offre des cartes de crédit. Les plus chics du genre, puisque plus vous dépensez, plus vous réalisez de profits: le laboratoire alimente le compte. Ces abus sont interdits depuis.Mes chers toubibs sont bombardés d'informations. Ils savent très bien qu'il ne faut pas agir sur le cholestérol normal.

Mais le patient, lui, ne l'entend pas toujours de cette façon. Le médecin qui craint de perdre sa clientèle cède. Il prescrit un médicament. Et voilà un patient soumis, pendant des années, à un traitement non dépourvu de danger et qui coûte cher, à lui-même et à la collectivité. Alors que n'existe pas la moindre raison de penser que cela soit bénéfique à sa santé. C'est affligeant.

- La chasse au cholestérol, l'amaigrissement, la forme ne sont-ils pas des phénomènes de société? 

- Ce que je raconte sur les traitements, la prévention, l'épidémiologie est professionnel. Je demande que l'on me croie: la démonstration est carrée, inattaquable. J'apporte des preuvesQuand il s'agit, en revanche, d'expliquer pourquoi le message cholestérol passe si bien de nos jours, je suis moins sûr d'être dans le vrai. Mais je pense que notre société vieillissante, qui a perdu le sens du surnaturel, se retrouve démunie face à la mort. Elle réclame: «Encore cinq minutes, monsieur le Bourreau.» Le désir de jeunesse et d'immortalité devient tout à fait insensé aujourd'hui. Il est faux d'affirmer que l'abaissement du cholestérol protège du vieillissement et de la mort, mais, dans notre monde paniqué, ce concept fait merveille. Car la qualité marketing du message rassure.- Quand ce message a-t-il commencé à circuler? 

- Au début des années 70, aux Etats-Unis. Les Américains ont découvert que le cholestérol nuisait à la santé. Ils l'ont donc interdit. La grande prohibition est chez eux une tradition. Leur côté missionnaire fait le reste. Ainsi leurs idées, relayées par les lobbies de l'agroalimentaire (celui du soja et du maïs), débarquèrent-elles en France une dizaine d'années plus tard. Elles trouvèrent un écho favorable, car persiste chez nous un vieux fonds idéologique, hygiéniste et scientiste: il faut apprendre à la population à bien se comporter pour bien se porter. C'est bon pour la santé. Et, surtout, moral. Il faut donc dire au bon peuple comment manger. Et le punir de ses excès. 

L'industrie agroalimentaire, pour sa part, découvre le miracle financier que recèle cette bonne parole. Elle développe deux marchés: celui de l'amaigrissement sans sucre (le light) et celui du sans-cholestérol (l'allégé). Cette industrie offre une nourriture sûre et de qualité, source de progrès social depuis plus d'un siècle. Mais elle ne possède aucune culture nutritionnelle et, lorsqu'elle s'achète des consultants qui ont cette connaissance, elle n'obtient d'eux que ce qu'elle veut entendre. Ce qui l'emporte? Le discours marketing, toujours. Le gadget fait vendre.

Ainsi les Américains ont-ils mis au point des oeufs sans cholestérol, verts et peu ragoûtants. Et nous, en France, un beurre sans cholestérol. Un miracle de la technologie. Mais idiot: ce beurre est précisément contre-indiqué chez les personnes qui souffrent d'hypercholestérolémie parce qu'il contient des acides gras saturés. Le drôle de drame, c'est que marchands, médecins et consommateurs croient dur comme fer à ce message marketing. 

- Mais la médecine ne cesse de nous répéter que nous creusons notre tombe avec les dents, que nous souffrons de maladie de pléthore.

- Voilà bien un autre concept imbécile de culpabilisation. La notion de maladie de pléthore est ambiguë et suggère que la pauvreté aurait une valeur morale. Mais, en fait, qui souffre de cette pléthore? Les gens fauchés: les boulimiques sont des pauvres. Où l'obésité sévit-elle aux Etats-Unis? A Harlem, chez les Noirs les plus défavorisés. Moi, j'affirme: il vaut mieux vivre riche, dans un pays riche, et que ce pays soit la France. C'est ici que nous mangeons le mieux, notre cuisine bourgeoise est excellente. Et le taux de mortalité dû aux maladies cardio-vasculaires est, avec celui des Japonais, le plus bas au monde. Laissons les Français manger en paix. C'en est assez de cette dictature du cholestérol et de la bêtise!
 


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